L’ancien sénateur et député bruxellois Alain Destexhe a été exclu avant l’été du Grand Orient de Belgique, à l’issue d’une procédure en appel. Son engagement politique à l’extrême droite n’était plus en phase avec les valeurs de l’obédience.
Alors que ses positions politiques embarrassaient depuis longtemps les membres du Grand Orient de Belgique, Alain Destexhe a définitivement été exclu de l’obédience maçonnique peu avant les élections de juin dernier, apprend-on à bonne source. La cause: son ralliement officiel à l’équipe de campagne, en janvier 2022, du candidat d’extrême droite à la présidentielle française Eric Zemmour.
L’issue intervient plus de deux ans après l’ouverture d’une double procédure au sein du Grand Orient. Celle-ci avait été entamée suite à plusieurs plaintes d’autres membres de l’obédience. Une procédure interne fut également instruite par la loge dans laquelle siégeait le principal intéressé, soit celle des Amis Philanthropes n°4. Cette seconde procédure a cependant automatiquement lieu quand un membre du Grand Orient de Belgique s’éloigne du socle de valeur de l’obédience.
Défaite en appel
Initialement, les quelques dizaines de maîtres de sa loge avaient opté pour une suspension temporaire (qui pouvait durer dix ans). Alain Destexhe, qui avait confié sa défense à des membres internes, a finalement interjeté appel. Une douzaine de juges tirés au sort parmi une sélection de représentants au sein 118 loges du Grand Orient de Belgique ont alors prononcé son exclusion pure, simple, définitive et valant pour l’ensemble des obédiences du Grand Orient, y compris à l’international. Une procédure aussi rare que grave. Le fondateur des listes portant son nom peut demander une révision du jugement suite à un élément nouveau, mais il devra cette fois convaincre 560 députés des loges. Il peut également saisir la justice profane. Contacté, Alain Destexhe n’a pas souhaité faire de commentaire.
Zemmour fait partie de la fachosphère, tout qui tient un discours digne de celle-ci se met en opposition avec les valeurs du Grand Orient.
Le Liégeois est entré au Grand Orient il y a trente ans, alors qu’il était Secrétaire Général de Médecin Sans Frontière International. «A l’époque, c’était une personne tout à fait fréquentable, glisse un franc maçon bien installé. Quand il a basculé à l’extrême droite par après, on a senti un malaise grandir. Et lui aussi, il était quasiment absent.» Comme lorsque Médecins Sans Frontières lui a demandé de démissionner suite à son engagement avec le MR, son engagement politique à l’extrême droite a probablement gêné. «Son soutien à Eric Zemmour n’a pas du tout été accepté. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Zemmour fait partie de la fachosphère, tout qui tient un discours digne de celle-ci se met en opposition avec les valeurs du Grand Orient. On ne fait aucune compromission à ce sujet. Depuis les années 1980 et la résurgence néofasciste en Europe, tout rapport à l’extrême droite est sanctionné. […] Le catalogue des valeurs est connu, le Grand Orient de Belgique s’exprime d’ailleurs publiquement sur celui-ci.»
Le Grand Orient opposé à l’extrême droite
En mai dernier, 21 obédiences du Grand Orient de toute l’Europe se sont réunies à Strasbourg pour alerter sur les dangers liés à la montée de l’extrême droite. «C’était une déclaration de valeurs, ce qui n’a rien de neuf, poursuit notre source. […] Il ne s’agit pas de dire « ne votez pas pour untel », mais d’avertir sur les dangers pour la démocratie. Quand les temps deviennent difficiles, que dix gouvernements européens sont composés partiellement de l’extrême droite, nous ne devons pas attendre que l’irréparable se produise. Quand des démocraties illibérales adviendront, combien de temps restera-t-il avec que les Francs-Maçons soient interdits ?» Actuellement, la franc-maçonnerie belge réunirait 30.000 membres dont 11.000 au sein du Grand Orient de Belgique.
Contacté, le grand maître du Grand Orient, Patrick Cauwert, explique ne pas pouvoir communiquer sur des cas personnels. Il tient cependant à rappeler quelques principes et éléments de contexte. «Quand un membre tient des propos antagonistes à nos valeurs, il n’a plus sa place parmi nous. […] C’est toujours un déchirement de voir quelqu’un se séparer de ses valeurs. Mais c’est aussi un soulagement, bien que le mot ne soit pas adéquat, de se séparer de brebis galeuses.»