vendredi, janvier 31

L’abolition de la peine de mort célèbre ses 20 ans en Belgique. Retour sur un processus juridique qui a souvent opposé le peuple à la politique.

L’anniversaire passe un peu inaperçu, parce qu’initialement, la peine de mort est sortie des peines pénales en 1996, et que la dernière exécution remonte à 1950. Pourtant, ce mardi marque le 20e anniversaire de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution belge, qui nécessitait une majorité des deux tiers à la Chambre et au Sénat pour modifier l’écrit. Le gouvernement Verhofstadt II s’était ainsi assuré que, sauf bouleversement politique majeur, plus aucun condamné n’aurait à subir la peine capitale. La manœuvre demandait peut-être plus de courage politique qu’il n’y paraît.

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L’année 1996 est cruciale. C’est celle de l’affaire Dutroux et du tourbillon de réformes qui s’est abattu sur la justice pénale belge. «C’était un choc, se souvient le philosophe, juriste et docteur en sciences juridiques du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), Vincent Lefebve. On parle souvent de la marche blanche à cette époque, mais il y a aussi eu plus de deux millions de signatures sous une pétition demandant l’instauration des peines incompressibles.» Le PRL (l’ancêtre du MR) s’en était d’ailleurs saisi et voulait faire voter une loi en ce sens au Parlement, sans que celui-ci ne le suive.

Populisme pénal

Parallèlement à ce mouvement, les militants dont Amnesty International ont continué à faire pression, le droit pénal international a évolué, les consciences aussi. Le 13 juin 1996, à 120 oui contre 13 non, les députés belges adoptent l’abolition de la peine de mort. Et au final, le cheminement se fait dans un contexte complètement particulier par rapport à d’autres pays, note Vincent Lefebve. «En France, le gouvernement a pris une mesure à laquelle était opposée la population. D’où l’importance d’une figure comme Robert Badinter qui assumé la discordance en faveur d’un progrès humaniste.»

En 1996, donc, le monde politique – incarné par Stefaan De Clerck (CD&V) à la Justice dans le gouvernement De Haan II – a continué de catalyser les demandes populaires par la grande réforme de police, l’instauration du Conseil Supérieur de la Justice ou encore la naissance de la PJF.

En 2012, le point Godwin de la justice belge refait surface avec la libération conditionnelle de Michèle Martin. L’ex-femme de Dutroux devait s’installer dans un couvent situé à Malonne, en région namuroise. Pendant des jours, le sujet occupe la place publique, plusieurs centaines de citoyens se rassemblent devant le couvent pour manifester, et d’autres sujets se mêlent. «La demande de sévérité par la population revient généralement lorsque des protagonistes demandent des libérations conditionnelles», constate Vincent Lefebve. Et, généralement, cette demande est plutôt entendue. Il en veut pour preuve l’introduction, en 2017, de la période de sûreté durant laquelle un condamné n’a pas accès à une demande de libération conditionnelle. Une mesure calibrée de base pour des délinquants sexuels et qui aboutit finalement en pleine période post-attentats. «A la fin des années 2010, on est dans ce que j’appellerais une période de populisme pénal. Période dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui, il me semble.»

Peine de mort, l’agenda caché de l’extrême droite

Alors, pourquoi la population estime-t-elle que certains criminels sont des monstres infréquentables, et d’autres de simples criminels? Ou placer la limite? Il semblerait que, dans le texte de loi sur les peines de sûreté adopté sous l’égide du ministre Koen Geens (CD&V) dessine la frontière morale bien que ces peines de sûreté soient rares. On y retrouve les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat, les violations graves du droit international humanitaire, les infractions terroristes, le viol ou l’attentat à la pudeur ayant entraîné la mort, l’assassinat d’un policier en raison de sa qualité, les faits de torture ayant entraîné la mort sans intention de la donner et l’enlèvement ou la détention de mineurs ayant entraîné la mort.

Des thèmes dont raffole l’extrême droite, pour qui la peine de mort reste un objectif à peine caché. Le jour de son investiture, Donald Trump a signé un décret s’assurant que tous les Etats aient suffisamment de stock de doses d’injection létales pour procéder à des exécutions. Lors de son premier mandat, son administration avait procédé à 13 exécutions fédérales, un record. On le sait, le nouveau président américain jouit de relais idéologiques en Europe, et la Belgique ne fait exception. En 2020, il s’agissait par exemple d’éliminer un dernier résidu de référence à la peine de mort dans un texte de loi concernant les assurances. Le Vlaams Belang était le seul à s’abstenir. «L’influence du Vlaams Belang et de l’extrême droite sur les agendas des autres partis existe, notamment sur la sécurité et la migration, ponctue Vincent Lefebve. Et plusieurs partis montrent qu’ils veulent chercher l’électorat de ces partis d’extrême droite. Aujourd’hui, la peine de mort n’est pas vraiment un enjeu, mais ce débat pourrait poser d’autres questions.

24 têtes au Palais de Justice de Bruxelles

Lors de sa création en 1830, la Belgique héritait de la grande tradition française de la guillotine. Ainsi, entre 1830 et 1863, sur la place publique, on décapitait. Dans le musée du crime installé au Palais de Justice de Bruxelles, 24 têtes décapitées et moulées dans le plâtre sont encore visibles, informe Amnesty International.

1863 est une première année charnière dans le chemin menant à l’abolition de la peine de mort. Contre l’avis de la population, deux hommes sont exécutés. Des voix s’élèvent, raconte toujours Amnesty dans un dossier pédagogique, et obtiennent la suspension des mises à mort. Les peines capitales étaient ainsi directement suspendues et converties en prison à perpétuité.

Toutes, sauf à deux reprises. En 1918, pour un soldat reconnu coupable d’avoir tué sa maîtresse alors que le reste de l’armée périssait sur le front, ce que le roi Albert n’a pas supporté. Inutilisée depuis un bout de temps, la guillotine était alors hors d’usage. L’Etat belge en a fait venir une de Douai pour l’occasion. Et puis, entre 1944 et 1950, 242 personnes ont été exécutées par balles pour collaboration ave l’occupant allemand. Le dernier condamné était un Allemand, commandant du camp de concentration de Breendonk.

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