Le gouvernement De Wever annonce des mesures face à la forte augmentation du nombre de malades de longue durée, qui coûtent déjà plus de 9 milliards d’euros en allocations. Comment se fait-il que la Belgique soit le pays le plus malade d’Europe? Et pourquoi le ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit) doit-il absolument réussir à inverser la tendance? Spoiler alert: pas seulement pour rétablir l’équilibre budgétaire, mais surtout pour sauvegarder notre sécurité sociale.
C’était déjà mentionné dans l’accord de gouvernement: «L’accompagnement et la réintégration des malades de longue durée constitue l’un des chantiers les plus importants» du gouvernement De Wever. Il était clair que le gouvernement allait se montrer plus strict à l’égard des malades de longue durée qui ne coopèrent pas suffisamment, ou pas du tout, à leur retour au travail. L’avant-projet de loi-programme du ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit), auquel le journal économique De Tijd a pu avoir accès, révèle ce que cela impliquera concrètement.
Ce qui a fuité aujourd’hui ne concerne qu’«un premier paquet de mesures». Le gouvernement veut notamment mettre un terme à l’effet de porte tournante, selon lequel les travailleurs, en cas de rechute, peuvent chaque fois à nouveau prétendre à 30 jours de salaire garanti payés par l’employeur. Désormais, ils n’auront droit à un mois de salaire garanti qu’après huit semaines de reprise complète du travail, contre deux semaines actuellement.
Une autre mesure prévoit qu’un bénéficiaire d’allocations perd ce droit s’il ne se présente pas à deux reprises sans justification valable à un rendez-vous avec le médecin-conseil ou l’équipe pluridisciplinaire chargée d’évaluer s’il peut reprendre (progressivement) le travail. Aujourd’hui, le montant journalier de l’allocation est alors simplement réduit de 2,5%.
Remarque importante à propos de cette dernière mesure: si la personne concernée coopère à nouveau par la suite, elle peut récupérer son allocation. Si, après deux visites manquées, la personne en incapacité de longue durée prend elle-même l’initiative d’un troisième rendez-vous, l’allocation est rétablie. Celui qui manque trois fois son rendez-vous ne percevra à nouveau de l’argent qu’une fois qu’il se sera effectivement présenté en consultation.
Selon De Tijd, les mesures actuellement connues devraient rapporter 67 millions d’euros cette année. Ce chiffre grimperait à 308 millions d’euros d’ici 2029. Cela ne représente toutefois qu’une fraction du budget total des allocations. En effet, le montant total versé aux malades de longue durée a dépassé l’an dernier les 9 milliards d’euros, un doublement depuis 2014. La Banque nationale a déjà qualifié cette augmentation d’«insoutenable».
Cinq faits chiffrés sur cette problématique
1. Combien y a-t-il de malades de longue durée en Belgique?
Notre pays compte, selon l’Inami (Institut national d’assurance maladie-invalidité), environ 526.000 personnes qui sont malades depuis plus d’un an et ne travaillent donc pas. En réalité, elles sont encore plus nombreuses, car les fonctionnaires ne sont pas inclus dans ces chiffres. Il s’agit d’une augmentation de 60% en dix ans. Même ces dernières années, le nombre de malades de longue durée a continué à fortement croître. Entre 2021 et 2024, ce nombre a augmenté de 70.000, soit une hausse de 15%.
Environ 37% des malades de longue durée souffrent de troubles de la santé mentale, tels que la dépression ou le burn-out. Il s’agit du groupe le plus important. Viennent ensuite les personnes atteintes de troubles musculosquelettiques, qui concernent 32% des malades de longue durée. Ces deux groupes ont gagné en importance au cours des vingt dernières années, note une étude de la Banque nationale sur le nombre croissant de personnes en incapacité de travail. Les femmes sont plus souvent en incapacité de longue durée que les hommes; elles souffrent plus fréquemment de burn-out ainsi que de troubles de l’humeur ou de troubles anxieux.
«Environ 37% des malades de longue durée souffrent de troubles de la santé mentale, tels que la dépression ou le burn-out.»
Deux tiers des personnes en incapacité de travail quittent le système dans les six mois. Ensuite, le retour sur le marché du travail devient beaucoup plus difficile. C’est particulièrement vrai pour les plus de 55 ans. Parmi les personnes malades depuis un an, huit sur dix sont toujours en incapacité un an plus tard.
