La cérémonie en grande pompe organisée par Pairi Daiza à l’occasion du départ de ses trois bébés pandas témoigne des enjeux diplomatiques que revêtent ces ursidés sur la scène politique internationale. Décryptage.
Une nouvelle page de leur vie s’écrit». Mercredi matin, Tian Bao, Bao Di et Bao Mei ont foulé le sol chinois pour la première fois de leur existence. Les trois jeunes pandas, nés à Pairi Daiza en 2016 et 2019, ont quitté leurs parents mardi pour rejoindre un centre de recherche et d’élevage dans la province de Sichuan. Pour honorer le départ des ursidés, le parc animalier de Brugelette a organisé une cérémonie d’adieux en présence d’invités de marque, parmi lesquels Fei Shengchao, ambassadeur de Chine en Belgique et Adrien Dolimont, Ministre-Président de la Wallonie. Une célébration en grande pompe, à la hauteur des enjeux que représentent les pandas pour la diplomatie chinoise.
Loin d’être anodines, ces géantes boules de poils font partie intégrante de la politique étrangère de la Chine depuis des siècles. Véritables «trésors nationaux» mais également symboles de paix, les pandas ont longtemps été offerts à des pays tiers comme marqueurs d’amitié. C’est sous la Dynastie Tang, au VIIe siècle, que la pratique aurait vu le jour: Wu Zetian, alors impératrice chinoise, aurait fait cadeau de deux pandas géants à l’empereur japonais en hommage à leur lien indéféctible. Dans l’histoire contemporaine, c’est à partir de 1949 que la «diplomatie du panda» se popularise, sous l’égide du communiste Mao Zedong. Entre 1957 et 1982, Pékin offre ainsi 23 pandas à neuf pays différents, dont les Etats-Unis, permettant une reprise progressive des relations diplomatiques et commerciale entre les deux Etats alors plongés en pleine guerre froide.
Un capital sympathie indéniable
Remise en question par les associations environnementales dans les années 1980, (période à laquelle le panda devient une espèce protégée), la pratique cesse temporairement. Avant de se transformer en business plus lucratif pour la Chine qui, au lieu d’offrir les mammifères, les confie à des zoos étrangers sur une période déterminée contre quelques millions de dollars par an. Les parcs animaliers sélectionnés sont alors tenus d’encourager leur reproduction, avant de retourner les bébés pandas à la Chine à l’âge adulte. C’est sur la base de cette collaboration que Pairi Daiza avait accueilli Hao Hao et Xing Hui en février 2014. Contrairement à leurs enfants, ils resteront sur le sol belge jusqu’à la fin du partenariat entre la Belgique et la Chine, fixée en 2029.
La «diplomatie du panda» fait partie de la panoplie des outils de soft power utilisés par Pékin sur la scène internationale. «La pratique permet d’asseoir l’influence de la Chine de manière feutrée, observe Sebastian Santander, professeur de relations internationales à l’ULiège. Elle lui permet de nouer ou de consolider ses relations diplomatiques en évitant d’aborder des questions économiques ou politiques plus contraignantes.» Le capital symathie du panda, mammifère paisible et maladroit, permet également d’adoucir l’image autoritaire et rigoriste de la Chine, complète l’expert.
Retombées économiques
Pour Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, le prêt de pandas s’apparente à «un thermomètre symbolique de la qualité des relations entre la Chine et les pays tiers». Généralement, un nouveau partenariat est le signal que les liens entre les deux Etats sont plutôt au beau fixe, alors que la fin d’une collaboration est plutôt synonyme de délitement de ceux-ci. «Il y a d’ailleurs déjà eu des cas d’utilisation à l’envers de la diplomatie du panda, rappelle l’expert. Si le gouvernement chinois est réellement mécontent d’une prise de position des dirigeants locaux (sur Taïwan, par exemple), il peut décider de récupérer ses animaux en guise de sanction.»
Car pour le pays tiers, la présence de pandas sur son territoire génère indéniablement des retombées positives, malgré le prix à payer pour la «location». L’animal, très en vogue, attire les curieux et contribue au rayonnement économique de la région-hôte. «L’arrivée de ces pandas nous a permis de nous faire connaître auprès de nos amis flamands, qui sont de plus en plus nombreux à venir visiter le parc depuis, commente d’ailleurs Eric Domb, directeur de Pairi Daiza auprès de nos confrères de la RTBF. (…) Une dynamique positive s’est installée, renforçant la notoriété du parc et augmentant sa fréquentation.»
La diplomatie du ping-pong
Au-delà des pandas, la Chine a mis sur pied d’autres stratégies pour renforcer son influence à l’étranger. «La multiplication des instituts Confucius dans de nombreuses villes occidentales contribue par exemple à la promotion de la culture et de la langue chinoise sur la scène internationale», illustre Sebastian Santander. Dans les années 1970, Pékin a également développé la «diplomatie du ping pong» pour renforcer ses relations avec les Etats-Unis. «A l’époque où Richard Nixon et Henri Kissinger souhaitaient contrecarrer l’influence soviétique dans le monde, une grande compétition de ping-pong a été organisée entre Chinois et Américains. Les premiers ont eu la décence de ne pas écraser les seconds, ce qui a ensuite contribué à des rapprochements entre les deux pays sur les plans économiques.» Cette mobilisation de la pratique du sport à des fins diplomatiques s’observe également lors des Jeux Olympiques, constate Michel Liégeois. «A plusieurs reprises dans l’Histoire, des pays en guerre ont accepté de participer à ces compétitions dans le pays rival. Les rencontres entre athlètes permettent de prouver, symboliquement, qu’il subsiste un espoir de réconciliation en dépit d’un conflit armé.»
Malgré leur vocation à «mettre de l’huile dans les rouages», la portée de ces pratiques diplomatiques ne doit pas être surestimée, nuance toutefois Michel Liégeois. Surtout dans le cas des relations entre la Chine et l’Union européenne ou les Etats-Unis, dont les enjeux dépassent largement la dimension culturelle et sportive. «Ces éléments annexes ne sont pas en mesure de détourner l’attention des dossiers polémiques, comme la question des droits de douane, des partenariats commerciaux, de la violation des droits de l’Homme ou de la place de Taïwan», tranche l’expert.