La culture de chanvre, plante de la famille du cannabis, sans ses effets psychotropes, s’enracine à nouveau en Wallonie. Les hectares dédiés à cette tige oubliée poussent, à mesure que les débouchés dans le textile, l’alimentaire ou la construction font grimper la demande. Un succès?
«Avec le chanvre, c’est zéro pesticide, zéro fongicide, zéro herbicide. En plus, il a magnifiquement poussé cette année. Ce n’est que notre première saison, on verra l’année prochaine, mais cela donne confiance.» A la ferme aux hirondelles, à Walhain, Isabelle a remplacé un champ de betterave par du chanvre. Une dizaine d’hectares, tout de vert vêtu. Et l’assurance d’en tirer un revenu, avec un prix de base signé avant le semis.
Un choix qui n’a rien d’un hasard, alors que le prix d’autres produits s’effondre, que les pulvérisations grignotent les marges et prennent du temps. La plante trace à nouveau son sillon dans les cultures belges, wallonnes notamment, poussée par le retour d’acteurs et le (re)développement d’une filière autour du chanvre, offrant des débouchés.
«Ce n’est encore que le début, on le sent bien, tout doit encore véritablement se mettre en place, mais on a la chance d’avoir eu directement ce client qui nous a sollicités, une firme en Belgique, pour planter du chanvre. Certains agriculteurs du coin ne veulent pas abandonner la betterave. Notre choix fera peut-être tache d’huile», poursuit l’agricultrice brabançonne.
Le retour du chanvre, fruit d’une époque
Le chanvre n’a rien de nouveau sous les latitudes belges, mais son retour illustre bien la prise de conscience de l’époque actuelle. Plante oubliée, domestiquée déjà au néolithique, elle semble cocher toutes les cases d’une forme d’agriculture défendue par certains: retombée positive pour la terre et l’environnement, intérêt d’avoir un produit local pour fournir une filière de proximité, valorisation importante puisque la quasi-totalité de la plante est utilisable.
Pourquoi son retour seulement maintenant? La plante, cousine du cannabis, a longtemps été interdite. Le chanvre dit «industriel» se distingue par sa faible teneur en substances psychotropes: 0,2% de THC au maximum, contre 5 à 20% pour le produit récréatif. C’est cette parenté, et les craintes autour des substances psychoactives, qui avait provoqué le bannissement du chanvre pendant de longues années, avant son retour en grâce via des autorisations délivrées pour certaines variétés et des contrôles stricts effectués.
Un retour du chanvre soutenu en Wallonie par Valbiom, centre de référence de l’économie biosourcée. Celui-ci se charge notamment de la mise en relation des différents acteurs tout au long de la chaîne de production, afin de favoriser le redéploiement du chanvre. «Nous avons atteint les 1.000 hectares de chanvre pour 2025, à l’échelle de la Belgique. Cela reste petit à l’échelle de la France par exemple, mais ce chiffre est en progression constante depuis plusieurs années (NDLR: Valbiom dénombrait 500 hectares l’an dernier). Il est déjà prévu davantage de surface pour 2026, puisqu’on attend déjà 1.200 hectares rien que pour le chanvre fibre courte», détaille Valentine Donck, cheffe de projet textile biosourcé chez Valbiom.
Les produits techniques avant le textile
Le chanvre représente trois filières: celle de la fibre courte pour les produits techniques, notamment comme isolant dans la construction, les graines pour l’alimentaire et enfin la filière textile.
La première représente le plus gros volume actuel et plus de la moitié des surfaces exploitées, avec des acteurs désormais bien lancés. Et des nouveautés qui se déploient également. IsoHemp, société basée à Fernelmont (province de Namur), a dévoilé il y a deux semaines une première mondiale, avec une unité de recyclage pour le béton de chanvre. Elle permet de donner une seconde vie à l’entièreté des déchets issus de la production d’IsoHemp et des chutes de chantiers de ses clients, sous forme de blocs de chanvre et de granulats.
La partie alimentaire, elle, reste plus complexe. C’est notamment le cas financièrement, surtout en agriculture conventionnelle. Le bio est pécuniairement plus intéressant, mais les débouchés restent encore minces, concède Valbiom.
Enfin, le fil textile permettra-t-il un jour d’avoir une chemise en chanvre wallon? «Les progrès sont là, la qualité progresse, mais nous sommes plutôt en phase de prototypage. Le premier denim, plus proche d’un jean donc, arrive cet automne, mais la chemise ce n’est pas encore pour demain. C’est tout un secteur qui doit véritablement se déployer, un savoir-faire à acquérir, une nouvelle matière à travailler», poursuit Valentine Donck.
Un redéploiement progressif
Si les progrès sont là, que les surfaces cultivées augmentent, Valbiom rappelle que le passage au chanvre doit s’envisager avec ses contraintes. L’idée n’est pas de pousser tous les agriculteurs à en planter en masse. Il faut penser aux outils de récolte adaptés, s’assurer d’avoir des clients et la culture demande certaines conditions aussi. «Le chanvre est adéquat pour notre climat, se développe rapidement, ne requiert pas de produits phytosanitaires, mais il faut un bon sol malgré tout. Cela permet aussi d’enrichir la rotation des terres et de diminuer les maladies. Le chanvre a besoin d’eau lors du semis mais semble résistant à la sécheresse par la suite. Ce sont des avantages qui doivent être mis en avant, bien sûr, mais si tout le monde se lance en même temps, on risque de se retrouver avec un surplus et des goulots d’étranglement à certaines étapes», prévient encore la chargée de projet.
Le redéploiement du chanvre progresse donc, mais vise encore à atteindre une taille critique, pour que l’ensemble des maillons soient pleinement opérationnels et disponibles en suffisance. La France, plus avancée dans la culture du chanvre et avec des quantités plus importantes, intéresse plus facilement les acheteurs, niveau textile notamment.
L’intérêt du produit grandit, autant que les hectares de plantations. Mais le retour du chanvre est donc aussi une question qui demande de se projeter à long terme. Et là-dessus, la confiance reste de mise pour les acteurs impliqués. Après l’enracinement, il faut désormais laisser le temps pour la pousse.




