Deux mains ne suffiraient pas pour compter les sorties médiatiques de Donald Trump, notamment en matière de santé. Récemment, ne s’appuyant sur aucune preuve, le président américain a établi un lien entre le paracétamol et l’autisme. Bien que l’on en soit encore protégé, selon Jean-Luc Belche, professeur à l’ULiège, les risques que ce type de discours antivax trouve un écho en Europe sont bien réels.
Se méfier des vaccins et des médicaments sans le clamer haut et fort, c’est une chose, entendre de puissants dirigeants tenir des discours douteux à l’encontre des soins de santé, c’en est une autre. C’est pourtant la ligne qu’a décidé de franchir le président américain Donald Trump en nommant au poste ministre de la Santé le vaccinosceptique assumé Robert F. Kennedy Jr. Mais aussi en déclarant récemment que la consommation de paracétamol pouvait «être associée à un risque très accru d’autisme».
Le président américain a ainsi enjoint les femmes enceintes à ne pas prendre cette molécule et à ne surtout pas en donner à leur bébé. Présent dans des antalgiques, celle-ci est pourtant recommandée aux femmes enceintes pour lutter contre la douleur ou la fièvre, d’autres médicaments comme l’aspirine ou l’ibuprofène étant, eux, contre-indiqués, notamment en fin de grossesse.
Se faisant l’écho des théories antivax, Trump plaide également pour que le vaccin contre l’hépatite B soit repoussé au douzième anniversaire de l’enfant: «L’hépatite B se transmet par voie sexuelle. Il n’y a aucune raison de vacciner contre l’hépatite B un bébé qui vient à peine de naître», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Omettant de ce fait les recommandations de santé publique de nombreux pays, y compris des États-Unis, en raison de la possibilité que l’enfant soit contaminé par sa mère lors de la grossesse ou l’accouchement.
«Trump dit des bêtises la majorité du temps, sa réputation le précède. Il pourrait même faire douter les antivax européens.»
Les idées du président américain et de son ministre de la Santé pourraient, à l’avenir, grandement influencer un taux vaccinal déjà en recul aux Etats-Unis. Selon une enquête du Washington Post et de l’ONG KFF, un parent américain sur six repousse désormais la vaccination de ses enfants par crainte des effets secondaires et par manque de confiance envers les autorités sanitaires. Existantes par le passé, ces pensées antivax ont été exacerbées par la pandémie, et les discours décomplexés de personnalités politiques comme Kennedy Jr. pourraient encore aggraver la situation. Cette enquête montre, en outre, que les vaccinosceptiques sont, en majorité, des personnes blanches, conservatrices et très religieuses. Autrement dit, l’électorat-type de Donald Trump.
Une réputation que le précède, une influence nulle
Certains craignent que ce type de discours, jugé irresponsable, voire dangereux, puisse se frayer un chemin jusqu’en Europe, où la confiance envers les vaccins s’érode déjà: selon un rapport de la Commission européenne (2022), 81,5% des citoyens européens jugent la vaccination importante, contre 91,8% en 2020 et 89,6% en 2018.
«Il n’a pas fallu attendre les déclarations de Trump pour que naisse, chez nous, un sentiment antivax, commente toutefois Jean-Luc Belche, chargé de cours en médecine générale à l’ULiège. J’étais toujours étudiant en médecine que certains évoquaient déjà des liens supposés entre vaccin et autisme. Seulement, on en a pris bien plus conscience de ce vaccinoscepticisme durant et après la pandémie. Ce que dit le président américain n’est que l’écho de ce sentiment.»
Bien que Donald Trump fasse beaucoup de bruit et que ses sorties soient largement relayées par les médias, ses discours n’auront aucun effet sur la pensée citoyenne, estime le professeur: «Selon moi, ses prises de position pourraient même desservir son message. Trump dit des bêtises la majorité du temps, sa réputation le précède. Il pourrait même faire douter les antivax européens.»
Un risque du côté des politiques de droite
En revanche, l’influence du président américain pourrait s’exercer sur les niveaux de pouvoirs proches de ses idées. Ce qui a failli être le cas en Italie, le 5 août dernier, à l’annonce des nominations du nouveau groupe consultatif technique national sur la vaccination (NITAG). Dans cette liste figuraient deux «no-vax» notoires: le pédiatre Eugenio Serravalle, à la tête d’une organisation questionnant la corrélation entre vaccin et autisme, et l’hématologue Paolo Bellavita, qui avait suscité la polémique par ses positions controversées sur le vaccin contre le Covid-19. Face à la pression des citoyens et de la communauté scientifique, le groupe a finalement été dissous par le ministre de la Santé italien contre l’avis de Giorgia Meloni, laquelle entretient de bonnes relations avec Donald Trump. «On peut aussi imaginer que les Hongrois ou la Slovaquie emboîtent le pas, suppute Jean-Luc Delche. Il pourrait alors y avoir une influence à la « trumpienne » lors de la constitution d’organes scientifique.»
«Dès que Trump dit quelque chose, trois semaines plus tard, on peut être sûr de l’entendre de la bouche de certains politiques francophones.»
Le médecin craint, par ailleurs, que de tels discours puissent trouver écho en Belgique via les prises de paroles d’hommes politiques de droite. «On observe déjà, chez nous, une sorte de mimétisme. Dès que Trump dit quelque chose, trois semaines plus tard, on peut être sûr de l’entendre de la bouche de certains politiques francophones, pointe-t-il du doigt sans citer de nom. On en a eu la preuve récemment avec les critiques émises à l’encontre l’association Modus Vivendi, qui a distribué des pailles à sniffer lors d’un festival. A l’image de Trump, qui donne son avis sur tout, et souvent n’importe comment, ce politique a dit des absurdités sur un sujet dont il ne connaissait pas le fond, avec des penchants idéologiques assez forts.»
Eduquer pour ne pas berner
Selon l’AVIQ, ce type discours antivax, qui tend à remettre également en question les recommandations de santé, trouvera «malheureusement» toujours un écho auprès de quelques personnes. L’Agence wallonne pour une vie de qualité s’attelle donc «chaque jour à sensibiliser les citoyens sur les questions de prévention santé», indique-t-elle. Notamment via des campagnes de sensibilisation.
Pour Jean-Luc Delche, il faut aller plus loin en améliorant la littératie des citoyens sur le sujet, c’est-à-dire leur permettre d’avoir une meilleure compréhension de base de la santé. «Il devrait exister des missions de service public portant sur l’efficacité, l’utilité et les précautions à connaître sur les vaccins. Comme on le fait déjà à propos de la résistance aux antibiotiques, par exemple. Un sujet qui ne fait pas l’objet, ou très peu, de théories complotistes», souligne le professeur de l’université de Liège. C’est de la responsabilité des politiques, et non exclusivement de celle des soignants. D’autant plus dans une période d’infodémie (NDLR: contraction des termes «information» et «épidémie», quand les informations se propagent rapidement avant même que leur véracité soit vérifiée), avec des canaux informationnels multiples allant des journaux, aux blogs, en passant par les influenceurs et les pseudo-experts, qui ont un avis sur tout, et souvent tort.»











