Malgré les atteintes aux droits humains, le président salvadorien persiste dans sa stratégie ultrarépressive contre les trafiquants, conforté par son partenariat avec Trump.
Dans la galaxie des Etats qui, à l’image des Philippines de Rodrigo Duterte de 2016 à 2022, ont engagé une guerre sans merci contre les trafiquants de drogue, figure au premier rang le Salvador de Nayib Bukele.
Elu président en 2019, il affiche en 2023 un bilan éloquent: de 36 pour 100.000 habitants, le taux d’homicides a diminué à 2,4 pour 100.000 habitants en quatre ans. Sa recette? L’imposition de l’état d’exception, une augmentation des effectifs de la police, une mobilisation de l’armée pour combattre les gangs, la construction de prisons de haute sécurité et un «Plan de contrôle territorial» censé accroître la sécurité des citoyens mais dont les objectifs initiaux seront dévoyés. Dans Monde en guerre. Militarisation, brutalisation et résistances (éd. Syllepse, 2024) publié par le Centre tricontinental (Cetri), l’avocat et chercheur en matière de justice pénale, de sécurité et de droits humains au Salvador Edgardo Amaya voit ce plan comme «un instrument d’une stratégie de contrôle social et politique».
Soutien populaire
En 2024, deux ans après l’instauration de l’état d’urgence, plus de 110.000 personnes étaient incarcérées, soit le taux d’emprisonnement le plus élevé au monde. Et le même nombre d’enfants étaient considérés en situation d’abandon. «Le grand nombre d’arrestations effectuées dans le cadre du régime d’exception a eu un effet sur le fonctionnement des institutions judiciaires, de même que sur le droit des personnes à voir leur situation juridique résolue dans un délai raisonnable», souligne Edgardo Amaya. De surcroît, ce ne sont pas que des dealers et des chefs de gang qui ont fait l’objet de la répression, mais aussi des défenseurs de l’environnement et des syndicalistes. De là à penser que la lutte contre le narcotrafic a servi les intérêts politiques du président, il n’y a qu’un pas, potentiellement franchi. Nayib Bukele a été réélu président lors de l’élection du 4 février 2024 avec plus de 84% des suffrages. Il y a vu un soutien franc à sa politique.
«Le discours officiel soutient que la diminution de la violence a atteint des niveaux sans précédent, faisant du pays l’un des plus sûrs du continent, nuance Edgardo Amaya. De ce point de vue, il est contradictoire qu’en dépit de cette réussite, des mesures extraordinaires soient maintenues indéfiniment, alors que d’autres politiques portant sur la prévention de la violence, le renforcement de la cohésion sociale ou la prise en charge et l’indemnisation des victimes de la violence des gangs et des institutions, n’ont même pas été considérées ou mises en œuvre».
Donald Trump semble avoir trouvé en Nayib Bukele un partenaire de choix dans son combat contre les trafiquants de drogue.»
Cartels terroristes
Ces critiques et celles formulées par ce qui reste de la société civile salvadorienne ne sont pas de nature à faire dévier Nayib Bukele de sa trajectoire. Au contraire. L’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier a de surcroît fait converger son combat avec celui de la nouvelle administration américaine. Dans son discours d’investiture, le président républicain avait annoncé la couleur: «Nous commencerons le processus de renvoi de millions et millions d’étrangers criminels vers les endroits d’où ils viennent. […] Nous désignerons […] les cartels comme des organisations terroristes.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. Exhumant une loi de… 1798, l’Alien Enemies Act, qui permet d’arrêter ou d’expulser des citoyens d’une nation ennemie, et malgré l’interrogation d’un juge sur son application en période de paix, Donald Trump a fait expulser des membres présumés de gangs vers… le Salvador. Vingt-trois, le 3 février, de la Mara Salvatrucha MS-13, une des principales organisations criminelles salvadoriennes avec la Mara 18, que Nayib Bukele s’est employé à éradiquer; 238 du gang vénézuélien Tren de Aragua le 16 mars… Ceux-ci ont été transférés depuis les Etats-Unis vers un «centre de confinement du terrorisme» (Cecot) salvadorien pour au moins un an.
Donald Trump semble donc avoir trouvé en Nayib Bukele un partenaire de choix pour concrétiser son projet d’expulsion des trafiquants de drogue, auteurs de traite des êtres humains, et autres meurtriers qui ont trouvé refuge aux Etats-Unis. Radicale mais pas aussi excessive que celle du Philippin Rodrigo Duterte, la politique du président salvadorien ne l’expose pas –encore– à d’éventuelles poursuites de la justice internationale. Au contraire, elle tend à servir de modèle à des coreligionnaires. Le 13 avril, le deuxième tour de l’élection présidentielle en Equateur dira si le président sortant Daniel Noboa, qui en est un fervent adepte, a réussi à convaincre les électeurs de sa pertinence dans un pays devenu en peu de temps un important hub du trafic vers l’Europe.