Une vingtaine d’activistes et scientifiques des associations Extinction Rebellion, Scientist Rebellion et Growth Kills ont symboliquement bloqué l’entrée de la Commission européenne, à deux jours du scrutin continental. Alors que le climat est aux abonnés absents de la campagne électorale, ils et elles demandent aux partis politiques d’enfin envisager la décroissance.
Élections européennes, J-2. Bruxelles se réveille en douceur, les premiers travailleurs commencent à affluer dans la capitale continentale. Eux se sont levés aux aurores, pour une action de désobéissance civile dont les détails restent secrets jusqu’au dernier moment. Les organisations environnementales Extinction Rebellion, Scientist Rebellion et Growth Kills comptent bloquer une grande institution européenne, pour attirer l’attention sur un enjeu climatique replacé dans le bas de la pile des dossiers à traiter lors de la prochaine législature.
La science a démontré que croissance économique et efforts climatiques sont incompatibles.
Laura trépigne. Membre d’Extinction Rebellion, elle est aujourd’hui chargée de coordonner l’action sur le terrain. La jeune femme regarde sa montre. «On y va!», lance-t-elle. Le pas se fait plus rapide, alors que les cloches bruxelloises sonnent huit fois. Au bout de quelques zigzags, le lieu de rendez-vous est dévoilé. Ce sera la Commission européenne, dont l’imposant bâtiment est soudainement rejoint par une dizaine de personnes. Il faut faire vite: les activistes vident leurs sacs, pour en sortir affiches, tubes de colle forte, mégaphones et autres fumigènes. Les agents de sécurité – qui pensaient peut-être démarrer leur journée calmement – sont pris au dépourvu: voilà que le groupe de militants bloque les portes tambour habituellement empruntées par les eurocrates pour rejoindre les couloirs de la maison-mère européenne.
Blocage de la Commission européenne: «La croissance verte est un mythe»
Chacun connait sa mission. Pendant que les uns collent grandes lettres et affiches de sensibilisation sur les murs, les autres attachent leurs mains au sol et aux vitres de l’institution à grands coups de colle forte, tout en entonnant les slogans du jour: «La croissance verte est un mythe», «Les politiques se remplissent les poches», «Les entreprises doivent payer le vrai coût de leur action».
Wolfgang Cramer, auteur principal du sixième rapport du GIEC, saisit le mégaphone pour répandre plus loin les demandes des trois associations de lutte contre le réchauffement climatique qui participent à l’action. «Alors que les élections se profilent, aucun parti n’inclut la décroissance dans son programme. Pourtant, la science a démontré que croissance économique et efforts climatiques sont incompatibles. Nous avons déjà dépassé six des neufs limites planétaires. Nous en avons marre d’attendre, il faut agir maintenant.»
Tandis que les quelques agents de sécurité déjà sur place s’activent à décoller les affiches, d’autres activistes et scientifiques rejoignent le groupe. Tous font maintenant front devant l’entrée de la Commission européenne. Les employés de l’exécutif européen arrivent au compte-goutte, passablement excédés par ces actions qu’ils voient se répéter au fil des mois. Tous savent qu’ils pourront rejoindre leur bureau par d’autres portes.
«Nous allons droit au désastre»
Finalement, après une heure d’attente, le son des sirènes policières se fait de plus en plus proche, provoquant l’allumage des fumigènes, dernier artifice de la matinée, constituant le clou de cette action spectaculaire. Un fourgon débarque, et un cordon policier s’instaure, tant pour éloigner les journalistes que pour s’occuper des activistes en toute sécurité. Les militants récalcitrants sont forcés de libérer l’entrée, les agents n’hésitant pas à les secouer gentiment si nécessaire. «Je ne suis pas violent!», s’exclame l’un des manifestants. «Pousse-toi, on peut être très chiant, tu sais», lui répond un policier.
Eliott, ingénieur et membre de Growth Kills, détourne le regard de la scène. Il sait que ce moment d’exposition publique de la cause climatique touche à sa fin, le temps des fouilles et des arrestations administratives étant venu. «Nous allons droit au désastre, alors que le monde politique est aligné sur la volonté de croissance infinie. Nous voulons simplement engager le débat, car le PIB n’est plus un bon indicateur de bien-être, et ne prend pas en compte les inégalités». Le jeune homme déplore la relative absence du réchauffement climatique dans cette campagne électorale. «Les politiques ont une dangereuse tendance à sous-estimer les dégâts environnementaux. Conséquence: les citoyens ne pourront pas voter à la hauteur du défi qui nous attend ce dimanche. Il faut arrêter de croire qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini.»