Les partis bruxellois se sont tirés les cheveux concernant l’interdiction des chaufferettes sur les terrasses Horeca. Celle-ci était prévue pour juin 2025, elle aurait pu être reportée à juin 2027, ce sera pour juin 2026. Et à la fin, personne n’est content.
C’est un débat initialement pragmatique mais finalement éminemment politique qui a échauffé les esprits mercredi en commission Environnement du parlement bruxellois. Il portait sur l’interdiction des chaufferettes sur les terrasses de café à Bruxelles, qui devait à la base avoir lieu en juin 2025 et qui est finalement reportée d’un an.
A la base, cela faisait partie d’un paquet de mesures de sobriété énergétique répondant à une directive européenne. «Mais cela a laissé place à un jeu de dupes particulièrement gênant, critique le député bruxellois Geoffroy Coomans de Brachène (MR). Le texte a été caviardé, si bien que tous les partis disent que c’est une ordonnance fourre-tout.» Le libéral, qui répète à l’envi que cette interdiction va pourtant dans le sens de l’histoire, déplore un mauvais timing pour le secteur Horeca «dont un établissement ferme chaque jour».
D’où le report de la mesure à juin 2026, proposé par Les Engagés, avec une série de mesures d’accompagnements pour les retardataires. Ecolo propose alors un report à 2027, toujours avec des accompagnements, à condition que tous les partis soient d’accord. Le MR, la N-VA et le PTB restent opposés au texte, une majorité à 10 contre 5 reste valable, mais Ecolo décide de retirer son amendement. «C’est assez dingue, constate le ministre de l’Environnement Alain Maron (Ecolo). Il s’agit pourtant juste de la transposition d’une directive européenne déjà appliquée en Flandre et en Wallonie. (…) Pour soutenir au mieux l’Horeca, il faut une réforme fiscale au fédéral, ce que le MR bloque, justement.»
«On aurait pu avoir un sursis de deux ans, Ecolo a voulu lier le MR au sort des chaufferettes. C’est un jeu politique frustrant.»
La proposition des Engagés est finalement adoptée. Le président de la Fédération de l’Horeca bruxellois, Mathieu Léonard, fulmine et quitte la salle de commission à la vue d’un tel scénario. «On aurait pu avoir un sursis de deux ans, Ecolo a voulu lier le MR au sort des chaufferettes à Bruxelles. C’est un jeu politique frustrant.»
Des chaufferettes à Bruxelles, pourquoi pas, mais pas n’importe comment
De quoi parle-t-on exactement ? D’une mesure purement écologique, de bon sens, ou de dogmatisme? «Ces chaufferettes sont apparues dans une période d’abondance énergétique, expose le chercheur doctorant sur le domaine de l’énergie à l’UCLouvain et à l’ULiège, Antoine Laterre. C’est un symbole du gaspillage. Une infime partie de la chaleur produite permet de réchauffer les corps. Un brûleur à gaz classique consomme autour de 12 kWh par heure. C’est quatre ou cinq radiateurs classiques, de quoi chauffer un appartement.» On est donc loin d’une mesure radicale qui réduira drastiquement les consommations d’énergie dans la capitale.
Plus qu’une question politique, c’est une question de symbole, donc. Celui-ci opposait, d’une manière un peu caricaturale, ceux qui défendent les restaurateurs à ceux qui encouragent la sobriété énergétique.
En France, les chaufferettes sont interdites depuis avril 2021. Après bientôt quatre ans d’interdiction, David Zenouda, vice-président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie en Île-de-France, fait le point. «L’impact sur le chiffre d’affaires a été important les premiers mois. Paris vit beaucoup par ses terrasses, et on a constaté un manque à gagner surtout pour les brasseries. Sur les terrasses, la fréquentation a baissé d’environ 20 à 35% au début. Mais aujourd’hui, c’est revenu à l’équilibre.»
«Ce n’est pas l’objet, c’est le besoin»
Le tableau n’est donc pas si noir, assure le défenseur des cafetiers. Selon lui, certains s’y sont même retrouvés, car ils ont augmenté leur fréquentation intérieure. D’autres ont compressé leurs coûts en fermant leur terrasse l’hiver alors que l’interdiction est arrivée en même temps que l’explosion des coûts énergétiques, et en profitant des «terrasses estivales» agrandies durant les beaux jours dans la capitale française. «Et puis, à partir de 8 ou 10 degrés, les gens reviennent en terrasse, notamment pour fumer.»
Là où David Zenouda et Mathieu Léonard convergent, c’est sur le sens du timing. «Bien sûr que l’Horeca veut diminuer son empreinte carbone, assure le Bruxellois. Mais ce n’est pas le bon moment», argue-t-il en évoquant les impacts encore sensibles des crises sanitaire et énergétique. «En réalité, ce n’est pas l’objet qui pose problème, mais le besoin, complète Geoffrey van Moeseke, président de Slowheat, plateforme d’innovations sociotechniques en matière de pratiques de chauffage. Si l’on chauffait les quais d’une gare à l’aide de chaufferettes, on ne se poserait peut-être pas la question, car cela aurait plus de sens. (…) Si les cafetiers ont besoin de ces terrasses pour survivre, c’est que c’est aussi peut-être un problème économique.» Mathieu Léonard, aussi tenancier de café, ne dira pas le contraire. «Quand j’utilise des chaufferettes, c’est pour pouvoir assurer un double service. Si des clients de mon premier service qui se clôture à 20h30 n’ont pas encore quitté la table, je peux leur offrir un verre en terrasse chauffée pour préparer le second service. Pareil pour ceux du second service qui arrivent un peu en avance.»
L’Horeca est donc, après deux crises majeures, face à une petite secousse qui pourrait secouer le secteur. A en croire la trajectoire parisienne, cet évènement n’a rien d’insurmontable. «Mais on va devoir aider l’Horeca, assure Coomans de Brachène. Avec ou sans chaufferette, l’Horeca va péricliter.» Un bon moyen de l’aider reste encore peut-être d’aller boire un verre.