samedi, janvier 11

Les talibans ont encore durci leur législation contre les droits des femmes. L’absence d’éducation, le silence en public, la réclusion au foyer, l’invisibilité…: l’oppression est sans précédent.

«Tous les experts s’accordent pour dire que c’est la situation la plus grave que les femmes aient jamais connue dans le monde à l’époque contemporaine. Il n’y a pas un autre Etat sur la planète aussi irrespectueux de ses obligations à l’égard des femmes que l’Afghanistan.» Le constat dressé par la professeure de droit international de l’ULB Anne Lagerwall est implacable. Il est à la mesure de la répression mise en place, dans une certaine indifférence de la communauté internationale, par le régime politique des talibans depuis qu’ils ont repris le pouvoir à Kaboul le 15 août 2021 après la débandade de l’armée américaine.

Il y aura bientôt six mois que le gouvernement, en vertu de l’article 13 de la loi «pour la prévention du vice et la promotion de la vertu», a interdit aux femmes de chanter, réciter de la poésie et lire à haute voix en public. Cette proscription s’est ajoutée à l’arrêt des études secondaires et supérieures pour les filles, à l’interdiction d’accès aux parcs, salons de beauté et salles de sport, et à l’obligation pour les organisations non gouvernementales de ne pas employer des femmes. Cette mesure avait été prise fin décembre 2022 par décret. Les ONG ont été sommées de l’appliquer effectivement à la fin de l’année dernière par un rappel à l’ordre du ministère de l’Economie. A défaut, la licence des ONG «fautives» sera révoquée.

«Aucun pays ne peut progresser en excluant la moitié de sa population de la vie publique.»

Jusqu’aux fenêtres obstruées…

A l’inactivité professionnelle, au refus de l’éducation, à la réclusion dans le foyer, au silence…, les talibans ont ajouté l’invisibilité. Un décret du «guide spirituel» des talibans, Haibatullah Akhundzada, a prononcé l’interdiction des fenêtres dans les espaces domestiques fréquentés par les femmes, comme les cuisines, pour empêcher qu’elles soient visibles de l’extérieur. Les propriétaires d’habitations sont ainsi tenus d’obstruer ces ouvertures en érigeant, par exemple, des murs de «taille humaine» afin de «préserver les voisins de toute tentation». Cet arsenal répressif est mis en place au XXIe siècle à l’heure de TikTok, de l’intersectionnalité des luttes sociétales et sociales et de la présidence de Samia Suluhu Hassan, femme musulmane, à la tête de la Tanzanie.

En août 2021, leur porte-parole affirme que les talibans sont «attachés aux droits des femmes… dans le cadre des règles islamiques».

Comment en est-on arrivé à une telle répression? On savait les «étudiants en théologie» défenseurs d’une vision très rigoriste de l’islam. Ils l’avaient déjà mise en pratique lors de leur première expérience du pouvoir entre 1996 et 2001. Mais en 2021, quand les Talibans reviennent à Kaboul en vainqueurs militaires et en partenaires des Etats-Unis de Donald Trump qui ont conclu avec eux en novembre 2020 à Doha «l’accord pour la paix en Afghanistan», on pense qu’ils sont devenus plus mesurés, qu’ils auront à cœur de ménager les pays occidentaux pour attirer à eux l’aide humanitaire indispensable à la survie de la population minée par les années de guerre, et qu’ils se garderont de restaurer les mesures d’oppression des femmes qu’ils avaient mises en œuvre à la fin des années 1990. L’Afghanistan est encore sous les regards de l’opinion publique internationale, des femmes osent manifester dans les rues de Kaboul pour faire valoir leurs droits et préserver ceux dont elles ont bénéficié sous les gouvernements des présidents Hamid Karzai (2002-2004) et Ashraf Ghani (2014-2021) qui a fui le pays. Figure du nouveau régime, le porte-parole Zabihullah Mujahid affirme que les talibans sont «attachés aux droits des femmes… dans le cadre des règles islamiques». Un représentant du mouvement à Doha va même jusqu’à déclarer que si le voile sera obligatoire, la burqa, «qui n’est qu’un hijab parmi d’autres», ne le serait pas.

