La décision de la BCE de maintenir ses taux directeurs élevés n’est pas anodine. Elle vise avant tout à combattre l’inflation, mais peut aussi induire des conséquences directes sur certains secteurs. Décryptage des enjeux avec Bernard Delbecque, professeur d’économie (UCLouvain) spécialiste de la politique monétaire et directeur de la recherche à l’EFAMA.
Trois à la suite. Pour la troisième fois consécutive, la Banque centrale européenne (BCE) maintient ses taux directeurs historiquement élevés (4,5%). Une politique monétaire dont le but principal consiste à combattre l’inflation, qui a surpris tout le monde avec une remontée brutale en 2022.
« La BCE elle-même a été surprise, commente Bernard Delbecque, professeur d’économie (UCLouvain) et directeur de la recherche à l’EFAMA. La banque centrale pensait que sa crédibilité en tant que gardienne de la stabilité des prix permettrait d’éviter que la crise du Covid ne provoque une hausse importante et durable de l’inflation. Quand elle s’est rendu compte de son erreur, elle n’a pas eu d’autres choix que d’augmenter fortement ses taux d’intérêt à partir de la fin de l’année dernière ». En agissant ainsi, « la BCE a essayé de ralentir la consommation et l’investissement et de convaincre tout le monde de sa volonté de revenir rapidement à un taux d’inflation proche de 2%. »
Quelles conséquences?
Le secteur immobilier, en particulier, est touché en première ligne. « Les taux hypothécaires ont fortement augmenté, note Bernard Delbecque. Cette augmentation est une bonne illustration pour comprendre comment la politique monétaire se transmet à travers l’économie pour contenir l’inflation. L’effet est clair : la hausse des taux hypothécaires ralentit les transactions immobilières. C’est une façon, pour la politique monétaire, d’appuyer sur le frein. »
Concernant l’impact sur le portefeuille de l’épargnant, la question est davantage liée à la compétition entre les différentes banques. « Cela a pris du temps, mais il faut avouer que les taux sur les dépôts bancaires ont quand même augmenté », reconnaît Bernard Delbecque. Vont-ils augmenter davantage? « Cela dépend notamment de la vitesse avec laquelle la BCE diminuera ses taux directeurs. Si elle a décidé de maintenir ses taux d’intérêt inchangés la semaine dernière, c’est parce qu’elle craint qu’un relâchement trop rapide des taux puisse compromettre la rapidité avec laquelle le taux d’inflation pourrait descendre et retrouver son objectif de 2%, estime-t-il. Aux Etats-Unis, suite à la déclaration de la Fed au mois de novembre (qui laissait entendre que les taux d’intérêt pourraient commencer à baisser plus tôt que prévu), les marchés financiers ont fait une performance extraordinaire, qui a sauvé l’année 2023. »
L’effet d’enrichissement
En deux mois de temps, un effet d’enrichissement de tous les détenteurs d’actifs financiers a été constaté. En parallèle, on a assisté à une baisse assez importante des taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat. « Les taux n’ont pas encore baissé aux USA, mais le seul sentiment qu’ils vont baisser provoque une réaction des marchés financiers, constate l’économiste. Elle est si puissante qu’elle engendre un enrichissement, qui stimule la consommation. Ce qui, in fine, va à l’encontre de la volonté des banques centrales de battre l’inflation. »
Parallèle entre Fed et BCE et situation géopolitique
Le jugement de la Fed de ces dernières semaines démontre une volonté de tempérer les anticipations des marchés financiers. « Au niveau la BCE, on est dans le même cas de figure puisqu’elle ne veut pas donner l’impression aux marchés financiers que la lutte contre l’inflation est finie et que l’on va pouvoir emprunter rapidement de nouveau à des taux d’intérêt très bas », analyse Bernard Delbecque.
D’autant plus que les événements géopolitiques en mer Rouge rajoutent une dose d’incertitude. « Ils ralentissent le commerce international et fragilisent l’approvisionnement en matières premières, pièces détachées, composants électroniques, etc. des entreprises européennes, y compris en Belgique. C’est un choc d’offre qui pourrait provoquer une nouvelle hausse des prix si la situation perdure, prévient Bernard Delbecque. Ces tensions compliquent la vie de la BCE, qui souhaite éviter un niveau d’inflation élevé pour une plus longue durée. Malheureusement, pour faire face à ce genre de chocs d’offre, la politique monétaire n’est pas nécessairement le meilleur instrument. Il faut pouvoir accepter que de manière transitoire, une augmentation de l’inflation persiste, et donc une perte de pouvoir d’achat. »
La décision de la BCE est-elle logique?
Compte tenu de ces éléments géopolitiques, la décision de la BCE semble assez logique. « Elle est sans doute prudente. Mais les circonstances sont telles que la BCE considère que la bataille de l’inflation n’est pas encore gagnée. Elle doit aussi trouver le juste équilibre. Son défi est d’éviter une récession par excès de prudence. Il lui faut assurer un « soIft landing » (atterrissage en douceur), ce que la Fed semble être parvenue à faire aux Etats-Unis. »
Quels conseils pour l’investisseur dans ce contexte particulier?
« Les obligations sont redevenues attractives. Toutefois, pour la plupart des citoyens, le système bancaire reste la première porte d’entrée pour bénéficier de la remontée des taux d’intérêt sur les comptes à terme, souligne Bernard Delbecque. Il est déconseillé de garder un montant élevé sur des comptes à vue qui ne rapportent presque rien. En revanche, épargner via des fonds d’investissement, dans les marchés financiers, est vivement conseillé. De manière prudente mais diversifiée. »
L’économiste rappelle qu’investir dans les marchés financiers sur le long terme permet de faire fructifier son épargne sans grand risque et bénéficier de la loi de l’intérêt composé. « L’idée est simple : si vous laissez votre épargne investie pendant une longue période, les intérêts et les dividendes perçus sont réinvestis et font ainsi grossir votre capital, avec pour résultat des rendements de plus en plus conséquents. On prête à Einstein d’avoir qualifié cette loi de huitième merveille du monde. »
Investir régulièrement mais prudemment
Il est également recommandé d’investir régulièrement le même montant. « A titre d’exemple, si 100 euros sont investis par mois, ils le seront parfois lorsque les marchés sont au plus bas, et parfois lorsqu’ils sont au plus haut. Sur le long terme, l’investissement se calque dans une moyenne. C’est une meilleure façon d’investir que d’essayer de deviner quand les marchés vont monter ou descendre. »
Ensuite, tout dépend de votre situation personnelle. « Si le but est d’investir en vue d’acheter une voiture dans 2 ans, alors il est préférable de se diriger vers les comptes bancaires. Si le but est d’acheter une maison dans 8 ans, il vaut diversifier. Et si c’est pour votre pension (et beaucoup de Belges devraient le faire, car la pension payée par l’Etat continuera à être de moins en moins généreuse à cause du vieillissement démographique), les meilleurs placements sont les fonds d’investissement en actions. »