La Belgique est le pays de la zone euro qui a connu le pic d’inflation le plus important (3,6%) le mois dernier. Faut-il s’en inquiéter? «La dynamique est trompeuse», pointe l’économiste Philippe Ledent (ING).
La Belgique parmi les pays au taux d’inflation le plus élevé en février 2024? Selon les chiffres d’Eurostat, c’est le cas. Ces derniers correspondent au taux d’inflation dit «harmonisé», qui utilise la même méthodologie pour chaque pays de l’UE. Presque toujours, ce chiffre diffère de celui produit par Statbel, l’office belge de statistique. Et, souvent, le premier est plus élevé que le second. Explication d’un décalage pas toujours intuitif avec Philippe Ledent, Senior Economist chez ING.
Inflation: la Belgique plus impactée par l’énergie
Dans le taux harmonisé, les chiffres de l’inflation belge d’Eurostat «ont été très fortement influencés par les prix de l’énergie, encore plus que dans les chiffres nationaux de Statbel», observe l’économiste Philippe Ledent. L’importance de l’énergie dans le calcul de l’inflation est double, puisque les prix du gaz et de l’électricité ont une influence supérieure sur le taux en Belgique, par rapport aux autres pays de l’UE. «C’est lié au fait qu’on utilise proportionnellement plus d’énergie en Belgique, et qu’on reste très dépendant du prix du mazout.»
Lors de la crise énergétique, l’inflation belge est d’ailleurs montée plus rapidement qu’ailleurs. Et quand le coût de l’énergie s’est replié, elle a aussi diminué plus rapidement. En quelque sorte, la Belgique donne toujours la tendance avec un temps d’avance.
Deux phénomènes
A l’heure actuelle, la Belgique se situe dans une troisième phase, plus complexe. Les prix de l’énergie actuels restent bas. Dans le calcul de l’inflation, ceux-ci sont mesurés par rapport aux prix d’il y a un an, qui étaient à peu près identiques. Mais si quelques mois auparavant, les prix de l’énergie influençaient l’inflation à la baisse, ce n’est plus le cas aujourd’hui. «On n’a plus cet effet de tirage vers le bas. Et donc, l’inflation remonte d’un coup», analyse Philippe Ledent. Ce premier phénomène explique que la remontée est systématiquement exagérée en Belgique par rapport aux autres pays, «puisque notre mesure de l’inflation par Eurostat est plus exposée à la variation des prix de l’énergie.»
Deuxième élément explicatif: comme les prix de l’énergie tirent moins l’inflation vers le bas, cette dernière a tendance à remonter vers le niveau de l’inflation sous-jacente, qui ne prend pas en compte l’énergie et les produits alimentaires. «Celle-ci est relativement élevée, plus que dans le reste de la zone euro. Comme l’effet des prix de l’énergie est en train de s’estomper, des distorsions sont répercutées dans le chiffre global, remarque Philippe Ledent. Le plus important étant toujours de regarder comment évolue cette inflation sous-jacente. Et la bonne -et principale- nouvelle, c’est qu’elle continue de baisser», rassure l’économiste.
Inflation: des domaines à surveiller
Selon l’expert, il ne faut donc pas vraiment se centrer sur le chiffre Eurostat, qui «donne cette fausse impression de rebond inflationniste, uniquement liée à des effets mécaniques.» Et si l’on regarde la partie alimentaire de l’inflation, la croissance des prix est aussi en train de diminuer. Autrement dit, il y a de moins en moins de pression inflationniste venant des produits alimentaires, en Belgique mais aussi ailleurs en Europe. «Cette impression de rebond inflationniste n’est en rien liée à un quelconque rebond des prix alimentaires», assure Philippe Ledent.
Dans l’absolu, ces 3,6% ne sont donc pas vraiment inquiétants. Plusieurs domaines doivent toutefois être surveillés de près, comme les prix de l’énergie (au vu du contexte géopolitique), des services (qui ont du mal à décélérer) et des coûts salariaux (qui peuvent générer des tensions). « Pour l’instant, ces trois éléments sont maîtrisés. On s’inscrit dans une trajectoire lente, mais de normalisation de l’inflation.»
“Le chiffre de 3,6% est correct, mais la dynamique est trompeuse.”
Peut-on tout de même dire que la vie est 3,6% plus chère qu’il y a un an? Oui. «Mais ce qui peut être déroutant, c’est de se dire qu’il y a deux mois, le coût de la vie n’était que 1% plus élevé que douze mois avant. Avec les 3,6% actuels, on pourrait donc penser à une nouvelle accélération. Mais en fait, ce n’est pas le cas, avance l’économiste d’ING. Cette hausse est simplement due au fait que certains prix diminuent moins vite qu’il y a deux mois.»
Dynamique trompeuse
En substance, une hausse de l’inflation peut signifier une hausse des prix, mais aussi résulter du fait que certains d’entre eux sont en train diminuer de façon plus lente. «Pour le moment, c’est donc cette deuxième option. Le chiffre de 3,6% est correct, mais la dynamique est trompeuse.»
Par ailleurs, le pouvoir d’achat en Belgique demeure protégé par l’indexation automatique des salaires. «Mais comme la remontée de l’inflation actuelle n’est pas une résultante exacte de l’indice des prix, elle ne devrait pas entraîner l’indexation des revenus, déduit Philippe Ledent. Il ne faut donc pas faire le lien direct entre une perte de pouvoir d’achat et une remontée de l’inflation». Et de conclure: «Il ne faut pas craindre un nouveau choc sur le pouvoir d’achat.»