Air Belgium mise ses derniers jetons sur l’activité cargo. Un espoir de taille pour la compagnie aérienne belge, qui tire un trait sur l’activité passagers. Malgré tous ses déboires, l’entreprise reste attractive à certains égards. A condition de passer l’étape justice.
Air Belgium redécollera-t-elle un jour? Probablement, mais sans passagers à bord, ni bandes noir-jaune-rouge floquées sur son fuselage. C’est le triste constat annoncé par la compagnie, qui a indiqué avoir reçu une offre d’un candidat actif dans le cargo. Selon une note interne de la direction consultée par le média L-post, il s’agit d’un groupe «sérieux, crédible et actif dans le fret aérien», qui dispose d’une «flotte importante». La compagnie «européenne» aurait fait une «offre ferme», peut-on lire.
Embourbée dans un redressement judiciaire complexe, Air Belgium tire donc définitivement le rideau de l’activité passager. Elle l’a concédé, pour la première fois, dans un communiqué ce 28 novembre. Selon toute logique, elle se séparera donc de tout son personnel de cabine.
Il faut dire que la compagnie enchaîne les déboires depuis de longs mois. Ses derniers projets passagers -Caraïbes, Antilles, Hong-Kong, Maurice, Afrique du Sud- se sont tous soldés par des échecs. Sa collaboration cargo avec l’entreprise française CMA CGM fut également peu concluante.
«En reprenant les activités cargo, le repreneur potentiel assurerait le maintien d’une partie de l’emploi chez Air Belgium: personnel administratif, opérationnel, au sol et le personnel navigant pilote (tous types d’avion confondus) seraient conservés, quel que soit le type de contrat», assure Air Belgium, qui dit «espérer» que la vente soit autorisée.
Jeudi 5 décembre, le tribunal d’entreprise du Brabant Wallon (Nivelles) statuera sur l’offre de l’unique repreneur, dont l’identité reste secrète «pour des raisons légales», fait-on savoir, même si plusieurs noms peuvent être listés par déduction (voir plus bas).
«Air Belgium est comme un caméléon. La compagnie a changé de business model, et tenté de s’adapter plusieurs fois à la situation difficile du marché, admire Wouter Dewulf, professeur d’économie des transports (UAntwerpen). Le Covid, la chute des prix du fret, ou l’acquisition complexe de lignes aériennes, par exemple, n’ont pas joué en leur faveur», rappelle-t-il.
La situation actuelle d’Air Belgium résulterait donc d’une combinaison de malchance et de mauvais choix. Globalement, elle a manqué de densité, de «feeding» (alimentation) de passagers étrangers pour ses vols. «Par exemple, Brussels Airlines ne remplit pas un vol pour Kinshasa uniquement avec des passagers belges: certains arrivent par correspondance de Paris, Lyon, ou Francfort», illustre Wouter Dewulf. «TUI, en revanche, peut se permettre de faire un Bruxelles-Curaçao grâce à leur système de vente verticale, qui inclut tout un packaging avec logement», compare-t-il.
Dans le cas d’Air Belgium, survivre avec cinq ou six avions était devenu impossible.
Les trois piliers nécessaires à la bonne santé d’une compagnie aérienne – économie d’échelle, de gamme et de densité – n’ont pas été réunis dans le chef d’Air Belgium, souligne Wouter Dewulf. De fait, la structure d’une compagnie aérienne nécessite parfois une somme impressionnante d’employés pour peu d’avions actifs. «Dans le cas d’Air Belgium, survivre avec cinq ou six avions était devenu impossible. Même Brussels Airlines, avec 50 appareils, ne peut techniquement pas s’en tirer seule. Elle est sauvée par la tutelle de Lufthansa».
La solution, dans ce cas de figure, se trouve souvent dans le cargo. Ou dans une activité de niche, comme l’affrètement d’avions à d’autres compagnies par location (ACMI), activité qu’Air Belgium avait d’ailleurs entamée.
Finances et flotte d’Air Belgium: quelle attractivité?
La construction financière d’Air Belgium a toujours été complexe. La Région wallonne détient des parts importantes (33%, avec 20 millions investis via Wallonie Entreprendre). La participation de la SFPI, Société fédérale de Participation et d’Investissement, s’élève elle à 12,5%. Mais c’est surtout le groupe logistique chinois Hongyuan, actif de le cargo, qui détient la plus belle part du gâteau, avec près de 50% du capital. Deux autres acteurs, 3T et SNAE (Sabena Aerospace) complètent les pourcents restants.
La flotte d’Air Belgium est désormais réduite au minimum: la compagnie dispose encore de deux Boeing 747-8 (la version la plus moderne du 747, idéale pour le cargo, mais peu économique avec ses quatre moteurs) et deux Airbus A330. Le leasing des autres avions passagers ont quant à eux été clôturés.
