La fatigue informationnelle est ressentie par quatre Belges sur dix. Un état subjectif qui peut aller jusqu’à provoquer des effets délétères sur la santé mentale.
Les lecteurs et auditeurs sont fatigués. Ce sentiment d’oppression, de fatigue, d’anxiété, de découragement face à l’information est ressenti par 54 % des Français, selon l’enquête de la fondation Jean Jaurès, l’ObSoCo et Arte, dont le deuxième volet est paru le 11 décembre dernier.
«C’est un phénomène qui a été observé en Belgique, et un peu partout dans le monde, depuis la crise du Covid», commente Grégoire Lits, professeur à l’Observatoire de recherche sur les médias et le journalisme de l’UCL. Quatre Belges sur dix se trouveraient d’ailleurs dans ce cas, selon une étude de l’institution qui date de 2023 .
La fatigue informationnelle est une sensation qui survient face à l’abondance d’informations anxiogènes qui circulent dans l’espace médiatique, auquel «il est difficile d’échapper en raison des méthodes de communication actuelles», commente Olivier Luminet, professeur en psychologie de la santé à l’UCLouvain et directeur de recherche FRS-FNRS.
Ce sentiment est alimenté par «la montée des médias sociaux», et la période anxiogène, explique Grégoire Lits. Pandémie, guerre en Ukraine et au Proche-Orient, crises politiques, dérèglement climatique… L’actualité de ces dernières années n’est pas des plus réjouissante. De plus, à l’heure du numérique, tout un chacun est constamment envahi d’informations et de notifications qui sont «cognitivement difficiles à gérer».
Burn-out médiatique?
«La fatigue est un terme général mis à toutes les sauces», tranche Fabienne Collette, neuropsychologue à l’ULiège et directrice de recherche FRS-FNRS. Il s’agirait plutôt d’une surcharge cognitive liée à l’information. L’attention humaine est constamment stimulée et fractionnée par les alertes en tout genre reçues sur les smartphones et ordinateurs. Ce va et vient rapide et incessant entre le téléphone et une tâche en cours de réalisation ou entre différentes informations entraîne de la fatigue car l’humain «n’est pas programmé à faire du multitâches sur une longue période», explique la neuropsychologue.
Anxiété, dépression, mal être, charge mentale… Chez certains, cette surcharge informative va même jusqu’à provoquer des effets délétères sur la santé, apparentés à un burn-out médiatique. En France, 51 % des sondés ressentent du stress face à un trop plein d’informations. La teneur anxiogène de l’actualité peut aussi provoquer «un sentiment d’incertitude et d’impuissance face à l’avenir», renchérit l’experte. C’est le principe de l’éco-anxiété. «Mais je ne distinguerais pas la fatigue liée au mode de vie de celle informationnelle».
La fatigue informationnelle «n’est pas un diagnostic», recadre Olivier Luminet. C’est un état subjectif qui reflète «une difficulté à gérer des émotions par rapport à l’information.» Une personne soumise aux mêmes informations, au même rythme, ne va pas réagir de la même manière qu’une autre en fonction de son état émotionnel ou de ce qu’elle a vécu dans le passé, complète Fabienne Collette. «Trop d’informations négatives ne fait pas nécessairement de vous quelqu’un de déprimé».
Le rôle des médias
Pour les chercheurs, les médias participent à alimenter ce phénomène. Soumis à des enjeux économiques et commerciaux, ils jouent sur l’émotion pour attirer les lecteurs. «Des titres accrocheurs provoquent des pics de stress, qui sont délétères à trop grande dose», affirme la neuropsychologue. Et le négatif fait plus vendre que le positif. «Mais les médias traditionnels en sont conscients, note Grégoire Lits. Des efforts sont faits pour mettre en lumière les solutions et pas seulement les problèmes de la société, ou parler de nouvelles positives».
Pour se prémunir de la fatigue informationnelle, il ne faut pas avoir peur de se couper de l’information de temps en temps, avance Fabienne Collette. Il faut surtout mieux gérer son contact avec les médias pour prendre le temps de digérer une information, vérifier ses sources, et se tourner vers des médias qui proposent des analyses, et de la réflexivité renchérit Olivier Luminet. «Il vaut mieux s’accorder 30 minutes pour lire un article de fond plutôt que passer dix minutes plusieurs fois par jour sur son téléphone à scroller les fils info».
Car en réaction à la fatigue informationnelle, certains préfèrent se couper complètement des médias et de l’actualité. Une stratégie dangereuse, selon le professeur en psychologie, qui déconnecte du fonctionnement de la société. La pluralité de l’information est nécessaire à la bonne santé démocratique d’un pays.