À quoi s’attendre suite à l’assassinat d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah depuis 30 ans, perpétré ce vendredi 27 septembre par Israël? Tentative de réponse avec Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’UCLouvain, spécialiste du Moyen-Orient.
Le Hezbollah dit vouloir désigner son nouveau chef quand il en aura l’occasion. Le « Parti de Dieu » possède-t-il vraiment en ses rangs quelqu’un qui symbolise la résistance et une force de dissuasion vis-à-vis d’Israël, comme Nasrallah ?
La désignation du successeur de Nasrallah comporte une dimension administrative, liée aux tractations à mener, et une autre politique. Le Hezbollah n’a pas de clone qui pourrait remplacer son ancien chef du jour au lendemain en symbolisant la résistance et la dissuasion. D’autant que Nasrallah s’est construit sur le long terme. En 1992, quand il a pris la succession d’Abbas Moussaoui, il n’était encore qu’une figure assez obscure que personne ne connaissait, puis il a significativement transformé le Hezbollah au gré des évolutions au Proche-Orient. Quel que soit son successeur, il n’aura pas la même dimension aujourd’hui qu’éventuellement dans le futur. Tout est une question de dynamiques à long terme : les circonstances et les événements contribuent à façonner les figures.
Dans un communiqué officiel, l’Iran dit ne pas juger nécessaire « de déployer des forces auxiliaires ou volontaires » au Liban. Cela signifie qu’il ne faut pas s’attendre à une réaction de Téhéran à court terme ?
Depuis des mois, l’Iran et ses alliés enchaînent les gifles, administrées de manière évidente par Israël au Liban, en Syrie, à Téhéran même. À chaque fois, l’Iran se contorsionne pour éviter de rentrer en confrontation directe avec Israël et donc le monde occidental. L’establishment iranien a bien conscience qu’ils sont très probablement l’objectif N°1 du gouvernement israélien. Ce récent communiqué s’inscrit dans la continuité de la très grande prudence et de la modération de l’Iran depuis un an, voire plus. Quand Téhéran s’est vu obligé de riposter aux frappes israéliennes sur les bâtiments consulaires à Damas (NDRL: en avril 2024), c’était peut-être quantitativement impressionnant, mais ce n’était que du théâtre. Quand on veut faire mal, on n’avertit pas tous les acteurs de la région, sachant qu’ils vont relayer l’information aux USA pour que tout soit mis en place et qu’il n’y ait pas un seul israélien blessé dans l’attaque.
Selon plusieurs médias américains, la frappe israélienne sans avertissement visant Nasrallah aurait approfondi les tensions entre l’administration du président Biden et le gouvernement du Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Doit-on s’attendre à du changement ?
Au regard de ce qui s’est passé ces douze derniers mois, je ne parlerais pas de tensions, plutôt de divergences, peut-être même d’un léger recul des États-Unis vis-à-vis de l’allié israélien… mais là aussi, c’est du théâtre. À chaque fois que l’administration israélienne a fait fi des lignes rouges fixées par Washington (l’offensive au sud de Gaza, l’escalade au Liban et un certain nombre de déclarations sur l’imminence d’un accord de cessez-le-feu), l’administration Biden a réajusté son discours pour l’aligner sur celui du gouvernement israélien. On sait les leviers dont disposent les États-Unis par rapport à Israël, mais on ne voit pas le début du début d’une volonté de les utiliser. C’est un alignement total ; je ne perçois pas de changement.
Quelle attitude le gouvernement libanais peut-il adopter : une entrée en guerre ? Une demande d’application de la résolution 1701, qui a permis la fin du conflit entre Israël et le Hezbollah en 2006 ?
Le Liban n’a pas les moyens d’entrer en guerre. L’armée n’a pas levé le petit doigt pour s’opposer à ce qu’Israël inflige aux citoyens. La difficulté de la résolution du 1701 (NDLR: qui impliquait le désarmement du Hezbollah et son évacuation du sud du Litani, le retrait des forces israéliennes du Liban…), c’est qu’elle n’a jamais été appliquée de part et d’autre en 18 ans. On a tendance à se focaliser sur le réarmement du Hezbollah, devenu plus visible dans le sud du Liban depuis quelques années, moins sur la violation quotidienne de l’espace aérien ou des frontières maritimes et terrestres par Israël depuis 2006. Est-ce que quiconque au sein de la communauté internationale va oser demander l’application de la résolution 1701 de part et d’autre ? Sans compter que la montée exponentielle de la violence, largement perpétrée contre les civils libanais, décrédibilise la légitimité de la communauté internationale.
Comment évaluez-vous la crédibilité d’une incursion terrestre israélienne sur le sol libanais ?
Quand on me demandait il y a peu si Israël pouvait se détourner du sort des otages du Hamas pour s’attaquer totalement au Liban, je ne trouvais pas ça crédible… Mais je rappelle que le gouvernement israélien est d’extrême droite et que beaucoup de ses membres sont portés par la volonté d’annihiler la partie adverse. Ce gouvernement a une multiplicité d’agendas : Netanyahou a tout à gagner dans le prolongement indéfini des violences pour rester en place ; les plus extrémistes de ses ministres se voient en train de coloniser le sud du Liban ; tandis que les militaires ne rêvent que de venger deux échecs magistraux (le 7 octobre 2023 et la guerre de 2006). L’incursion est donc crédible. Son résultat, c’est une autre affaire…