Après avoir fait officiellement sept millions de morts, le Sars-CoV-2 est devenu une pathologie moins dangereuse, même si elle reste plus létale que la grippe. Du moins, pour l’instant.
C’est une propagation mondiale, foudroyante et rarement vue dans l’histoire récente des pandémies, comparable par son ampleur à la grippe espagnole de 1918. Depuis le 31 décembre 2019, date des signalements des premiers cas, une grande partie de la population humaine a été contaminée par le Covid, une maladie infectieuse due au virus Sars-CoV-2.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur les 776,8 millions de personnes infectées et recensées en cinq ans, 6,9 millions sont décédées –et les chiffres sont sûrement plus élevés. En Belgique, on comptabilisait en 2024 un bilan d’au moins 34.327 morts. Cinq ans après son apparition, le Covid s’est toutefois normalisé, voire banalisé, s’installant durablement parmi les infections respiratoires aiguës.
«La grande surprise fut le pouvoir formidablement évolutif du virus sur une si courte période et à une telle vitesse. C’est du jamais-vu, analyse Emmanuel André, médecin microbiologiste à l’UZ Leuven et professeur de biologie clinique à la KU Leuven. Il a exploré un extraordinaire potentiel de mutations favorables pour s’adapter et poursuivre sa propagation et ce, alors que la population s’est progressivement immunisée par infection et par vaccination.» Alpha, bêta, gamma, delta… De la souche originelle identifiée à Wuhan à Omicron, l’agent infectieux a engendré, pour s’adapter et contourner les défenses immunitaires, une «soupe» de variants jugés préoccupants et acquérant, de ce fait, de nouvelles propriétés en matière d’échappement immunitaire, de transmissibilité et de virulence. Tous étaient des sous-types de «Wuhan», avec la même racine génétique. Et si, entre-temps, nombre d’entre eux ont été aussi vite enterrés que supplantés, le variant Omicron règne désormais en maître absolu depuis son émergence fin 2021 dans le sud de l’Afrique.
La grande surprise a été le pouvoir formidablement évolutif du virus sur une si courte période et à une telle vitesse. C’est du jamais-vu.
Ses rejetons sont néanmoins très nombreux. Les scientifiques ont ainsi observé de nombreux sous-lignages, eux-mêmes à l’origine d’innombrables sous-variants aux noms imprononçables, suites de chiffres et de lettres pour désigner leur filiation. Le dernier à s’être imposé s’appelle JN.1. «Depuis l’automne, circulent des dérivés de la séquence JN.1, c’est-à-dire KP.3 et ses variations, ainsi que des recombinants XEC, qui dérivent de JN.1 et d’un autre lignage», précise Emmanuel André. Tous, en tout cas, ne présentent pas de grandes variations des antigènes, les fragments du virus reconnus par le système immunitaire, par rapport à JN.1. Ils n’ont donc pas de conséquences sur l’efficacité des anticorps générés par un vaccin ou une infection ancienne par un virus proche de JN1.
Omicron, la bascule
Concrètement, les variants circulant avant l’apparition d’Omicron visaient essentiellement les voies pulmonaires basses, c’est-à-dire la trachée, les bronches et les poumons, provoquant des atteintes sévères. Ceux appartenant à la famille Omicron se logent, à l’inverse, dans les voies aériennes supérieures (du nez au larynx). «On comprend que le Sars-CoV-2 ait eu davantage intérêt à viser le haut des voies respiratoires. Il se propage alors directement par le biais de microgouttelettes émises par la toux et les éternuements, indique Steven Van Gucht, virologue auprès de l’institut de santé publique Sciensano. En revanche, isolé dans les poumons, le virus se transmettait moins aisément.»
Ce changement de comportement du virus fut un véritable tournant: moins sévère, Omicron provoque des formes moins graves de la maladie, mais il possède un superpouvoir de transmission. C’est d’ailleurs ce rythme de propagation jamais vu qui lui a permis d’évincer tous les autres et de devenir hégémonique. «Ce raz-de-marée d’infections par Omicron fin 2021-début 2022, combinée à une bonne immunité au sein de la population, nous a permis de voir le bout du tunnel», ajoute Niko Speybroeck, épidémiologiste et professeur à la faculté de santé publique de l’UCLouvain. D’après le biostatisticien Niel Hens (UHasselt et UAntwerpen), 70% des Belges ont été contaminés durant cette période. Et cela, au sein d’une population hautement immunisée par les vaccins et les infections multiples. Résultats: «Les taux d’hospitalisation et de mortalité ont chuté», note François Dufrasne, virologue chez Sciensano. C’est d’ailleurs au moment où Omicron déferle sur le monde, début 2022, qu’ont commencé à être levées la plupart des restrictions sanitaires en Belgique, alors que le pays enregistrait un nombre de cas jamais atteint jusque-là, ni égalé depuis. La nécessité de «vivre avec» s’est alors imposée à tous.
