Patrimoine immobilier en Suisse, hôtels, participations dans des réseaux de pharmacies et réserves financières élevées placent les grandes mutualités sous le feu des critiques. La N-VA et le MR y voient la preuve que ces organismes disposent de moyens excessifs et veulent transférer la gestion de l’assurance obligatoire à l’INAMI.
Une enquête du quotidien flamand Het Laatste Nieuws a révélé les patrimoines financiers des plus grandes mutualités belges. Cumulé, il s’élève à un actif de près de 6,1 milliards d’euros. La Mutualité chrétienne avoisinerait les 2,4 milliards d’actifs, de biens mobiliers et immobiliers. HLN indique que la mutualité possèderait six hôtels situés en Suisse, en Autriche et en France, et que cette mutualité serait actionnaire à 20% d’un réseau de pharmacies en Pologne. Helan est en deuxième position avec des actifs à hauteur de 1,7 milliard d’euros, suivi de Solidaris avec 1,4 milliard d’euros.
Cette mise en lumière sonne comme une opportunité plus que bienvenue pour la N-VA et le MR, tous deux porteurs d’un débat sensible sur «les raisons d’exister des mutuelles». La logique d’économies tous azimuts du gouvernement sert d’argument aux députés des deux partis. Kathleen Depoorter (N-VA) y voit l’occasion de remonter à la surface un projet de loi avorté lors de la précédente législature, dont elle était cosignataire avec Valérie Van Peel (N-VA): «Proposition de résolution relative au transfert de la gestion et du paiement de l’assurance obligatoire maladie-invalidité à l’Inami.»
La N-VA souhaite revoir en profondeur le fonctionnement des mutuelles et leur rôle dans le système des soins de santé , que le parti considère «trop puissantes, juges et partis, qui siègent dans les commissions de l’Inami avec leurs propres intérêts politiques et financiers.»
La députée et membre des commissions santé, Kathleen Depoorter, ne mâche pas ses mots: «Il faut abolir les mutuelles. Elles ne sont pas indispensables. Ce ne sont que des intermédiaires qui s’enrichissent sur le dos des patients. A la limite, nous pouvons leur laisser un rôle d’information et de sensibilisation, mais sous une forme plus modeste qu’actuellement.»
«Il y a des actionnaires avides de profits, qui tournent comme des vautours. Ils sont prêts à forcer le cadenas, aidés par des politiques, pour se servir en premier.»
La nationaliste flamande justifie ses ambitions, entre autres, par un souci d’économies. En prônant le transfert de la gestion des assurances obligatoires des soins de santé à l’Inami, la N-VA espère que le fédéral débloquera plus d’un milliard d’euros d’argent public. Cette somme représente l’enveloppe annuelle octroyée aux mutuelles par l’Inami pour financer leurs frais de fonctionnement. La N-VA estime qu’un payeur public unique (HZIV est mentionné) peut gérer l’assurance obligatoire avec des coûts administratifs unitaires plus bas que «six syndicats politisés avec leurs réseaux d’agences locales.»
La Cour des comptes a statué sur cette dotation publique en 2022: «Le rapportage actuel des mutualités manque de transparence pour juger de l’adéquation du financement des frais d’administration».
Un modèle malhonnête?
Les différentes mutuelles sont accusées de profiter de leurs rôles d’assurance obligatoire pour générer des profits en proposant diverses assurances complémentaires. C’est leur rapport au marketing et à leur commercialisation des assurances santé, sur base d’une responsabilité publique, qui gêne les députés du MR et de la N-VA. Ces derniers pointent «une certaine concurrence sur les prix qui est une façon d’affilier des citoyens à une cause politique».
Le désir de la N-VA et du MR est d’empêcher que l’organisme en charge de l’assurance obligatoire puisse proposer des assurances complémentaires. Kathleen Depoorter souhaite que cette offre soit gérée par des boîtes privées, sans être attachée aux responsabilités publiques. Cette dernière pointe du doigt une pratique courante chez les mutuelles qui consiste à adhérer systématiquement à une assurance complémentaire (remboursement de lunettes, du psychologue, du sport…) lors de la souscription à l’obligatoire. Il y a donc une obligation contractuelle imposée par les mutualités à leurs membres, sur base d’une obligation posée directement par la loi au citoyen.
