Comme il y a 18 ans, Israël et le Hezbollah se disent prêts à une confrontation directe au Liban. Mais cette fois, les deux camps ont affûté leurs armes, surtout côté israélien.
12 juillet 2006, 9 heures du matin: des combattants de la milice chiite du Hezbollah mènent une attaque à la frontière israélo-libanaise. Leur but: soutenir le Hamas, visé par une opération militaire israélienne à Gaza. Huit soldats israéliens sont tués, deux sont capturés. Israël ne tarde pas à répliquer. Après des semaines d’échanges de tirs de roquette de part et d’autre, le Premier ministre israélien de l’époque Ehud Olmert lance une opération terrestre de 33 jours au Liban, pour affaiblir le Hezbollah. Il lui faudra des années pour admettre son échec.
En 2024, le schéma se répète: le conflit gazaoui s’exporte au nord, et des attaques israéliennes sur le sol libanais semblent de plus en plus probables. Mais la situation est aujourd’hui assez différente. Voici en quatre points les différences qui montrent que le conflit de 2024 n’est pas celui de 2006.
1. Israël et Hezbollah se sont renforcés
En 2006, Israël comptait sur la puissance de son armée de l’air, là où le Hezbollah n’avait ni aviation, ni force anti-aérienne. L’Etat hébreu a appris, à ses dépens, que la milice chiite prenait l’avantage lors de combats au sol. La leçon a amené au développement des services de renseignement israéliens: infiltration du Hezbollah, repérage de ses caches, court-circuitage de ses réseaux, etc. «Désormais, rien ne se passe sur le territoire libanais sans qu’Israël ne puisse l’observer», constate Elena Aoun, professeure de relations internationales à l’UCLouvain et spécialiste du Proche-Orient.
Le Hezbollah a tâché pour sa part de renforcer quantitativement et qualitativement son arsenal. Un objectif rempli grâce à ses alliés, surtout iraniens, et à l’argent issu du marché noir, le Hezbollah contrôlant de nombreux réseaux de commerce de drogue et d’armes. Sa puissance est aujourd’hui bien supérieure à celle du Hamas. «Mais cela ne lui permet pas d’acheter de gros équipements, comme des F-35, ni de se prémunir efficacement contre l’infiltration de son réseau», objecte la chercheuse néolouvaniste.
Le Hezbollah fait aujourd’hui les frais de ces manquements, comme l’a démontré la récente attaque des bipeurs menée par Israël.
2. Une zone tampon jamais pleinement respectée au sud du Liban
Déjà en 2006, la frontière entre Israël et le Liban était fragile. C’est pourquoi au lendemain du conflit, le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté un texte, la résolution 1701, pour y créer une zone tampon. Les casques bleus installés au Liban, la FINUL, sont depuis déployés sur place. Leur présence a contribué à l’absence de conflit ouvert pendant 18 ans, mais elle n’a pas empêché les nombreuses escarmouches entre les deux camps. De facto, la résolution 1701 n’a donc jamais été totalement respectée.
L’armée libanaise est également présente dans cette région, notamment pour faciliter les relations entre la population chiite locale et la FINUL. Mais son attitude est «schizophrénique», observe Elena Aoun: «Elle dépend du soutien financier de l’Occident, qui l’invite à réprimer des mouvances extrémistes comme celle de l’Etat islamique, mais elle n’a jamais été dotée des capacités lui permettant de défendre les citoyens libanais.» Une fragilité qui l’incite à rester spectatrice des affrontements entre Hezbollah et Israël. Ce 30 septembre 2024, l’armée libanaise a quitté certaines de ses positions à la frontière, au grand désarroi de la FINUL.
3. Un contexte international favorable à Israël
En 2006, Israël n’avait noué de relations qu’avec une poignée de pays arabes: l’Égypte, la Jordanie et la Mauritanie. Depuis, la liste s’est allongée: Emirats Arabes Unis, Bahrein, Soudan et Maroc. Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 contre le Hamas, des nations ont critiqué le bellicisme israélien, surtout la Jordanie, mais «leurs appels à la désescalade ne sont pas crédibles», estime Elena Aoun. «Certains pays ayant des accords avec Israël répriment même ceux qui voudraient plus de fermeté envers Israël. Cela n’existait pas en 2006.».
A l’inverse, le Hezbollah n’a pas élargi son cercle d’alliés, qui reste limité à l’Iran, la Syrie de Bachar el-Assad, au Yémen houtiste et au Hamas. Les trois derniers affrontent chacun leurs propres difficultés (guerres civiles syrienne et yéménite, conflit israélo-palestinien). Reste Téhéran. L’ayatollah Ali Khamenei osera-t-il lancer son pays dans une confrontation directe avec Israël? C’est la grande question. Pour l’instant, l’Iran brille par son absence, avec seulement quelques condamnations des attaques israéliennes. Mais selon les USA, Téhéran pourrait prochainement mener une offensive «par missile balistique».
«Il faut aussi rappeler que depuis son retour au pouvoir en 2009, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou est dépeint comme une puissance menaçante pour tout le Moyen-Orient», rappelle Elena Aoun. Un discours qui pourrait parler aux pays sunnites de la région. La chercheuse estime même qu’ Israël pourrait être tenté de pousser l’Iran à l’attaquer, pour obtenir un droit de cibler ses installations nucléaires, et ce avec la bénédiction de ses alliés occidentaux, voire moyen-orientaux. «Il s’agit d’un environnement permissif qui n’existait pas il y a 18 ans.»
4. Une radicalisation autant en Israël qu’au Liban
En 2006, la droite israélienne était déjà au pouvoir, mais ce n’est que sous Benyamin Netanyahou qu’elle s’est véritablement alliée à l’extrême droite, qui prône une politique jusqu’au-boutiste envers les Palestiniens et les chiites. Ces derniers mois, plusieurs ministres ultra-nationalistes ont menacé de démissionner si Israël concluait un cessez-le-feu.
Au Liban, le pouvoir est traditionnellement réparti entre les différentes communautés religieuses du pays (chiite, sunnite, chrétien, etc.). Ces dernières années, le Hezbollah a toutefois réussi à acquérir toujours plus d’importance au sein de l’appareil étatique. La milice est devenu parti et gouverne de fait tout le pays.
Du moins jusqu’à aujourd’hui. La mort de Hassan Nasrallah et d’une partie de sa hiérarchie pourrait rebattre les cartes, estime Elena Aoun, mais cela n’aboutirait pas forcément à une pacification du pays. «On risque de se rendre compte que le Hezbollah, certes avait une capacité de nuisance, mais structurait et stabilisait aussi la société libanaise. Il va falloir gérer l’écroulement économique, l’urgence sociale, les refugiés palestiniens installés dans le pays, etc. Tout cela pourrait contribuer à l’émergence d’une nouvelle guerre civile libanaise.»