Les toutous sont de plus en plus considérés comme des membres à part entière du cercle familial. Au point que leurs «dog parents» revendiquent de les amener au bureau.
Dans son enquête Toutoute, la nouvelle place des chiens dans nos vies (Editions Fayard, 2024), Mylène Bertaux explore l’essor des «dog parents», ces propriétaires canins qui considèrent leur animal comme un membre à part entière de leur famille, jusqu’à l’appeler «mon bébé». «Un changement radical s’est opéré en une génération: le chien est passé de la niche au canapé, et du canapé au lit et à la poussette, écrit la journaliste. Les propriétaires veulent le meilleur pour lui, que ce soit dans l’alimentation que dans la gestion de l’espace public.»
Ce phénomène de «dog parenting» a explosé depuis le Covid. Le chien a bénéficié, durant la pandémie, de la présence de son «dog dad» et/ou de sa «dog mum», et vice-versa, à des horaires où ses dog parents sont habituellement absents. Et, depuis le retour massif en présentiel, ceux-ci culpabilisent plus encore d’«abandonner» leur compagnon seul une journée entière, à tel point que certains ont décidé de reprendre le chemin du bureau avec Médor, quand d’autres y sont retournés le coeur brisé.
La pratique est courante aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas, plus marginale en Belgique et en France. Mais, beaucoup d’entreprises y réfléchissent, et certaines ont déjà franchi le pas, à l’instar de Nestlé, Editions Venture, Spike Communication ou Qualifio. Car autoriser les cabots au travail permettrait d’attirer des jeunes talents, mais aussi de faire revenir les télétravailleurs en présentiel, particulièrement les moins de 35 ans, désormais les plus nombreux à avoir un chien, et ce devant les seniors. Selon une enquête Ipsos, réalisée en 2021 à la demande de l’association de protection des animaux Gaia, les toutous sont acceptés dans près d’une entreprise sur… deux (52% en Wallonie, 44% à Bruxelles et 39% en Flandre).
Venir travailler avec son chien: une revendication?
Débarrassés du souci de laisser Nova ou Rio seul(e) et rassurés par la présence au pied de leur bureau, ces salariés seraient plus engagés dans leur travail. Les chiens parviendraient même à atténuer les tensions dans l’open space. En effet, s’ils ont l’air de ne rien faire, ces «collègues» adoucissent la vie de bureau: selon un sondage, commandé en 2024 auprès d’iVox par l’un des leaders du marché des aliments pour chiens et chats, Mars Belgium (qui accueille les toutous dans ses bureaux depuis vingt ans), sept employés sur dix affirment que le canidé a un impact positif sur leur travail. En sa présence, 60% des sondés se sentent moins stressés, 60% se pensent plus motivés, 64% trouvent que l’ambiance dans les équipes s’améliore et 50% qu’elle stimule la mobilité et des pauses de qualité améliorant ensuite leur productivité. Le toutou, comme individu et comme sujet de discussion, se révèle donc un nouveau «vecteur de lien et d’engagement». L’écrasante majorité des animaux acceptés sur les lieux de travail sont d’ailleurs des chiens. Difficile, en effet, de faire cohabiter chiens et chats, ces derniers supportant mal les déplacements et étant plus indépendants, plus autonomes.
De possibilité, venir travailler avec son chien au bureau tend aujourd’hui à devenir une revendication: toujours selon Mars Belgium/iVox, la moitié des employés souhaiteraient que les chiens soient davantage acceptés en entreprise. Et près de 40% affirment qu’un lieu de travail favorable aux chiens les influencent dans le choix d’un nouvel employeur. Evidemment, tout le monde – dont les phobiques et les allergiques – n’apprécient pas une telle perspective. Et certains environnements professionnels, dans l’industrie ou les services sanitaires, la proscrivent dans leur règlement d’intérieur. Dans la loi, en revanche, aucun texte n’interdit la présence d’un animal de compagnie au travail, à l’exception des administrations publiques, où elle demeure formellement proscrite. Une entreprise est libre d’accorder l’autorisation à ses collaborateurs de venir travailler avec leur chien, ou de la refuser. Pour autant, tout est affaire de proportions et d’organisations. Proportions, car il y a chien et chien. L’accueil ne se comprend que pour des canins gentils, calmes et affectueux, bien élevés, obéissants. Pour porter ses fruits, la pratique doit être encadrée. Or, à peine 8% des entreprises wallonnes et 15% des entreprises bruxelloises disposent d’une politique claire concernant les chiens sur le lieu de travail, selon Gaia, qui propose un modèle de charte des bonnes pratiques afin d’éviter tout malentendu. Elle peut intégrer plusieurs éléments, notamment les jours et/ou les heures autorisées, sous la forme d’un planning précis; les zones accessibles et celles interdites; le fait que les chiens doivent être propres, à jour en matière de vaccination et de traitements antiparasitaires; le fait que les propriétaires sont responsables des déjections de leur compagnon et des éventuelles dégradations… La preuve que Médor, s’il est le plus sympa de l’open space, n’est pas un collaborateur comme les autres: quand un collègue peut déborder sur la lunette des toilettes, le toutou, lui, peut s’oublier sur la moquette.