Après l’annonce d’Emmanuel Macron en faveur d’une reconnaissance de l’Etat palestinien, et alors que l’Union européenne débloque une aide de 1,6 milliard d’euros à l’Autorité palestinienne, la Belgique maintient sa position de prudence. Bruxelles conditionne toujours toute reconnaissance officielle à des critères politiques et sécuritaires précis, mais paradoxaux.
Ce lundi 14 avril 2025, Maxime Prévot s’est rendu au Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, ouvrant le premier grand dialogue politique avec l’Autorité palestinienne (AP). Le Premier ministre palestinien Mohammad Mustafa et Kaja Kallas, ministre européenne des Affaires étrangères, présidaient cette réunion inédite, en présence des représentants des Affaires étrangères des nations européennes qui marchent à tâtons face à la reconnaissance d’un Etat palestinien. L’échange est jugé fructueux. La Commission européenne alloue un plan d’aide de 1,6 milliard d’euros à l’Autorité palestinienne, répartis entre 2025 et 2027.
L’enveloppe est divisée en trois parties. L’une, de 576 millions d’euros, doit servir à l’établissement de projets structurant l’accès aux biens de première nécessité, comme l’eau ou l’énergie dans les territoires palestiniens. La deuxième, de 400 millions d’euros, est un prêt à destination du secteur privé palestinien. La dernière, 620 millions d’euros, est directement injectée dans le budget de l’Autorité palestinienne.
Un effort européen, une somme colossale, qui a des allures de soutien à la cause palestinienne. Pourtant, le discours de la Belgique sur la reconnaissance d’un Etat palestinien n’a pas bougé d’un iota.
Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, analyse cette aide comme «un élément de continuité dans la politique européenne. Dans ce contexte, cela sonne comme un signal adressé aux Etats-Unis, qui soutiennent inconditionnellement Israël. La radicalisation de la politique israélienne donne l’impression que l’Europe bouge. Alors que je perçois plutôt une permanence dans ses principes. Ce sont les autres qui se déplacent autour d’elle.»
Une reconnaissance en juin avec la France?
Ce jeudi 10 avril à la Chambre, Paul Magnette (PS), très remonté, s’adressait au Premier ministre Bart De Wever (N-VA) et au ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot (Les Engagés). Le visage fermé, les mots secs, le président du PS, assis dans les rangs de l’opposition, saisissait une étincelle venue de France: «Emmanuel Macron a déclaré hier que la France allait reconnaître la Palestine. Il est temps que la Belgique se joigne aux 148 pays des Nations unies qui la reconnaissent comme un Etat plein et entier. Le ferez-vous?»
Le président français a en effet affirmé que son pays «doit et ira vers une reconnaissance de l’Etat palestinien dans les prochains mois.» La date du 2 juin a été posée comme une échéance symbolique, en vue d’une conférence des Nations unies à New York coprésidée par la France et l’Arabie saoudite. L’objectif des Etats membres de l’ONU sera de discuter des avancées sur la reconnaissance de la Palestine et d’encourager certains pays arabes à reconnaître Israël, avec l’idée de «finaliser un mouvement de reconnaissance réciproque par plusieurs.»
La Belgique ne manquera pas ce rendez-vous. Par le biais de Bart De Wever et de Maxime Prévot, elle poursuit sa ligne diplomatique d’une non-reconnaissance tant que certaines conditions ne sont pas remplies. Le ministre des Affaires étrangères a répondu à Paul Magnette: «Nous reconnaîtrons l’Etat palestinien si un leadership palestinien légitime s’avère capable de gérer cet Etat, de fournir les services essentiels à sa population et s’engage à assurer la sécurité des citoyens sur le territoire palestinien, mais aussi celle d’Israël. L’objectif reste une solution à deux Etats.»
Michel Liégois analyse ce qu’il considère comme un paradoxe: «Il y a là une incohérence qui, en fait, est plutôt logique. La Belgique demande à ce que l’Autorité palestinienne assure la sécurité de son peuple, lui fournisse de l’eau et de l’énergie, mais c’est aussi en reconnaissant un Etat qu’on peut lui donner la chance d’y arriver. Ça, c’est le paradoxe. La logique, c’est que Maxime Prévot se base sur les principes fondamentaux qui définissent le droit à l’existence d’un Etat. Une population et un territoire défini. Un gouvernement souverain. Aucun des trois n’est réellement respecté à ce stade. Même si là encore, on peut parler de paradoxe. Dans le contexte actuel, c’est tout bonnement impossible à respecter.»
Maxime Prévot, qui rejette donc toute reconnaissance «symbolique de l’Etat palestinien», attend du concret sur le terrain avant d’engager la Belgique dans le protocole de reconnaissance. Il se félicite, avec Bart De Wever, de suivre une ligne similaire à celle de la France. Pourtant, les discours divergent. Emmanuel Macron évoque un devoir de reconnaissance, presqu’une promesse engageante. Maxime Prévot, lui, reste évasif et ne répond à aucun moment à la question de Paul Magnette: «Le ferez-vous?»