Au-delà de 12 ans, les filles afghanes sont désormais interdites de scolarité. © BELGAIMAGE

Des protestations de l’ONU

C’est tout l’inverse qui va se produire. A partir du printemps 2022, les premières dispositions restreignant les droits des femmes sont prises, à commencer par la suppression de l’enseignement de niveau secondaire pour les filles. C’était pourtant un test crucial concernant la politique des talibans sur les droits humains. Depuis, elle n’a cessé d’être menée dans le sens de la répression, et pas seulement pour les femmes, puisque la loi «pour la prévention du vice et la promotion de la vertu» comporte de nombreux articles définissant les règles que sont également censés respecter les hommes. Elles ont trait, par exemple, au port obligatoire de la barbe longue ou à l’interdiction du visionnage d’êtres vivants sur ordinateur ou téléphone portable… Rien d’aussi restrictif cependant que ce qui est imposé aux femmes.

6 mois

bientôt, que le gouvernement a interdit aux femmes de chanter, réciter de la poésie et lire à haute voix en public. Une proscription supplémentaire à toutes celles déjà existantes.

Face à cette évolution, plusieurs organes de l’ONU et les associations de défense des droits humains se sont exprimés pour dénoncer l’attitude des dirigeants afghans. «Aucun pays ne peut progresser –politiquement, économiquement ou socialement– en excluant la moitié de sa population de la vie publique», a fustigé Volker Türk, le diplomate autrichien haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le 31 décembre en réaction au rappel à l’ordre des ONG sur l’emploi des femmes. «Pour l’avenir de l’Afghanistan, les autorités de facto doivent changer de cap.» Début octobre, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exhorté les talibans à revenir sur la loi «pour la prévention du vice et la promotion de la vertu» édictée au mois d’août qui, selon ses membres, «institutionnalise un système de discrimination et d’oppression contre les femmes», ce qui pourrait relever du crime contre l’humanité, au titre du crime de persécution. L’initiative a cependant été jugée insuffisante par Amnesty International, qui a regretté l’absence de mise en place d’un «mécanisme international indépendant de responsabilisation, apte à identifier des auteurs, à enquêter et à recueillir et conserver les éléments de preuve» des violences.

Mohammad Faqir Mohammadi, le ministre de la Promotion de la vertu et de la Répression du vice, lors d’une conférence de presse à Kaboul en août 2024. © GETTY IMAGES

Différence de traitements

Ces avertissements onusiens, ces revendications d’ONG sont louables. Elles ne peuvent cependant pas se substituer aux pressions politiques exercées par les dirigeants des grandes puissances qui ont joué ou jouent un rôle en Afghanistan. Certes aucun Etat n’a formellement reconnu le nouveau pouvoir afghan, mais de facto, certains, dont l’Iran et la Chine, ont renoué leurs relations, avec installation réciproque d’ambassadeur ou de chargé d’affaires. Et l’ONU, elle-même, a accepté de renouer le dialogue avec les talibans en organisant une rencontre à Doha au Qatar les 30 juin et 1er juillet. Est-ce la raison pour laquelle les dirigeants de Kaboul campent sur les positions en matière de droits humains et se permettent même d’interdire d’accès au pays le rapporteur spécial de l’ONU sur l’Afghanistan, le Néo-Zélandais Richard Bennett?

L’inaction des Joe Biden, Emmanuel Macron, Olaf Scholz et autres dirigeants occidentaux sur la situation des femmes en Afghanistan interpelle en tout cas sur leur volonté de donner à ce sujet tout l’attention qu’il mérite. Elle est d’autant plus surprenante que depuis l’avènement des djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham au pouvoir en Syrie le 8 décembre, la question du droit des femmes est scrutée avant de définir la nature des relations futures avec eux. Les Afghanes, elles, attendent toujours.

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