Pour souscrire uniquement à une assurance obligatoire, sans complémentaire, il n’y a que la CAAMI (HZIV côté flamand), qui le permet, du fait de son statut de caisse publique.
Les mutuelles «face à leur disparition»
Chez Solidaris, on s’insurge d’un argumentaire monté à l’envers: «Derrière ces articles à charge contre les mutualités, il y a d’abord un agenda. Celui de la N-VA et du MR, des assurances privées et des lobbies pro marché contre l’Etat social. Il s’agit d’une manœuvre orchestrée pour décrédibiliser le modèle non marchand mutualiste, pour mieux faire passer un modèle marchand où les acteurs privés gagneraient de l’espace pour faire du profit sur la santé des gens. La N-VA et le MR abîment progressivement la protection collective, pour pousser les gens à aller s’assurer individuellement auprès du privé. C’est la transition vers un modèle à l’américaine. Le rêve néolibéral absolu. Chacun pour soi et le marché gère tout.»
Solidaris, interrogé sur les critiques des députés, argumente que leur mode de fonctionnement ne coïncide en rien avec les boîtes privées d’assurances santé. Ils appellent à ne pas confondre leurs dividendes avec des bénéfices. La mutuelle affiliée au Parti socialiste se défend en expliquant que son système d’assurance s’abstient, par exemple, d’effectuer une sélection entre les «bons» et les «mauvais» profils, à fort ou faible risque. Une logique que l’on retrouve auprès d’assurances privées.
Questionné sur le montant de ses actifs (1,4 milliard d’euros), Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris, explique que les mutualités se doivent d’assurer leur propre subsistance avec «des investissements durables et une anticipation de l’avenir afin de garantir une indépendance et une bonne gestion, sans dépendre du bon vouloir des gouvernements».
Ce dernier ne nie en aucun cas le montant des actifs mis en lumière: «Il faut voir l’argent des soins de santé à l’intérieur de la sécurité sociale comme un coffre-fort communautaire, rempli par chacun, pour protéger tout le monde. Les mutualités en sont les gardiens. Et puis, comme c’est le cas aujourd’hui, il y a des actionnaires avides de profits qui tournent comme des vautours. Ils sont prêts à forcer le cadenas, aidés par des politiques, pour se servir en premier. Pour ce faire, tous les moyens sont bons pour décrédibiliser les gardiens du trésor.»
La Mutualité chrétienne et Helan n’ont de leur côté pas souhaité réagir tout de suite. Elles disent étudier la situation et préparer une réponse pour «calmer une polémique mensongère» et «désamorcer les accusations des politiques».
«De la folie»
Du côté des Engagés, affiliés politiquement à la Mutualité chrétienne, cette proposition «relève de la folie», juge un député du parti.
«J’ai souvent critiqué le caractère politique des mutuelles, mais leur abolition n’est en aucun cas une bonne idée. Elles existent depuis avant la sécurité sociale. C’est un socle fondamental pour notre démocratie et la protection des soins de santé. Jamais Les Engagés ne suivront une telle proposition, même si légalement, elle est faisable. Les montants révélés ces derniers jours interpellent et doivent être contrôlés, mais il faut arrêter avec ces attaques rituelles contre les mutuelles réclamant la suppression de celles-ci», confie ce même député.
La proposition des Engagés reste dans ce qui était prévu dans l’accord de gouvernement: «Plutôt que de les vider de leur substance, nous voulons repenser leurs missions, clarifier leur rôle à l’aune des changements qu’a connu la société, les recentrer sur leurs missions prioritaires. Celles-ci doivent notamment veiller au respect de la médecine basée sur des preuves scientifiques dans leurs activités, s’abstenir de toute propagande partisane et agir en toute transparence», communique le parti.
Au sein du PS, affilié à Solidaris, la porte-parole Sarah Bouderbane indique que son parti «ne participera pas à cette polémique». Tout en dénonçant «une énième tentative de la N-VA d’affaiblir les corps intermédiaires et la concertation sociale du modèle belge».















