«Lambin», «escargot», «toujours dans la lune», «tu ne finis jamais ce que tu as commencé»: et si cette lenteur n’avait rien à voir avec le manque de motivation ou la paresse? Souvent confondu avec le trouble du déficit de l’attention, le syndrome de désengagement cognitif (SDC) empêche ceux qui en souffrent de fixer leur attention ou d’aller vers les autres, tout absorbés qu’ils sont par leurs pensées et leurs rêveries.
Les troubles de l’attention font l’objet d’un intérêt croissant de la part des médecins, psychologues, neuropsychologues et psychopédagogues. Ces dernières années, les demandes de consultations pour ce motif ont explosé. Des troubles complexes dont l’origine et des mécanismes ne sont pas encore tout à fait connus.
Une vaste étude espagnole en psychologie infantile vient apporter un nouvel éclairage. Publiée dans Journal of Attention Disorders, elle met en évidence l’existence de symptômes comportementaux distincts du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Ce syndrome avec lequel le TDAH est souvent confondu, appelé syndrome de désengagement cognitif (SDC), reste très difficile à identifier. Raison pour laquelle il est assez méconnu, comme l’explique Sébastien Henrard, neuropsychologue, formateur, superviseur et conférencier.
Pourquoi ce syndrome est-il si peu connu, contrairement au trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité, dont il se distingue?
Historiquement, le syndrome de désengagement cognitif a été étudié au travers du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. On pensait qu’il s’agissait d’une nouvelle forme de TDAH, étant donné qu’il existait des particularités attentionnelles, sauf qu’on observait une forme d’hypoactivité et non d’hyperactivité. La question était donc de savoir si les précurseurs du TDAH et du SDC étaient identiques. Il s’est avéré que les deux troubles sont indépendants l’un de l’autre, et que les mécanismes de base ne sont pas identiques puisque le SDC n’affecte pas particulièrement la régulation attentionnelle, contrairement au TDAH.
Quels sont les marqueurs de ce syndrome de désengagement cognitif?
Dans le TDAH, l’attention passe d’une chose à l’autre. L’enfant va «switcher» en permanence sur ce qui attire le plus son attention dans son environnement. A contrario, l’enfant qui présente un SDC éprouve des difficultés à focaliser son attention en raison d’une forme de lenteur dans l’utilisation des compétences cognitives. Cette lenteur peut aussi se traduire par une hypoactivité et une forme d’apathie ou de somnolence pendant la journée. Certains parents ou enseignants peuvent avoir envie de «secouer» ces enfants pour qu’ils sortent de leurs rêveries et qu’ils bougent, alors qu’ils ne sont pas du tout de mauvaise volonté et qu’ils ne manquent pas de motivation. C’est simplement qu’ils se laissent emporter par leurs pensées et décrochent régulièrement. Le problème, évidemment, c’est le retour à la réalité: quand ils sortent de leurs rêveries, ils constatent qu’ils n’ont pas avancé dans ce qu’ils devaient faire, ce qui peut provoquer une montée du stress.
Comment distinguer ce syndrome d’un retard cognitif ou psychomoteur?
A l’heure actuelle, il n’est pas possible d’établir un diagnostic, le syndrome de désengagement cognitif n’étant pas encore officiellement reconnu. Les données et les informations sont encore insuffisantes pour pouvoir identifier ce syndrome de manière claire et précise, contrairement au TDAH, qui est connu et étudié depuis plusieurs décennies. Les seuls outils d’évaluation dont nous disposons sont les mêmes que pour le TDAH: des questionnaires de dépistage, des grilles d’observation, des entretiens cliniques avec la personne et son entourage. Par ailleurs, les pistes actuelles vont dans le sens d’un processus cognitif «transversal», d’un trouble exécutif que l’on retrouve dans plusieurs diagnostics différents.
La conséquence de ce manque d’outils est que la formation des professionnels de terrain au sujet de ce syndrome est quasiment inexistante. Qu’il s’agisse de médecins ou de neuropsychologues, je suis certain que la majorité d’entre eux n’en ont jamais entendu parler ou ne savent pas exactement de quoi il s’agit.
Le manque de critères d’identification peut aussi conduire au surdiagnostic…
Exactement. Et il faut y faire très attention. Il ne s’agit pas de partir dans une croisade en affirmant qu’il ne s’agit que d’un effet de mode, mais il ne faut pas nier son existence non plus. Même si je suis un défenseur fondamental du diagnostic du TDAH, je trouve qu’on en parle trop et trop mal, ce qui conduit en effet à des surdiagnostics et des autodiagnostics avec des personnes qui tapent trois symptômes sur Google ou sur TikTok et qui se reconnaissent dans la description du trouble. Il ne faudrait pas qu’un syndrome de désengagement cognitif soit confondu avec un épisode dépressif, par exemple.
