Le SPF Santé publique veut détruire un stock de 207 millions d’euros de produits anti-Covid périmés. Mais celui-ci est l’objet d’un litige avec l’ancien prestataire Medista, qui a obtenu début août, devant la justice, l’interdiction de destruction ainsi qu’un inventaire complet. D’après nos informations, une partie du stock a tout de même été détruite, malgré l’ordonnance du tribunal.
Qu’elle semble loin, la crise covid. Au sein de la dixième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles, ce jeudi 29 août, elle est pourtant partout. Sur les murs, où de vieilles affiches promotionnant le port du masque sont toujours punaisées. Et dans la bouche des avocats de l’État belge, venus défendre la légitimité de la destruction de l’énorme stock stratégique de produits anti-covid (masques, vaccins, etc.), désormais périmés, d’une valeur de 207 millions d’euros. C’est que garder ces produits inutiles coûte passablement cher…
Interdiction d’urgence
Mais voilà, Medista, l’ancien prestataire du SPF Santé publique, chargé pendant de longs mois de stocker et distribuer les vaccins contre le covid au plus fort de la crise, s’est opposé en urgence à cette décision, arrachant le 8 août dernier une ordonnance de ce même tribunal afin d’interdire la destruction annoncée en juin. En cause, le fait que le SPF Santé publique et Medista sont en litige, que ce soit pour le paiement de factures réclamé par l’ancien prestataire (plusieurs procédures de recouvrement sont en cours) ou du coût du déménagement de ce matériel vers les entreprises qui ont remporté le marché public perdu par Medista à l’été 2022. Un événement qui a marqué le début d’une passe d’arme homérique entre l’État et son ancien prestataire, convaincu d’avoir été victime d’un marché truqué. Ce qui n’est pas exclu, si l’on s’en tient aux observations d’un audit fédéral indépendant commandé par le ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit), lequel a abouti à l’ouverture d’une information judiciaire. Pour rappel, une fonctionnaire fédérale, mais aussi un avocat de l’État estampillé Deloitte Legal, sont soupçonnés de «conflit d’intérêts», dixit le rapport. Surprise: les deux avocats venus défendre le SPF Santé publique ce jeudi sont, eux aussi, des «Deloitte Legal».
Nous avons été informés le 26/8 de l’arrêt du tribunal de Bruxelles (…) acceptant la demande de Medista d’arrêter la destruction des vaccins (…). Nous en avons pris note et avons cessé de traiter ces vaccins chez Indaver à Anvers avec effet immédiat.
Saisi en urgence, le tribunal avait interdit toute destruction, et remis à jeudi dernier (29 août) la désignation éventuelle d’un expert en charge d’inventorier le stock à détruire — une demande de Medista. Le tribunal y a accédé, ordonnant «qu’il soit déterminé [quelles marchandises] sont en possession du défendeur (NDLR: l’État belge) que ce soit par l’intermédiaire ou non de Movianto Belgium et de Raes Pharmaceutical Logistics, en leur qualité de prestataires de services du défendeur.» Un huissier, éventuellement accompagné d’un tiers, a été autorisé par le tribunal «à pénétrer dans tout lieu où se trouvent les marchandises».
Ordonnance ignorée
Seul problème, il semble que la destruction avait en fait déjà commencé, et que le SPF Santé Publique s’est sciemment abstenu de communiquer à ses prestataires cette interdiction, y compris après l’ordonnance du tribunal datant du 8 août. L’une des entreprises mandatée à cet effet, Indaver, a ainsi «été informé[e] le 26/8 de l’arrêt du tribunal de Bruxelles (…) acceptant la demande de Medista d’arrêter la destruction des vaccins (…). Nous en avons pris note et avons cessé de traiter ces vaccins chez Indaver à Anvers avec effet immédiat.» Concrètement, c’est Medista qui a elle-même prévenu le prestataire de l’État, le 26, comme Indaver le confirme. En revanche, en ce qui concerne l’attitude du SPF vis-à-vis de l’ordonnance, Indaver explique au Vif n’avoir pas plus d’informations à communiquer.
Interrogé sur cette question précise, le SPF Santé publique fait valoir un «dossier fort complexe», sans plus d’explications. Le cabinet du ministre Vandenbroucke affirme, pour sa part, que le SPF Santé Publique «coopérera pleinement» aux décisions de justice. Sans certifier qu’aucune destruction du stock litigieux, chez Indaver ou un autre prestataire, n’a eu lieu depuis le jugement du 8 août dernier.