La présence de troupes européennes en Ukraine n’est plus exclue. Le retour de Trump a fait office de décapsuleur. Dans l’optique d’un conflit gelé, l’Europe devrait jouer un rôle majeur dans la garantie de sécurité du territoire ukrainien. Reste à savoir sous quelle forme.
En un an, les lignes du front en Ukraine ont peu évolué. Le discours diplomatique européen, lui, a subi plusieurs révolutions. L’idée de négociations entre l’Ukraine et la Russie est désormais monnaie courante. Les décisions politiques, aussi, ont encaissé quelques sursauts. Le plus saillant d’entre eux? Les autorisations occidentales pour utiliser les missiles à longue portée sur le territoire russe, à n’en pas douter. Mais 2025 pourrait marquer une nouvelle ère: celle de la présence de troupes européennes sur le sol ukrainien.
Jusqu’ici taboue, la possibilité est désormais régulièrement évoquée par les dirigeants européens. Récemment, la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock, la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, ou encore le premier ministre polonais Donald Tusk n’ont tous pas exclu l’éventualité de voir des troupes européennes sur le sol ukrainien. Certainement pas pour combattre directement, mais bien pour assurer des garanties de sécurité en vue d’un possible accord de cessez-le-feu.
Protéger un conflit gelé en Ukraine
Le 20 janvier, date de l’investiture de Donald Trump aux Etats-Unis, sera un tournant dans la suite des événements concernant la guerre en Ukraine. Ce n’est plus un doute: les discussions suivront rapidement pour statuer sur le sort de l’Ukraine, et déterminer les solutions diplomatiques et militaires.
«Le scénario le plus plausible serait la solution d’un conflit gelé à la coréenne, estime Estelle Hoorickx, chercheuse au Centre d’études de sécurité et défense (CESD). On ne parle donc pas de paix, mais d’arrêts temporaires des combats sur le terrain.»
Cet accord de trêve devra être négocié par les Ukrainiens et les Russes, avec les Etats-Unis comme arbitre. Les Européens espèrent aussi jouer un rôle central à la table des discussions, car leur sécurité est directement liée. «En fonction de ce qui sera décidé dans les semaines à venir, les Ukrainiens vont certainement demander des garanties de sécurité. Car les territoires seront concédés de manière temporaire, mais pas définitive. Ces garanties occidentales devront dissuader la Russie de profiter de cet arrêt probable des combats pour s’en prendre à d’autres régions de l’Ukraine.»
Troupes UE en Ukraine: «Le sujet n’est plus tabou»
C’est donc dans cette optique sécuritaire que les discussions politiques évoquent à nouveau la présence européenne en Ukraine. L’idée n’est pas neuve: Emmanuel Macron l’avait évoquée en février. Mais il laissait supposer une participation directe aux combats. Sa sortie avait d’ailleurs suscité des réactions pas toujours enjouées d’autres pays européens. Désormais, la logique de la présence européenne s’inscrit dans un aspect purement protecteur et dissuasif, à l’instar de ce qui est déjà fait dans les pays baltes ou en Roumanie. «Avec le retour de Trump, le sujet n’est plus aussi tabou qu’avant, commente Estelle Hoorickx. Les pays de l’UE se rendent compte qu’ils pourraient devoir assurer la sécurité du Vieux Continent, sans l’appui américain ou avec une aide réduite de leur part.»
Aujourd’hui, la question n’est plus vraiment de savoir si les militaires européens mettront le pied en Ukraine, mais bien quel rôle ils y joueront. «Déterminer précisément les lieux et les buts des éventuels déploiements n’est pas possible à l’heure actuelle», tempère Estelle Hoorickx. Cette aide serait en tout cas exclusivement défensive ».
Ukraine: des accords bilatéraux entre pays?
Le type de forces mises en place (militaires ONU, des militaires Otan avec un mandat ONU?), ainsi que le type de défense (terrestre, anti-aérienne, no-fly zone?) restent toutefois à déterminer. «On peut imaginer que des troupes otaniennes seront déployées plus massivement encore dans des pays limitrophes à l’Ukraine, comme la Pologne, déduit la spécialiste de de l’Otan. A côté de cela, certains pays -tels que la France et le Royaume-Unis- sont déjà en discussion pour travailler de manière coordonnée en faveur de l’Ukraine».
Certains pays -tels que la France et le Royaume-Unis- sont déjà en discussion pour travailler de manière coordonnée en faveur de l’Ukraine.
Donald Tusk, Premier ministre polonais, essaie également de rassembler des pays baltes et scandinaves autour de lui. Dans tous les cas, les pays européens de l’Otan seraient donc davantage à la manœuvre que les Etats-Unis, même si ces derniers détermineront grandement la direction prise. C’est toute l’ironie de la situation.
«Les Etats-Unis ont besoin de l’Otan»
De son côté, Donald Trump répète qu’il conditionnera son aide aux pays de l’Otan selon ce que chaque membre est prêt à investir pour l’organisation –les fameux 2% du PIB requis. «Il est dans une logique transactionnelle en faveur des États-Unis, même si un retrait immédiat des Américains de l’Otan semble peu probable en raison des enjeux économiques. Par ailleurs, l’Otan reste un élément central de projection de puissance de Washington», rappelle Estelle Hoorickx.
L’Otan reste un élément central de projection de puissance de Washington.
Dans son discours, Zelensky semble de plus en plus enclin à accepter l’idée de négociations, alors que l’option était encore exclue il y a un an. «Il n’a pas trop le choix. Lorsque l’aide américaine avait été bloquée par le Congrès pendant six mois (d’octobre 2023 à avril 2024), les Ukrainiens s’étaient trouvés dans une situation très compliquée. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’on est passé dans une guerre d’attrition et que les Ukrainiens n’ont plus été en mesure de mener des contre-offensives. Sans une aide importante des Américains, Kiev n’aura plus les capacités de prendre l’initiative.»
Un accélérateur de particules vers l’UE?
Pour l’Ukraine, héberger des troupes européennes sur son sol est peut-être l’opportunité d’une transition accélérée vers l’Otan… voire l’UE. «L’Otan a toujours dit que l’avenir de l’Ukraine était dans l’Otan, même si ce n’est pas pour tout de suite. En revanche, le rapprochement de l’Ukraine avec l’UE pourrait s’accélérer dans le contexte de futurs pourparlers», observe la chercheuse du CESD.
La présence de troupes européennes en Ukraine peut paraître risquée à certains égards, dans le sens où le moindre dérapage pourrait favoriser un contact direct. «C’est ce que craignent les Occidentaux depuis 2022. C’est l’argument qui a toujours mis en avant pour ne pas envoyer de troupes. Mais on n’est est plus là, d’autant plus que ces garanties de sécurité devront faire l’objet d’un accord avec la Russie. Les Occidentaux et les Européens en particulier ne seraient donc certainement pas dans une logique d’escalade, mais bien dans un processus de résolution provisoire du conflit.»
Le rapprochement de l’Ukraine avec l’UE pourrait s’accélérer dans le contexte de futurs pourparlers.
Il est en effet peu probable de voir les Ukrainiens prêts à céder des territoires de manière définitive, car cela remettrait en cause leur souveraineté. «La situation sur le terrain est compliquée pour les deux parties. D’ici le printemps 2025, on parle d’ailleurs d’un probable étiage des capacités militaires russes. La Russie sait que sa position de force actuelle sur le terrain ne va pas durer. Il est donc aussi à son avantage de négocier quelque chose maintenant.»