3 à 4vagues par an sont désormais observées, mais de moins en moins importantes chaque années.
Chez nous, le Covid-19 est désormais intégré dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire sur les infections respiratoires aiguës réalisé par Sciensano, au côté de la grippe et du virus respiratoire syncytial (VRS), qui frappe principalement les bébés de moins de 1 an et se montre redoutable chez les personnes âgées. Une double vaccination contre la grippe et le Covid est d’ailleurs dorénavant proposée lors de la campagne annuelle de vaccination dès la mi-octobre. Mais une différence essentielle continue d’en faire une maladie à part: le Covid-19 circule en toute saison.
Difficile de généraliser le comportement d’un virus qui n’a cessé de se modifier en cinq ans. Après les quatre vagues dévastatrices de la période pré-Omicron, cinq vagues de contamination ont été observées en Belgique en 2022, soit une tous les trois mois. Depuis presque trois ans, on ne parle plus tant de vague que de vaguelette ou de rebond. En 2023, le cycle du virus a encore changé et des pics épidémiques ont été notés en été, à la rentrée et en hiver. La même observation vaut pour 2024. «Nous sommes sur un rythme de trois à quatre vagues par an, mais de moins en moins importantes chaque année», se réjouit François Dufrasne, ajoutant qu’à l’heure actuelle, le Sars-CoV-2 circule encore au sein de la population mais à un niveau très bas.
Les scientifiques ne savent pas si cette succession de vagues se maintiendra, ou si la circulation du virus prendra un rythme saisonnier, comme la grippe. Jusqu’ici, les scientifiques observent une double saisonnalité. Le Sars-CoV-2 présente à la fois une saisonnalité classique (NDLR: l’hiver, au côté des virus influenza et VRS), mais également une deuxième «saisonnalité», liée aux activités humaines, même en plein air. Les autorités sanitaires enregistrent ainsi une augmentation relative de cas lors de rassemblements d’individus, durant les vacances d’été ou encore aux rentrées, après une période de congé. «Ce type de circulation du Sars-CoV-2 devrait tendre à l’avenir vers une saisonnalité classique en période hivernale, comme influenza, mais nous ne pouvons pas le certifier à l’heure actuelle», avance François Dufrasne.

Omicron, plus sage mais pas plus sympathique
La surveillance du Covid s’est allégée. Il ne fait plus l’objet de modèles de prévision et le testing systématique, fournissant un taux d’incidence (nombre de cas positifs pour 100.000 habitants) précis n’est plus pratiqué. Désormais, la veille épidémiologique s’appuie sur la récolte d’échantillonnages auprès des médecins généralistes et des hôpitaux sentinelles. En sus, Sciensano collecte les données dans les laboratoires, qui permettent d’estimer le taux de positivité (le taux de tests positifs parmi les tests réalisés), comme il analyse les eaux usées, qui fournissent une indication fiable sur le degré de circulation au sein de la population. Autrement dit, il ne s’agit plus d’une «surveillance en population» mais d’avoir à l’œil les formes graves et les hospitalisations.
La même tendance s’observe à l’hôpital, où le Covid ne fait plus l’objet d’un traitement à part depuis longtemps. La prise en charge est dorénavant identique à celle mise en place pour des cas de grippe ou de VRS.
Selon le microbiologiste Emmanuel André, on est clairement «en queue d’épidémie». «Malgré tout, nous n’avons pas éteint le feu. Le Covid n’est pas éradiqué, puisque les vaccins, s’ils renforcent l’immunité et préservent des formes sévères, n’empêchent ni la transmission ni l’infection.» Au bout de cinq ans, il s’est ainsi mué en maladie endémique, c’est-à-dire que les taux de nouvelles infections restent stables.
Le Sars-CoV-2 est-il alors voué à se métamorphoser en une infection virale banale? La banalisation de la pathologie est une évidence. «La méfiance totale n’est plus de rigueur, constate François Dufrasne. Ce virus est en cours d’adaptation et l’adaptation passe par des mutations de sélection qui le rendent moins virulent.» C’est une règle biologique: le but d’un virus est de rester à l’intérieur de son hôte, pas de le tuer. Il n’a donc pas intérêt à devenir plus agressif. D’ailleurs, ne survivent et ne se disséminent que les avatars les plus aptes et les mieux adaptés. Et si l’on prend le cas des virus respiratoires, les mutations susceptibles seront celles qui facilitent la transmission et la contagion mais qui rendent également moins malades –un banal rhume. «Cela explique également pourquoi les taux de mortalité chutent de manière importante depuis 2023», poursuit le virologue. «Mais endémique ne signifie nullement sans danger», prévient Niko Speybroeck.
