La bonne humeur au travail peut être une arme à double tranchant. Si elle favorise l’esprit d’équipe et la collaboration, la feindre peut vite devenir un cercle vicieux.
Il en faut peu pour être heureux. Ou complètement mal luné. Le bien-être au travail est de plus en plus pris en compte par les employeurs. La loi les y oblige. Mais impossible d’être au top tout le temps.
Pour Catherine Hellemans, professeure de psychologie du travail à l’ULB, l’injonction à la bonne humeur est sans doute moins exigeante que celle au bonheur. Mais elle n’est pas positive pour autant. Dans les métiers de service, ça pourrait même être considéré comme faisant partie du job. Mais attention à l’effet pervers : afficher faussement une bonne humeur n’est pas idéal, avertit-elle. « On joue un rôle. On utilise un faux self, avec des émotions non ressenties. C’est usant. »
Effet vertueux
« Il y a un impératif à être heureux, mais les êtres humains ne sont pas ainsi faits », confirme Stéphanie Delroisse, docteure en psychologie et chargée de cours à l’UCLouvain et à l’UMons. « Il faut accepter que l’humeur n’est pas rectiligne, sinon cela peut devenir culpabilisant. » La bonne humeur au travail est pourtant indispensable. « C’est contagieux. Et il y a un effet vertueux, explique-t-elle. Cela va instaurer une meilleure ambiance dans l’équipe. »
Catherine Hellemans acquiesce : « Une bonne atmosphère se transmet et favorise la dynamique d’équipe. » Cela facilite aussi la collaboration et accentue l’engagement.
L’arbre qui cache la forêt
Au travail, on n’ose pas toujours dire ce qui ne va pas, et la bonne humeur sert parfois de cache-misère. « Il y a une tendance à rester dans un certain confort », avance-t-elle. Un réflexe pas toujours conscient, mais aussi une façon de se préserver. « Si on met sur le tapis ce qui ne va pas, on ne sait pas toujours où cela va nous mener. On a peur d’être exclu du groupe si les autres préfèrent fermer les yeux. »
Faire semblant est une mauvaise idée, confirme Stéphanie Delroisse. « On ne peut pas porter un masque éternellement. Si on garde ce qui ne va pas, on peut plus vite s’énerver pour une moindre chose. C’est extrêmement couteux de prétendre que tout va bien. » Jusqu’au burnout ? Pas impossible. Certains vont toujours accepter de nouveaux défis parce qu’ils sont enthousiastes, mais cela n’empêche pas le corps de fatiguer. Et c’est normal : « Physiologiquement, le défi et le stress ont une activité très similaire. Cela demande une énergie de dingue. » De plus, « si le travailleur dit qu’il gère alors qu’il est stressé, on ne pourra pas agir sur son mal-être. »
Double tranchant
Quand elle est extrême, la bonne humeur peut aussi être mal vue. « Les personnes ultra positives refusent souvent de reconnaître d’éventuels problèmes, ou d’en parler », selon Catherine Hellemans. Elles n’en ont pas toujours conscience, mais les collègues peuvent y voir un manque d’authenticité, voire une forme de manipulation. Certains ont, en revanche, une vraie capacité à se détacher, ajoute Stéphanie Delroisse. « On leur montre un problème, eux montrent le positif. Ça peut avoir un côté exaspérant. »
Pour Catherine Hellemans, le plus sain, c’est d’avoir une humeur qui correspond celle de l’entreprise. Si quelqu’un est positif alors que ça ne tourne pas rond, il y aura un sentiment d’inauthenticité. Mais cela ne va pas toujours de soi. Stéphanie Delroisse conseille enfin de verbaliser les choses si on est de mauvais poil, afin de désamorcer un éventuel malentendu.