2. Combien y a-t-il de malades de longue durée en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles?
En Flandre et à Bruxelles, 9,5% de la population active est en incapacité de longue durée; en Wallonie, ce chiffre atteint 14,5 %. Le nombre de malades de longue durée y augmente plus rapidement qu’en Flandre et à Bruxelles. Le nombre de personnes en incapacité de travail a augmenté de 80% en Wallonie au cours des dix dernières années, de 50% à Bruxelles, et de 20% en Flandre. D’où viennent ces différences régionales? La Wallonie compte plus de personnes faiblement qualifiées et plus d’ouvriers. Le comportement de prescription des médecins pourrait également jouer un rôle. La Wallonie compte aussi beaucoup plus de petites entreprises, qui investissent moins dans la réintégration après une maladie. Et ce qui joue certainement un rôle, c’est la politique d’activation menée par le gouvernement wallon. C’est aussi ce qu’écrit la Banque nationale: «En Flandre, la réintégration est plus rapide que dans les autres régions, ce qui contribue à la plus faible proportion de malades de longue durée en Flandre.»
En outre, selon les chiffres les plus récents de l’Inami, 11.717 malades de longue durée étaient officiellement domiciliés à l’étranger en 2023. Cela représente donc 2% du nombre total. Plus de la moitié d’entre eux (7.716 personnes) percevaient une indemnité de maladie depuis plus de quatre ans. Il n’est pas interdit, pour une personne en incapacité de longue durée, de voyager à l’étranger ou même d’y résider de manière permanente, mais une réintégration sur le marché du travail en est d’autant plus difficile.
3. Les personnes âgées sont-elles principalement concernées par les maladies de longue durée?
Environ 10% des travailleurs belges âgés de plus de 55 ans sont en incapacité de longue durée, selon une étude du prestataire de services en ressources humaines Attentia publiée cette semaine. La moyenne, toutes tranches d’âge confondues, n’est que de 4%. Chez les plus de 50 ans en incapacité de longue durée, les maladies chroniques comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et l’arthrose jouent un rôle important. Attentia conclut: «Plus les collaborateurs vieillissent, plus le risque d’être absents pour une longue durée augmente. Le taux d’absentéisme de longue durée chez les plus de 55 ans est deux fois plus élevé que chez les 45 à 54 ans (4,84%), quatre fois plus élevé que chez les 35 à 44 ans (2,74%), et même dix fois plus élevé que chez les 25 à 34 ans (1,11%). Dans la génération la plus jeune présente sur le marché du travail, l’absentéisme de longue durée est quasi inexistant (0,23%). »
«Plus les collaborateurs vieillissent, plus le risque d’être absents pour une longue durée augmente.»
4. Combien y a-t-il de malades de longue durée dans d’autres pays?
Chez nous, 7,2% des personnes âgées de 20 à 64 ans ne travaillent pas en raison d’une maladie ou d’un handicap, selon un rapport du Conseil supérieur de l’Emploi datant de 2024. Comparer avec d’autres pays n’est pas simple, car les définitions varient souvent, mais selon le Conseil supérieur, la part des personnes malades aux Pays-Bas, avec 7%, n’est pas beaucoup plus faible que chez nous. Toutefois, le Centraal Bureau voor de Statistiek néerlandais indique qu’en 2023, environ 400.000 personnes étaient en incapacité de travail de longue durée et percevaient une allocation WIA (Werk en Inkomen naar Arbeidsvermogen-uitkering – Allocation de travail et de revenu liée à la capacité de travail). Cela correspond à 4,2% de la population active. Aux Pays-Bas, on peut prétendre à une allocation WIA si, après deux ans de maladie, on ne peut toujours pas (entièrement) travailler.

En France et en Allemagne, selon le Conseil supérieur, environ 4% de la population en âge de travailler est en incapacité de longue durée. Cela correspond à d’autres données. Selon la Deutsche Rentenversicherung, environ 1,8 million de personnes étaient en incapacité de travail de longue durée en 2023, soit 4% de la population active allemande. Et d’après les chiffres de la Sécurité Sociale en France, il y avait dans ce pays, cette même année, environ 1,2 million de malades de longue durée, ce qui correspond également à 4% de la population active.