L’évolution ne s’arrête jamais, sauf en cas d’éradication.
Les patients atteints de grippe ou de Covid-19 présentent des symptômes similaires: fièvre, toux, écoulement nasal, mal de gorge et possible perte de goût et d’odorat (dans le cas du Covid). Un test diagnostique est donc nécessaire pour les différencier. Tous les deux se transmettent par voie aérienne ou par microgouttelettes, mais ils ont également des caractéristiques différentes.
D’abord, le Covid et Omicron (NDLR: dernier variant classé «préoccupant» par l’OMS), en particulier, a un pouvoir de diffusion bien supérieur à celui du virus de la grippe. Concrètement, leur taux de reproduction du virus (R0), c’est-à-dire le nombre de personnes qu’un infecté peut contaminer, diffère. Celui de la grippe vaut 1,5. Pour Omicron, le R0 s’élève en moyenne à 2,5. Plus contagieux, ce dernier expose toujours les plus fragiles à des formes sévères de la maladie. «Etant donné sa contagiosité, le virus touche potentiellement un nombre plus élevé d’individus et mécaniquement, cela augmente la mortalité et la morbidité dans la population, même si le risque individuel est limité», indique l’épidémiologiste Niko Speybroeck.
Si Omicron se montre plus sage, il n’est pas devenu plus sympathique, surtout à l’égard des personnes vulnérables (les plus de 65 ans, celles atteintes de comorbidités lourdes et les immunodéprimés). Un profil voisin de celui de la grippe saisonnière. Il reste pourtant plus létal que la grippe. Ainsi, en terme absolu, sa létalité, soit le pourcentage de décès parmi les personnes infectées, est de 0,2% (deux décès pour 1.000 cas) quand celle de la grippe est de 0,1% (un décès pour 1.000 cas). Mais, au fil des vaguelettes, de l’adaptation du virus à la population humaine et grâce à l’immunité acquise et/ou vaccinale, elle diminue pour se rapprocher de celle d’influenza. «Dans les années à venir, le taux de mortalité du Sars-CoV-2 devrait même être inférieur à celui d’influenza, dont les taux de mortalité, eux, restent constants (excepté entre 2020 et 2022), malgré une circulation accrue de ce virus au sein de la population humaine et ce, depuis des décennies», affirme François Dufrasne.
Une population mieux protégée
Par ailleurs, le Covid n’est pas toujours un one shot dont on se débarrasse totalement. L’infection peut entraîner des séquelles prolongées et plus variées que celles de la grippe. Selon l’OMS, le Covid long concerne 6% des cas symptomatiques. Outre la recherche sur les conséquences du Covid long, de nouvelles études commencent à mettre en évidence une multitude d’effets sur les organes. «On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’une maladie multisystémique capable d’atteindre certains organes, avec des séquelles sur le rythme cardiaque, le système respiratoire, des dysfonctions du système nerveux autonome», confirme Emmanuel André.
Comment anticiper la suite? «L’évolution ne s’arrête jamais, sauf en cas d’éradication. Comme tous les virus à ARN, le Sars-CoV-2 continuera d’évoluer par mutations, qui, dans la plupart des cas, resteront inoffensives, souligne Niko Speybroeck. Peu d’experts croient à l’émergence d’un nouveau variant effectuant un saut évolutif du même type que celui observé entre Omicron et ses prédécesseurs. «Il est peu probable qu’un variant plus dangereux apparaisse. L’évolution qui pourrait nous poser problème, c’est un variant qui entraîne un échappement immunitaire et une perte de l’immunité dans la population.» Mais même dans ce cas, la moindre sévérité des variants actuels et l’immunité hybride acquise par les infections et la vaccination protégeraient la population des formes les plus graves –à l’exception des publics les plus à risque. Le gros hic, alors: la vaccination ne s’est pas imposée dans les gestes de prévention au sein de ces groupes et parmi le corps médical. De fait, seules 40,2% des personnes âgées de 65 à 84 ans et 47,5% des plus de 85 ans ont reçu une dose de rappel au cours des six derniers mois. Concernant la grippe, 50,7% du public cible s’est fait vacciner.