jeudi, mars 20

La polémique autour de la sculpture allégorique de La Maturité de Victor Rousseau (1865-1954) a déjà fait couler beaucoup d’encre, même jusqu’à Paris, là où on aime tant se gausser de l’inculture des Belges. Le haut degré de perfection technique de l’œuvre, l’idéalisme de ses figures, la grâce et la sérénité des attitudes en font le chef-d’œuvre le plus abouti de l’artiste. Et les autorités de la ville de Bruxelles voudraient la déplacer…

Installée depuis plus d’un siècle à proximité de la Gare Centrale, dans un square conçu spécialement pour l‘accueillir, la sculpture de La Maturité, acquise à l’époque à grand frais par la Ville de Bruxelles, n’a jamais fait l’objet d’aucune plainte ou réclamation. Il n’y a sans doute qu’Ans Persoons, Secrétaire d’Etat à la Région de Bruxelles-Capitale, chargée de l’Urbanisme et du Patrimoine, qui voit dans cette sculpture l’image stéréotypée d’un «patriarcat représentatif de valeurs familiales du passé» qu’il faudrait absolument soustraire à la vue de ses concitoyens afin de «lutter contre les inégalités des genres à Bruxelles». Son idée d’y substituer une sculpture «féministe qui sublime des déchets de chantier» témoigne de son engagement inconditionnel mais laisse aussi planer des doutes sur ses compétences esthétiques et patrimoniales.

Ses services ont parfaitement contextualisé l’intérêt de l’œuvre et recommandent de la restaurer sur place. Mais la Secrétaire d’Etat a préféré ne pas les écouter et aller de l’avant en suivant son intuition, convaincue «de faire ainsi le bonheur des gens contre leur gré» (NDLR: des propos tenus par Pascal Smet, le prédécesseur d’Ans Persoons). Pour contourner les avis de la Commission Royale des Monuments et Sites (CRMS), elle n’hésite pas à réécrire, à sa manière, l’histoire de l’art. Outre la lutte contre l’inégalité des genres, elle en appelle aussi à notre responsabilité écologique et explique que le déplacement de la sculpture permettra de mieux résister au changement climatique. Mais la question relative au coût du déplacement de la sculpture ne semble pas l’avoir effleurée. Les finances publiques bruxelloises seraient-elles un puits sans fond ?

Non au permis de réaménagement

Le projet actuel de réaménagement du Marché au Bois prévoit le déplacement de l’œuvre vers une destination inconnue. Il est actuellement soumis à l’enquête publique. A l’examen, il s’avère que ce dossier est incomplet et irrecevable. Le Quartier des Arts signifie que ledit permis devra dès lors être refusé. La Secrétaire d’Etat a été contrainte de le reconnaître devant le Parlement Bruxellois le 10 mars 2025.

Voilà qui donne du répit à la Maturité et l’occasion d’élaborer, avec plus de transparence, un nouveau projet. Les innombrables réclamations déposées lors de l’enquête publique en tracent la voie. Il s’agira bien entendu de garder les objectifs (que personne ne conteste) de verdurisation et d’amélioration de la mobilité douce. Mais la restauration de La Maturité in situ ainsi que la préservation des perspectives vers les façades du Palais des Beaux-Arts et l’aménagement d’origine de la Rue Baron Horta et de sa fontaine devront constituer les fils rouges du nouveau projet.

Feu vert sans enquête publique

Cette volonté de déplacer La Maturité et de gommer complètement la typologie actuelle du square s’inscrit dans une tendance plus large d’incompréhension et d’indifférence des autorités envers les paysages historiques au sein de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle se retrouve transcrite dans le Master Plan dit Coteaux du Pentagone dressé par le paysagiste Bas Smets. Ce plan, encore inconnu du grand public, vise à guider, pour les prochaines années, le réaménagement de tout l’espace public entre le bas de la ville et le Quartier Royal, avec une ambition de végétalisation importante et d’attention à la mobilité douce. Les esquisses de réaménagement des quartiers des places de la Liberté, du Congrès, du Sablon laissent craindre partout une même politique de tabula rasa du patrimoine historique, notamment l’abandon total de la cohérence, des perspectives et de la richesse patrimoniale du Tracé Royal (Rue Royale, Place du Congrès, Rue de la Régence).

Il n’est pas acceptable que ce quartier du plus grand intérêt historique et esthétique de Bruxelles soit ainsi dénaturé d’autorité, sans aucune concertation, au nom de la «lutte contre le changement climatique et le patriarcat». C’est pourquoi le Quartier des Arts tire la sonnette d’alarme et demande une révision du master plan Coteaux du Pentagone et sa mise à l’enquête publique avant qu’il ne soit trop tard. Toute atteinte au patrimoine est irréversible.

L’évolution des paysages urbains les plus précieux de notre capitale doit se fonder sur leurs qualités patrimoniales, ce qui n’est pas incompatible avec de nouvelles interventions, fines, étudiées et intégrées, lisibles et créatives, pour les adapter aux enjeux et besoins contemporains.

«Elle détient aujourd’hui, non seulement le pouvoir de délivrer les permis pour les projets qu’elle a élaborés en tant qu’Echevine, mais aussi celui de refuser le classement des éléments du patrimoine qu’elle a projeté de démanteler.»

Ans Persoons, juge et partie?

Que ce soit dans le dossier de La Maturité ou dans celui des Coteaux de Pentagone, Ans Persoons se retrouve, à chaque fois, juge et partie. En effet, elle a élaboré ces plans avec Bas Smets en 2022, alors qu’elle était Echevine à la Ville de Bruxelles. Devenue ensuite membre du Gouvernement bruxellois avec les responsabilités de l’Urbanisme et du Patrimoine, elle détient aujourd’hui, non seulement le pouvoir de délivrer les permis pour les projets qu’elle a élaborés en tant qu’Echevine, mais aussi celui de refuser le classement des éléments du patrimoine qu’elle a projeté de démanteler. Espérons que le futur Gouvernement bruxellois aura à cœur de régler ce conflit d’intérêts et inscrira, en lettres capitales, dans ses accords de majorité, la protection de notre patrimoine historique.

Le Quartier des Arts, pionnier depuis 1967 dans la valorisation du patrimoine bruxellois, appelle à une mobilisation urgente, car il est temps d’agir avec détermination dans ce dossier… qui pourrait concerner d’autres œuvres monumentales au sein de la Région de Bruxelles-Capitale.

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