Le rapport du Conseil supérieur mentionne aussi que «la Belgique affichait déjà en 2010 des résultats inférieurs à la moyenne européenne» en ce qui concerne les personnes qui ne travaillent pas en raison d’une maladie ou d’un handicap. Comme mentionné, le nombre de malades de longue durée a augmenté plus fortement ces dernières années dans notre pays qu’ailleurs en Europe, et «c’est en raison de cette évolution que la Belgique connaît aujourd’hui le taux d’inactivité pour cause de maladie ou de handicap le plus élevé», poursuit encore le rapport.
«Le nombre de malades de longue durée a augmenté plus fortement ces dernières années dans notre pays qu’ailleurs en Europe.»
Tout cela amène l’expert du marché du travail Jan Denys à qualifier officiellement la Belgique de «pays le plus malade d’Europe» dans son livre Iedereen aan het werk.
5. Pourquoi la Belgique est-elle «le pays le plus malade d’Europe»?
Petit récapitulatif. La Belgique compte donc 526.000 travailleurs salariés et indépendants malades, sans même tenir compte des fonctionnaires. Cela signifie qu’au moins 7% de la population active est en incapacité de longue durée. Ce chiffre augmente plus fortement dans notre pays que dans tout autre pays européen. Il en résulte que le montant total des allocations pour les malades de longue durée a lui aussi augmenté, dépassant désormais les 9 milliards d’euros. Pourquoi le nombre de malades est-il si élevé chez nous, et pourquoi a-t-il autant augmenté? Les spécialistes avancent toute une série de raisons. Le vieillissement de la population joue certainement un rôle. «Bien que le niveau moyen de santé de la population s’améliore, un plus grand nombre de personnes, en raison du vieillissement de la population active, entrent dans le régime d’assurance maladie-invalidité», déclare le Conseil supérieur de l’Emploi.
Il ajoute également que «la féminisation du marché du travail et le relèvement de l’âge de la retraite des femmes jusqu’au niveau de celui des hommes ont contribué à l’augmentation du nombre de personnes en incapacité de travail ».
Mais, poursuit encore le Conseil supérieur, «ces évolutions démographiques n’expliquent que partiellement l’augmentation récente du nombre de malades de longue durée.» Car le vieillissement et la féminisation se constatent aussi ailleurs en Europe, et pourtant, le nombre de malades de longue durée n’y augmente pas autant qu’en Belgique, et leur part n’y est pas aussi élevée.
Il doit donc y avoir d’autres raisons. Notre système est-il trop généreux? Les médecins déclarent-ils trop rapidement des patients en incapacité de longue durée? Les entreprises sont-elles trop peu incitées à faire retravailler les malades de longue durée? La politique de réintégration échoue-t-elle? Les mutualités s’impliquent-elles suffisamment pour aider les gens à reprendre le travail?
Il est également frappant de constater que la hausse du nombre de malades de longue durée suit en parallèle le durcissement des règles concernant la prépension et les allocations de chômage. Maintenant que l’âge de la retraite est relevé, beaucoup s’attendent à une nouvelle augmentation du nombre de malades de longue durée.
Il y a deux ans, l’ancien président de Vooruit, John Crombez, écrivait un article sur «la question de la maladie de longue durée» dans le Journal belge de la Sécurité sociale. Il notait: «Malgré l’impact croissant depuis des années sur le budget, le marché du travail et la santé publique, aucun effort n’a été entrepris qui ait entraîné une amélioration significative en ce qui concerne le nombre de bénéficiaires d’allocations de maladie de longue durée. Les chiffres sont toujours à la hausse.»
L’ancien président des socialistes flamands concluait: «Si l’on prend vraiment au sérieux la soutenabilité du budget, de la sécurité sociale, la hausse du taux d’emploi et la diminution de l’inactivité, il est urgent de mettre en place un plan stratégique.»
C’est à son camarade de parti Frank Vandenbroucke, qui a aujourd’hui une seconde chance comme ministre de la Santé publique, de réduire le nombre de malades de longue durée et de les ramener au travail. Pas seulement pour rétablir l’équilibre budgétaire, mais aussi pour préserver notre précieuse sécurité sociale.