Peut-on survivre avec une flotte si réduite? Oui. Ou du moins, elle peut rester «attractive». D’abord car ces avions sont des versions relativement modernes. Ensuite car Air Belgium trouve sa valeur dans sa propre structure. L’entreprise dispose d’une licence belge -pas si évidente à obtenir-, le Air Operator Certificate (AOC), qui lui confère un pouvoir de navigation. Elle permet d’acquérir des lignes aériennes internationales depuis la Belgique (qui se négocient entre pays). Et certaines ne sont pas encore utilisées à leur maximum.
La Belgique dispose avec le nouveau ASA (Air Services Agreement) de dizaines de vols extra par semaine entre la Chine et la Belgique, ce que les pays voisins n’ont pas. Quelque part, le futur repreneur achètera donc une compagnie «prête à l’emploi», à l’organigramme rempli, et dont la structure est établie sur le sol belge, avec des droits assurés. C’est en cela, surtout, qu’elle peut intéresser.
Repreneur pour Air Belgium: voici les pistes potentielles
L’identité du potentiel repreneur ne sera pas révélée avant ce 5 décembre. Mais quelques déductions sont possibles. Quelle entreprise européenne, active dans le cargo, pourrait bien se cacher derrière l’unique espoir actuel de reprise?
L’offre réside dans un candidat unique, selon Air Belgium. En brossant le marché européen, Cargolux, Challenge Airlines, ou ASL s’affichent comme des pistes envisageables.
Cargolux ne dispose pas d’une AOC belge (mais luxembourgeoise aux droits équivalents), et est dotée d’une belle flotte. Tout comme Challenge Airlines (propriétaires belges et israéliens, qui dispose d’une base à Chypre) et ASL. Cargolux, par exemple, possède déjà des Boeing 747: la transition pourrait dès lors être facilitée pour la formation des pilotes et du personnel.
La plus grande erreur d’Air Belgium est sans doute d’avoir initié des vols low-cost à partir de Charleroi. La deuxième est l’ouverture d’une ligne vers l’Afrique du Sud. Sans feeding ni économie d’échelle, la compétition avec les autres compagnies était une mission impossible.
Pour le cargo, le 747 possède de sérieux atouts, notamment en termes de capacité de remplissage. «Si on s’en tient au réseau et au type d’exploitation, Cargolux, Challenge et ASL seraient de sérieux candidats», dit une source active dans le milieu de l’aviation. Problème de taille: les deux dernières compagnies détiennent un AOC belge, et la première n’en a pas réellement besoin. Cependant, Challenge pourrait voir en Air Belgium l’opportunité de récupérer des 747-8 à un prix intéressant.
Maersk pourrait être une autre option très intéressante. Cette compagnie danoise (aussi active dans le transport maritime) ne dispose pas d’AOC belge et détient une vingtaine d’appareils. Elle commence d’ailleurs à opérer à Liège. Les Danois pourraient considérer Air Belgium comme une possibilité de débuter une flotte de 747, clés en main, avec la structure de l’entreprise. Les planètes pourraient donc s’aligner entre Air Belgium, Maersk, et Liege Airport, spécialisé dans le cargo.
La compagnie CMA CGM, qui dispose d’un AOC français mais pas belge, pourrait aussi être dans les clous. «Avec Air Belgium, CMA CGM pourrait trouver une ouverture sur le marché chinois, qu’elle n’a pas vraiment en France», indique-t-on.
DHL, parfois citée, semble une option moins probable. «Ils ont leur propre structure, mais pourraient être un client potentiel par la suite.»
Quel avenir pour le personnel de cabine?
Dans tous les cas, la marque Air Belgium pourrait disparaître au profit du nom du repreneur cargo.
En revanche, le personnel de cabine ne doit pas trop s’inquiéter pour retrouver de l’emploi rapidement, juge Wouter Dewulf. Brussels Airlines, TUI… toutes ces compagnies cherchent activement du personnel navigant», rassure-t-il.
Malgré ce constat d’échec, «il faut tout de même saluer le travail de Niky Terzakis, CEO d’Air Belgium, insiste Wouter Dewulf. Il avait une vision, qui n’a malheureusement pas abouti. Sa plus grande erreur est sans doute d’avoir initié des vols low-costs à partir de Charleroi. La deuxième est l’ouverture d’une ligne vers l’Afrique du Sud, liste-t-il. Sans feeding ni économie d’échelle, la compétition avec les autres compagnies était une mission impossible. Quand un avion est à moitié rempli, ce sont des centaines de millions qui coulent dans la nature.»