Un coup de couteau en plein cortège, des dizaines de milliers de participants lors des manifestations, des sondages montrant un fossé entre opinion et ligne du gouvernement… Le clivage autour d’Israël et de la Palestine déborde vers la sécurité intérieure avec des risques d’attaques à caractères terroristes accrus, tandis que la coalition Arizona s’enlise dans une crise fédérale.
Ce dimanche 24 août, la foule brandissait ses pancartes dans la rue de Laeken, dans le centre de Bruxelles. Les slogans réclamaient un cessez-le-feu à Gaza quand soudain, un homme surgit. Avec son arme blanche, il s’en prend aux manifestants. Un jeune Gazaoui de 22 ans est grièvement blessé. Son pronostic vital engagé, il est évacué d’urgence. Dans la soirée, les médecins confirment une stabilisation de son état. «Les circonstances exactes de l’agression restent à déterminer», insiste Ilse Van de Keere, porte-parole de la police de Bruxelles. L’auteur des faits a été privé de liberté et mis à disposition du parquet.
Depuis le lendemain du 7 octobre 2023, les rues de la capitale résonnent presque chaque jour des appels à la fin de la guerre, à la reconnaissance de la Palestine et aux sanctions contre Israël. Mais jamais encore une agression entre civils n’avait basculé dans une telle violence. Jusqu’ici, les seules tensions venaient des dispersions policières, autour de l’ambassade d’Israël à Uccle ou lors de mobilisations spontanées. L’attaque du 24 août est donc un tournant. Pour les collectifs pro-palestiniens, c’est un signal d’alerte adressé au ministre de l’intérieur, Bernard Quintin (MR). Les collectifs pro-israéliens partagent ce constat, mais pour d’autres raisons: une augmentation constante de l’antisémitisme en Belgique. Les deux camps sont d’accord sur une chose, leur clivage sur le conflit israélo-palestinien dépasse la lutte militante et partisane pour faire basculer la sécurité intérieure dans une situation périlleuse de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.
Services de sécurité en alerte
Le porte-parole de la Sûreté de l’Etat, Peter Gorlé, préfère ne pas se prononcer sur le caractère ou non terroriste de cette attaque à l’arme blanche, au vu de l’enquête judiciaire en cours. Mais il ne nie pas que l’enlisement dans la prise de position de la Belgique sur le conflit, accentué par une crise politique au sein de l’Arizona sur la question des sanctions à Israël et de la reconnaissance d’un Etat palestinien, a des conséquences sur la sécurité intérieure. «Il n’est pas à exclure que le conflit au Moyen-Orient s’étale à des actes terroristes ou de l’extrémisme en Belgique. On ne se prononce pas sur des faits isolés surtout quand une enquête est cours, mais il est raisonnable de penser que ce conflit puisse mener à une certaine radicalisation, et donc des faits de ce type. C’est un problème que l’on tient à l’œil.»
Une position qui change de la ligne alors partagée par la Sûreté il y a quelques mois à travers son Intelligence Report de 2024. «L’escalade du conflit entre Israël et le Hamas à Gaza et en Cisjordanie influence les sociétés belges et européennes. Les événements au Moyen-Orient sont un catalyseur de la radicalisation et sont déjà à l’origine d’actions violentes dans plusieurs pays européens. Cela pourrait inciter des personnes à en commettre en Belgique.» Quelques mois après la publication de ces lignes, le premier incident criminel entre civils est là, et le discours de la Sûreté s’en voit changé. On ne parle plus d’incidents possibles chez les voisins européens, mais bien de ceux qui pourraient encore survenir en Belgique, en attendant les résultats de l’enquête du parquet de Bruxelles qui déterminera le caractère de la tentative de meurtre de ce dimanche 24 août.
Le porte-parole de l’Ocam, Kevin Volon, reste lui aussi prudent sur la signification de cette attaque sur la situation de sécurité intérieure en Belgique : « Ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie résonne fort ici. Il y a un débat politique au sein de l’Arizona et dans d’autres sphères de la société. La situation au Moyen-Orient a des conséquences sur la population belge. D’autant plus au sein des groupes qui propagent des discours extrémistes. Nous avons alerté sur la polarisation de la société . Un extrême en appelle un autre. Ils se nourrissent entre eux.» Ce dernier fait mention d’un risque accru de violences, basé sur des alertes des services de l’agence fédérale qui évaluent la menace terroriste et extrémiste en Belgique. Il souligne que les signaux sur le territoire belge visent majoritairement des citoyens de confession juive ou d’organisations pro-israéliennes.
Passivité, ennemi de la sécurité?
Au sein du MR, les lignes de fracture sont visibles. Bernard Quintin, ministre de l’Intérieur, s’est déclaré fin mai en faveur d’une reconnaissance de la Palestine. Une position plus ouverte que celle défendue par le président du parti, Georges-Louis Bouchez, qui campe sur une ligne de fermeté et conditionne tout geste diplomatique à la libération des otages et à la mise en place d’une autorité palestinienne excluant le Hamas. Le ministre de l’intérieur reste prudent dans sa communication, refusant de lier directement l’attaque au couteau du 24 août à une urgence politique: «Nous ne souhaitons pas réagir sur cet évènement ni tirer de conclusions trop hâtives. Pas de déclaration.» Mais son positionnement illustre le malaise d’un parti lui-même divisé, qui empêche l’Arizona d’avancer sur une position commune.
Cette immobilité politique entre en contradiction avec la société belge, déjà fracturée sur le sujet. Selon le Grand Baromètre Ipsos pour Le Soir, RTL Info, VTM et Het Laatste Nieuws (juin 2025), 69% des Belges se disent favorables à des sanctions contre Israël, 12% se déclarent neutres et 19% s’y opposent. Un décalage qui alimente la défiance et accroît les tensions dans la rue. Pour les services de sécurité, cette absence de réponse politique nourrit un climat de polarisation dont les extrêmes tirent profit.
En attendant les suites judiciaires de l’attaque au couteau, la prudence reste de mise. Il appartiendra au parquet de Bruxelles de qualifier l’attaque et au juge d’instruction d’établir les responsabilités. Côté sécurité, l’Ocam et la Sûreté continuent d’actualiser leurs analyses, notamment à l’aune des rassemblements à venir et des répliques politiques du dossier Gaza.















