La présumée tentative d’assassinat visant le candidat républicain Donald Trump pourrait être motivée par les plans de l’ex-président pour l’Ukraine. De quoi faire de ce conflit (et de la guerre à Gaza) « les » dossiers-clé de la prochaine élection présidentielle américaine? Analyse avec Michel Liégeois, professeur en relations internationales à l’UCLouvain.
La tentative d’assassinat présumée visant Donald Trump est-elle liée à sa position sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine? En attendant l’enquête, un certain Ryan Wesley Routh – militant pro-Ukrainien – a été arrêté aux abords de la résidence de Mar-a-Lago (Floride), où l’ex-président jouait au golf. «Poutine est un terroriste et il faut en finir avec lui. Nous avons donc besoin que tout le monde, dans le monde entier, arrête ce qu’il fait et vienne ici maintenant», avait-il déclaré en avril 2022, alors qu’il participait à une manifestation de soutien aux Ukrainiens piégés dans la ville portuaire de Marioupol.
En cas de confirmation par les services secrets américains, il s’agirait de la deuxième tentative d’assassinat à l’encontre de Donald Trump, en l’espace de deux mois seulement. Le Kremlin, qui a réagi à l’incident, y voit une intensification de la campagne électorale. «Nous suivons bien sûr de près les informations qui nous parviennent des États-Unis, nous voyons à quel point la situation y est tendue, y compris entre rivaux politiques, la lutte politique s’intensifie et diverses méthodes sont employées» a dit Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence russe.
La politique étrangère des candidats, facteur décisif pour la présidentielle?
Ces incidents peuvent-ils influencer le comportement de vote des citoyens américains? «Ces tentatives d’assassinat n’ont qu’un effet limité sur les intentions de vote: elles ne convaincront pas les électeurs indécis de se tourner vers Trump. Par contre, elles peuvent souder un camp républicain galvanisé par ces événements», analyse Michel Liégeois. Habituellement, rappelle le professeur en relations internationales à l’UCLouvain, le scrutin présidentiel ne se joue pas sur les dossiers internationaux. Mais cette fois-ci, la donne pourrait changer: les sondages – toujours à prendre avec des pincettes – prédisent une course à la Maison Blanche très serrée.
«L’issue dépendra du nombre de swing states (Etats pivots, qui basculent d’un camp à l’autre de l’échiquier politique en fonction des élections) remporté par chaque candidat», précise Michel Liégeois. Qui identifie une première niche d’électeurs pouvant peser dans la balance: «Il y a une minorité polonaise aux Etats-Unis, qui historiquement regarde la Russie comme une puissance hégémonique dangereuse, et se place du côté de l’Ukraine. Ces immigrés polonais ont sollicité Joe Biden aux dernières élections.»
Opposés sur le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine…
Consciente que ces voix seront peut-être précieuses lors du dépouillement des urnes, la candidate démocrate Kamala Harris s’est montrée catégorique lors de son discours d’investiture, prononcé à Chicago en août dernier: «En tant que présidente, je resterai ferme aux côtés de l’Ukraine et de nos alliés de l’OTAN.» L’actuelle vice-présidente de Joe Biden a promis qu’elle continuerait à soutenir pleinement l’Ukraine et que «contrairement à Donald Trump», elle ne ferait pas «ami-ami avec des dictateurs».
Une position qui contraste avec celle tenue par Donald Trump et son colistier JD Vance. Le premier a affirmé que s’il était élu, il parviendrait «avant même de devenir président» à mettre fin à la guerre en Ukraine «en 24 heures», grâce à «un plan très précis». Son colistier JD Vance s’est chargé d’en dévoiler les détails par la suite. En cas de victoire à la prochaine présidentielle, les Républicains prévoient l’instauration d’une «zone démilitarisée» sur le territoire ukrainien, le long de la ligne de front. Implicitement, la démarche consisterait en un relatif abandon de l’Ukraine, dont les 18% de territoire aujourd’hui grignotés par l’envahisseur russe seraient perdus. Sans surprise, Vance et Trump ne veulent pas que Kiev intègre l’Otan. JD Vance a même suggéré que des soldats américains seraient engagés en Ukraine, se demandant «combien de vies américaines cela coûterait-il?».
…et sur la guerre à Gaza
Qu’en est-il du conflit israélo-palestinien: pourrait-il faire gagner/perdre l’un ou l’autre candidat à la présidence des Etats-Unis? D’après Michel Liégeois, la probabilité est en tout cas plus élevée que pour le conflit russo-ukrainien. «Dans le Michigan, il y a une poche de jeunes électeurs arabo-musulmans et propalestiniens, habituellement favorables aux Démocrates. Ceux-ci ont déjà indiqué qu’ils pourraient s’abstenir, si les Etats-Unis ne prenaient pas leurs distances vis-à-vis d’Israël.» Peu de risque, cependant, que leur vote bascule vers les Républicains, estime le chercheur.
Une pression venue des soutiens à la Palestine qui, apparemment, a déjà produit ses effets, visibles dans le discours d’investiture de Kamala Harris. «Je défendrai toujours le droit d’Israël à se défendre, et je veillerai toujours à ce qu’Israël ait la capacité de se défendre. (…) En même temps, ce qui s’est passé à Gaza au cours des dix derniers mois est catastrophique. (…) Les otages seront libérés, les souffrances à Gaza cesseront et le peuple palestinien pourra exercer son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à l’autodétermination.» Michel Liégeois y voit un recentrage du discours démocrate sur le dossier israélo-palestinien. «Elle a essayé de ne pas prendre position pour l’un ou l’autre camp, ce qui est toujours un exercice d’équilibriste, particulièrement aux Etats-Unis. Lors de ce discours, elle a fait un clin d’œil appuyé à l’électorat propalestinien du Michigan.»