L’hiver approchant, de nombreux Belges vont opter pour une cure de vitamine D sous la forme de médicament ou de complément alimentaire. Une démarche qui peut avoir du sens, à condition de rester mesurée.
Certains déclenchent leur routine saisonnière lors du passage à l’heure d’hiver, d’autres au début d’un mois symbolique, à mesure que le soleil se fait de plus en plus rare: c’est la saison des cures de vitamine D. Une fois convertie dans sa forme active, le calcitriol, par le foie puis par les reins, elle contribue à la solidité du squelette et au bon fonctionnement des muscles. Or, sous nos latitudes, les concentrations de vitamine D dans l’organisme chutent durant les mois d’hiver. Sa production résulte essentiellement de l’exposition du corps humain à la partie ultraviolette (UV) des rayons du soleil. Dans l’alimentation, seuls les poissons gras et les abats en procurent de manière significative. En conséquence, de nombreuses marques proposent aujourd’hui des médicaments et des compléments alimentaires de vitamine D, en solution à diluer ou en pastilles.
Une déficience, et non une carence en vitamine D
Du fait du manque de soleil en hiver, il est souvent question de «carence en vitamine D». Un terme galvaudé, y compris par certains professionnels, regrette Etienne Cavalier, chef de service du laboratoire de chimie clinique au CHU de Liège et professeur à l’ULiège: «Une carence aboutit à des maladies telles que le rachitisme chez les enfants et l’ostéomalacie (un défaut de minéralisation des os) chez les adultes. Mais vous pouvez très bien présenter une faible concentration en 25-hydroxyvitamine D, le métabolite mesuré au laboratoire pour évaluer les réserves en vitamine D, sans que cela pose problème. Dans la plupart des cas, on parle donc tout au plus d’une déficience en vitamine D.»
Quels symptômes en cas de déficience?
Le manque de vitamine D n’est problématique qu’en cas de carence. «Suite à des comportements inappropriés de la part de parents qui n’alimentent pas correctement leur enfant ou ne les laisse pas sortir, nous avons revu des cas de rachitisme dans la région liégeoise, commente Etienne Cavalier. A travers le monde, souligne-t-il encore, plusieurs études révéleraient une résurgence de cette pathologie, décrite il y a plus de 300 ans et qui toucha beaucoup d’enfants en Europe lors de la révolution industrielle. Le phénomène concernerait surtout les populations précarisées. En revanche, contrairement à une idée reçue, une déficience plus classique en vitamine D n’entraîne généralement aucun symptôme chez l’individu concerné, pas même une fatigue accrue ni nécessairement des douleurs musculaires.
A moins de souffrir d’une pathologie qui le nécessite, il est superflu de faire contrôler sa concentration en 25(OH)-vitamine D sanguine, souligne le professeur de l’ULiège. «C’est inutilement coûteux pour la collectivité. En Belgique, l’Inami a d’ailleurs restreint de manière très judicieuse le nombre de déterminations à maximum une fois par an pour la population globale, ce qui reste encore beaucoup. Ce dosage doit être réservé aux patients pour qui une supplémentation en vitamine D est médicalement justifié, chez qui un contrôle plus fréquent peut s’avérer nécessaire.» En conséquence, le Belge lambda n’a pas besoin d’une prise de sang pour envisager une petite cure de vitamine D.
Quel est l’apport idéal?
Pour éviter le rachitisme ou l’ostéomalacie, il faut éviter que la concentration sanguine en 25(OH)-vitamine D soit inférieure à 10 nanogrammes par millilitre de sang. Par contre, pour bénéficier des effets positifs de la vitamine sur, par exemple, les infections respiratoires hivernales, on visera plutôt une concentration tournant autour de 20 nanogrammes par millilitre. Les études épidémiologiques ont défini un taux de concentration recommandé en vitamine D de 20 nanogrammes par millilitre de sang. Ce taux peut être plus élevé dans certains cas de figure: «Chez les patients souffrant d’ostéoporose, il doit se situer entre 30 et 40 nanogrammes par millilitre», explique l’expert. La prise de vitamine D est aussi nécessaire pour les personnes avec un by-pass ou celles qui souffrent d’insuffisance rénale. Et peut constituer un adjuvant utile pour certaines catégories de la population. «A exposition égale aux ultraviolets, une personne âgée synthétisera bien moins de vitamine D que les plus jeunes, illustre Etienne Cavalier. Une personne à la peau noire devra, elle, absorber jusqu’à dix fois plus d’ultraviolet qu’une autre à la peau claire pour obtenir la même quantité de vitamine D.»
Pour le grand public, la prise de vitamine D se mesure en «unités internationales» (UI), une abréviation que l’on retrouve d’ailleurs sur les boîtes de médicaments et de compléments alimentaires. En Belgique, le Belgian Bone Club, une organisation scientifique dédiée aux maladies osseuses, préconise d’opter pour des compléments en vitamine D de 800 à 1.000 UI par jour chez les adultes, et de ne pas dépasser 400 UI chez les enfants. «Chez les jeunes filles, au moment de la puberté, on peut envisager une supplémentation plus importante, de l’ordre de 800 UI, tout en veillant à leur apport en calcium, précise Etienne Cavalier. C’est en effet à ce moment qu’elles emmagasineront un maximum de masse osseuse, masse qu’elles pourront perdre à la ménopause.»
Je suis assez horrifié de voir que certains professionnels de la santé proposent d’emblée des doses de 3.000 UI par jour.
Gare aux surdosages
La vitamine D ne serait pas particulièrement toxique, contrairement à ce que pensait une partie de la communauté scientifique il y a une vingtaine d’année, relève l’expert. Cela a conduit à l’apparition de médicaments et de compléments alimentaires de plus en plus dosés. «Or, quand on prend de trop fortes doses, on stimule le catabolisme de la vitamine D, entraînant l’organisme à la détruire. Nous n’avons aucune information sur l’innocuité à long terme de ces doses quotidiennes importantes, notamment chez les jeunes. Le risque de calciurie et, à terme, de lithiase et d’insuffisance rénale avec ces doses massives n’est pas du tout négligeable. «Je suis assez horrifié de voir que, pour une simple cure hivernale, certains professionnels de la santé proposent d’emblée des doses de 3.000 UI par jour, par exemple. Arrêtons de donner des doses massives à tout le monde.» D’autant que le surdosage peut aussi découler d’une accumulation de compléments alimentaires qui, pris isolément, ne s’avèrent pas problématiques. «La vitamine D, on la retrouve souvent dans les compléments pour 50 ans et plus. Dans d’autres pays, la littérature a déjà démontré que l’on peut passer à un facteur x10.»
Il convient donc de rester mesuré par rapport aux compléments en vitamine D. Il peut s’agir d’un dosage journalier, hebdomadaire ou mensuel, mais certainement pas annuel. En Australie, une étude avait constaté que les personnes ayant reçu une dose massive de vitamine D en une seule prise chutaient plus fréquemment que les autres. Même si le doute persiste quant aux interprétations possibles, il n’est pas exclu, conclut l’expert, qu’un surdosage puisse mener à une toxicité neuromusculaire encore méconnue.