L’étude espagnole, menée sur 5.500 enfants, montre que la moitié de ceux qui présentent un syndrome de désengagement cognitif ne sont pas TDAH. En quoi ces nouvelles observations sont-elles importantes?
L’objectif de cette étude menée dans des écoles n’est pas tant de cerner les critères et les et les marqueurs du SDC que de montrer que certaines personnes présentent des syndromes de désengagement cognitif sans TDAH. Les auteurs ont soumis des questionnaires de dépistage à tous ces enfants et, en fonction des résultats, les ont classés dans quatre groupes: un groupe répondant au comportement TDAH, un deuxième au syndrome de désengagement cognitif, un troisième aux deux syndromes (désengagement plus TDAH), et un quatrième groupe qui ne répond à rien.
L’étude montre également une corrélation entre le syndrome de désengagement cognitif et ce que l’on appelle des «troubles internalisés», comme l’anxiété et la dépression. Là où le TDAH est davantage corrélé aux «troubles externalisés», comme les troubles de l’opposition avec provocation, les patients présentant un syndrome de désengagement cognitif ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes et à ruminer. Vu de l’extérieur, ils semblent tous les deux distraits, mais ils ne le sont pas pour les mêmes raisons. Or, si vous traitez des syndromes de désengagement cognitif comme le TDAH, les résultats ne seront pas aussi bons.
Les enfants qui présentent un TDAH et un SDC seraient donc à la fois hyperactifs et hypoactifs. Comment est-ce possible?
Ce sont des comportements très fluctuants. Ils peuvent avoir des moments d’agitation, suivis de moments d’hypoactivité. Ils se montrent donc distraits par l’environnement extérieur et par leurs propres pensées. Les études montrent que lorsque vous souffrez des deux troubles, les conséquences sur le quotidien et la qualité de vie sont plus importantes. C’est notamment ce qui explique que le SDC est plus simple à repérer chez les adultes. En effet, ce sont des personnes qui ont envie de faire des choses mais qui n’arrivent pas à concrétiser ces envies, parce qu’elles sont bloquées par cette lenteur.
Chez les plus jeunes, quelles sont les répercussions sur l’apprentissage et la vie scolaire?
Par rapport au TDAH, les conséquences sont moindres. L’inattention est problématique mais elle n’est pas accompagnée d’agitation et d’impulsivité. Si le rythme des cours n’est pas trop intense, l’enfant arrive à suivre et à avoir de bons résultats scolaires. Mais plus on avance dans les années, plus les difficultés risquent de se manifester.
Se sentent-ils stigmatisés?
Ils se sentent très vite jugés par leur environnement. On va les traiter de lambins, d’escargots. Au départ, ce trouble était même appelé sluggish cognitive tempo (NDLR: sluggish signifiant apathique, mou, lent,…), ce qui renvoyait à l’image du gastéropode. Des études ont d’ailleurs montré que la terminologie sluggish cognitive tempo participait à une forme de fatalisme de ces patients qui, par conséquent, acceptaient moins d’être pris en charge. Selon les observations des enseignants, ces enfants se mettent souvent à l’écart des autres car ils manquent d’assertivité et éprouvent des difficultés à aller spontanément vers autrui.
Comment accompagner ces enfants?
Plusieurs pistes sont à l’étude mais aucune n’a réellement montré de résultats fondamentaux. Ce sont par exemple des patients qui ne répondent pas très bien au méthylphénidate (substance active utilisée dans certains médicaments pour le TDAH, comme la Rilatine). On essaie alors plutôt de travailler sur l’assertivité, la capacité à démarrer ou à rejoindre une conversation, en proposant des groupes d’habiletés sociales. Un programme de pleine conscience peut apporter des résultats, mais ils restent moins probants que pour les TDAH. Le même constat est fait pour la remédiation cognitive (méthode permettant de réduire l’impact des troubles cognitifs).
La guidance parentale est aussi utilisée pour aider les parents à réinvestir la relation avec leur enfant. Il a en effet été constaté que ces enfants peu assertifs étaient parfois injustement considérés comme froids, ce qui incitait leurs parents à se montrer eux-mêmes moins chaleureux. Ce désinvestissement affectif peut potentiellement aggraver les symptômes de stress et d’anxiété chez l’enfant.
Au final, toutes ces méthodes donnent des résultats intéressants, mais aucune ligne directrice comme on peut en avoir pour d’autres troubles. Il faut adapter, ajuster. Le travail se fait donc essentiellement sur ce qui pose problème, selon le fonctionnement de la personne. On ne se concentre pas sur le trouble mais sur la difficulté qu’il induit.















