Au coeur de Nicosie, deux soldats de la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), déployée sur l’île méditerranéenne depuis 1964, ouvrent une porte cadenassée de la zone démilitarisée qui sépare Chypriotes grecs et Chypriotes turcs et témoigne d’un conflit sans issue en vue.
Depuis 60 ans, les soldats de l’ONU, intervenus pour empêcher les affrontements entre les deux communautés qui mèneront à la division de l’île après l’invasion de sa partie nord par la Turquie en 1974, en réponse à un coup d’Etat de nationalistes chypriotes grecs qui souhaitaient rattacher le pays à la Grèce, sont chargés du maintien de la paix le long d’une ligne de démarcation de 180 kilomètres.
Les Casques bleus patrouillent dans des rues en ruine, traversant logements et commerces abandonnés dans cette zone tampon qui sépare deux entités: la République de Chypre, reconnue par l’ONU et membre de l’Union européenne depuis 2004, dans la partie sud de l’île, et la République turque de Chypre-Nord (RTCN), reconnue uniquement par Ankara. « Lorsque vous arrivez ici pour la première fois, c’est vraiment surréaliste », confie à l’AFP Michael Clasper, un soldat britannique.
Pourparlers au point mort
Les pourparlers sur la réunification de l’île sont au point mort depuis 2017, et la RTCN exige désormais une solution à deux Etats. En janvier, une nouvelle envoyée de l’ONU a été nommée, la première depuis l’élection en février 2023 du président de la République de Chypre, Nikos Christodoulides, qui a émis l’espoir d’une « reprise des négociations ». Car après plus de six décennies de dialogue infructueux, l’avenir de l’UNFICYP a été remis en question, notamment sous l’administration Trump où des pressions avaient été exercées pour revoir les missions de maintien de la paix de l’ONU.
« Nous avons toujours eu l’intention de venir, de remplir notre mission de maintien de la paix et de repartir. Le fait que nous soyons toujours là, 60 ans plus tard, montre bien que nous avons toujours besoin d’une solution au problème chypriote », dit à l’AFP Aleem Siddique, porte-parole de l’UNFICYP, une des plus anciennes missions de maintien de la paix des Nations unies.
La « Ligne verte »
Chypre a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1960. Mais la nouvelle République a cédé sous la pression des tensions intercommunautaires et, en décembre 1963, le conflit a dégénéré en violences meurtrières. Nicosie, la capitale, a été divisée le long de ce qui a été appelé la « Ligne verte ». Des troupes britanniques sont alors déployées, et le 4 mars 1964, le Conseil de sécurité des Nations unies vote la création de l’UNFICYP.
Depuis l’invasion turque de 1974 qui a divisé Chypre d’ouest en est, l’île est restée en grande partie paisible en raison d’un statu quo, mais la zone tampon, qui atteint jusqu’à huit kilomètres de largeur, connaît des tensions. Chaque année, elle est le théâtre d’infractions: passages civils non autorisés, chasse illégale et contrebande, selon l’ONU, qui refuse fréquemment des demandes d’anciens habitants de venir récupérer leurs biens, ce qui constituerait une violation du statu quo. Le rôle de la mission de l’ONU est de s’assurer que tout reste inchangé dans la Ligne verte, et que si quelque chose est différent, comme un nouveau cadenas qui viendrait à apparaître, de le signaler à la hiérarchie.
En août 2023, des Chypriotes turcs ont attaqué des Casques bleus tentant de bloquer la construction d’une route controversée dans un des rares villages bicommunautaires sur la Ligne verte. L’incident, qui a suscité des condamnations « en vertu du droit international », a fait quatre blessés parmi les soldats de la paix.
« Le Secrétaire général (de l’ONU) a clairement indiqué que le statu quo est en train de changer, qu’il est remis en question par les deux parties« , reconnaît le porte-parole de l’UNFICYP. « Nous espérons que cela souligne l’importance de retourner à la table des négociations et de parvenir à un règlement durable qui ouvrira la voie au retrait de la force de maintien de la paix », ajoute encore M. Siddique.
En attendant, l’ONU est « absolument nécessaire », estime James Ker-Lindsay, expert du problème chypriote, faisant état d’une « situation précaire » sur l’île.