Pour Michel Liégeois, cette attitude s’inscrit dans une ligne constante: «Les axes structurants de la politique étrangère belge suivent une très grande cohérence historique. Elle a toujours cherché à dialoguer avec les deux parties, à ne pas être perçue comme alignée sur un camp, mais plutôt comme facilitatrice de compromis. Cela donne l’impression que la Belgique se répète encore et encore. Mais un élément nouveau, l’annonce de la France, me fait dire qu’il est possible que la Belgique change de trajectoire et se calque à celle de son voisin.»
Dans cette continuité, Pierre d’Argent, professeur de droit international à l’UCLouvain, parle lui d’une carte à jouer. Unique. Qu’il faut utiliser à bon escient: «Je ne pense pas que ce soit soutenir la cause palestinienne que de précipiter la reconnaissance de son Etat. Au contraire, je vois la Belgique comme un allié fiable de la Palestine, qui veut peser intelligemment lorsqu’ils reconnaîtront l’existence de leur Etat. Une Belgique isolée a un poids très relatif, qui ne fait pas la différence à l’international.»
Oui mais non, depuis 1947
Depuis la création d’Israël en 1948, la position belge sur la reconnaissance d’un Etat palestinien est restée prudente, oscillant entre diplomatie, soutien symbolique et quête de consensus au sein de l’Union européenne.
En 1947, la Belgique vote en faveur du plan de partage de la Palestine proposé par l’ONU. Elle reconnaît Israël trois ans plus tard. Ensuite, elle reste silencieuse jusque dans les années 1970, où elle commence à nouer des liens diplomatiques structurés avec les représentants palestiniens de l’époque, l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). En 1976, une délégation de l’OLP s’installe même à Bruxelles. Un séisme diplomatique à l’époque. La Belgique se place alors parmi les pays européens les plus ouverts à la reconnaissance d’un Etat palestinien.
En 1988, une proclamation unilatérale d’indépendance est proposée à l’ONU. La Belgique a l’occasion de reconnaître la Palestine. Léo Tindemans, ministre des Affaires étrangères, s’abstient et déclare: «Nous attendons une solution négociée. A deux Etats. Pour favoriser une paix stable.» Une phrase que Maxime Prévot répète aujourd’hui, 37 ans plus tard.
Il faut attendre 2012 pour que la Belgique se positionne à nouveau sur la scène internationale. Elle vote alors en faveur du statut d’observateur non-membre à l’ONU pour la Palestine. L’année suivante, sous Didier Reynders, la Palestine obtient un ambassadeur à Bruxelles.
En 2015, la Chambre adopte une résolution non contraignante appelant à reconnaître l’Etat de Palestine «au moment opportun». Les critères: évolution des négociations israélo-palestiniennes, coordination entre les Etats membres de l’UE et capacité de l’Autorité palestinienne à exercer un contrôle effectif sur ses territoires. Ce jeudi 10 avril, Maxime Prévot reprend mot pour mot ces conditions dans son discours à la Chambre. Une longue paraphrase fidèle aux discours de ses prédécesseurs.
En 2024, tout semblait réuni pour ce «moment opportun» lorsque l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’Etat palestinien. Pourtant, Alexander De Croo et Hadja Lahbib ont refusé de suivre le mouvement, arguant: «Une initiative à plus large échelle, avec du poids, un bloc suffisamment large d’Etats membres.»
Pour Michel Liégeois, cette inertie tient aussi au contexte international: «Ce n’étaient peut-être pas les bons pays. Si ça avait été la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, les choses auraient peut-être été différentes. La Belgique a peur de se retrouver isolée. Elle ne prendra pas l’initiative.»
Il rappelle également l’influence du contexte national: «Il y a des éléments de politique intérieure qui pèsent. La Belgique abrite une forte communauté juive et arabo-musulmane. Elle ne peut se permettre une décision jugée trop déséquilibrée. On a vu les réactions quand Bart De Wever s’est exprimé sur une potentielle arrestation de Netanyahu par la Cour pénale internationale. C’est sensible.»
Autorité palestinienne: qui sont-ils?
L’Autorité palestinienne a été créée en 1994, à la suite des Accords d’Oslo, pour administrer les territoires palestiniens (Cisjordanie et Gaza). Elle devait incarner un embryon d’Etat en attendant une résolution finale du conflit. Aujourd’hui, son pouvoir s’exerce essentiellement sur une partie de la Cisjordanie, Gaza étant contrôlée par le Hamas depuis 2007.
Présidée depuis 2005 par Mahmoud Abbas et le Premier ministre Mohammad Mustafa, l’AP souffre d’un profond déficit de légitimité démocratique. Aucune élection présidentielle n’a été organisée depuis près de vingt ans. En interne, elle est accusée de corruption et de clientélisme, et largement discréditée auprès d’une population jeune et désabusée.
Son programme de réformes, discuté cette semaine à Luxembourg avec l’UE, vise à moderniser son fonctionnement, restaurer sa crédibilité et rétablir l’unité politique palestinienne. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’aide européenne de 1,6 milliard d’euros annoncée lundi.