dimanche, septembre 8

L’élection présidentielle ne se pare même plus d’un vague vernis démocratique. «La Russie est à un stade très avancé de la dictature», assure la politologue Marie Mendras.

Deux ans après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine et un mois après la mort de l’opposant Alexeï Navalny, les Russes se rendent, du 15 au 17 mars, dans les bureaux de vote pour élire leur président. A l’issue de cette séquence électorale, Vladimir Poutine sera reconduit pour un cinquième mandat. Il a été élu pour la première fois à la présidence en 2000. Mais sachant qu’il a exercé en sous-main la charge suprême entre 2008 et 2012 en tant que Premier ministre de sa doublure présidentielle Dmitri Medvedev, il peut se prévaloir d’avoir assumé 24 années de pouvoir. Et sachant que le mandat a été allongé à six ans et qu’il pourrait en briguer un nouveau en 2030, la Russie pourrait connaître 36 années de poutinisme.

Quand l’Ukraine réussira à pousser l’agresseur hors de ses frontières, le clan Poutine ne survivra pas.

Comment la longévité actuelle du maître du Kremlin a-t-elle été possible? Vladimir Poutine pourrait-il, sauf accident de santé, s’y maintenir encore douze ans? Politologue au CNRS, professeure à Sciences Po Paris, Marie Mendras publie La Guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin (1). Par sa connaissance de la société russe, elle est bien placée pour décrypter le «phénomène Poutine».

Qu’est-ce que l’état de guerre permanent apporte à Vladimir Poutine dans sa gestion de la Russie?

Vladimir Poutine a commis une erreur majeure en menant cette guerre d’agression contre l’Ukraine. Il préfère le conflit à la paix. Depuis sa prise de pouvoir en 1999, il développe une politique agressive, revanchiste et guerrière. Cela a commencé contre les Tchétchènes en 1999, dès qu’il a été nommé à la tête du gouvernement. Il y a chez lui l’intention de faire la guerre, de fabriquer des ennemis, qui n’ont jamais menacé la Russie, pour s’imposer au pouvoir.

N’est-ce pas une façon de pouvoir maintenir un état d’exception en Russie?

Oui. La Russie vit en état d’exception depuis deux ans. Des centaines de milliers d’hommes sont mobilisés et obligés d’aller se battre en Ukraine. C’est une violence extrême que Poutine inflige à sa propre population. Mais il est fort possible que la dictature ne puisse pas survivre à une défaite militaire dans cette dernière guerre d’agression totale qui a déjà coûté, semble-t-il, plus de 300 000 combattants russes – soldats et mercenaires – tués, blessés ou mis hors de combat. Donc, nous, Européens, Occidentaux, avons tout à fait raison d’accélérer l’aide à l’Ukraine pour que l’armée de Kiev puisse repousser l’armée russe.

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Les opposants Alexeï Navalny et Boris Nemtsov étaient convaincus que la résistance des électeurs était le grand combat à mener contre le régime poutinien. Se sont-ils trompés?

Ils avaient tout à fait raison. Ce fut le grand combat depuis vingt ans, et surtout depuis décembre 2011 quand les Russes sont sortis en masse dans la rue pour protester contre des élections législatives manipulées et fraudées. Les attaques contre le suffrage universel direct, compétitif et honnête font partie de l’arsenal de la tyrannie qui monte irrésistiblement. Les guerres extérieures ont été provoquées à chaque fois par le Kremlin alors qu’aucune menace ne pesait sur la Russie de la part des Tchétchènes, des Géorgiens, des Ukrainiens, et évidemment pas de la part des civils syriens. Le suffrage universel libre était la dernière institution publique que l’opposition et la société civile voulaient absolument préserver. Ce combat a coûté la vie à Boris Nemtsov, assassiné devant le Kremlin le 27 février 2015. Il avait appelé à un grand rassemblement à Moscou deux jours plus tard dont la principale revendication, un an après l’annexion de la Crimée, était «non à la guerre, oui aux réformes». Nemtsov expliquait très clairement que le pouvoir poutinien ne faisait plus aucune réforme depuis plus de dix ans, privait de plus en plus la population de ses libertés et droits fondamentaux et choisissait d’intervenir en Ukraine. Alexeï Navalny a mené le même combat. Il est devenu très populaire, des millions de Russes le suivaient sur Internet, il a montré qu’il y avait une forte résistance en Russie contre le système Poutine. C’est certainement en raison de sa popularité et de son incroyable courage que le régime a fini par le faire éliminer, le 16 février, dans le camp où il était emprisonné dans le grand Nord.

Le pouvoir russe a envoyé des milliers de soldats comme chair à canon sur le front ukrainien. © belga imlage

A propos de l’élection du 17 mars, vous parlez d’une «opération spéciale plébiscite». En attendez-vous quelque chose?

Il faut espérer que nos médias et commentateurs expliqueront que ce n’est pas une élection, que Vladimir Poutine n’a donc pas été réélu, qu’il est un usurpateur et que son système est totalement illégitime. Ce serait pour nous une vraie victoire, les démocraties, de réussir à affirmer cela très clairement. Cela signifierait que nous avons enfin compris, nous Européens, que cet homme n’a jamais été élu à la suite d’un scrutin libre, concurrentiel et honnête.

Pourquoi la candidature de Boris Nadejdine a-t-elle été recalée, alors qu’elle aurait pu donner un vague vernis démocratique au scrutin?

Il n’y avait aucune chance que le Kremlin accepte la candidature d’une personne qui n’était pas à sa solde. Les trois candidats autorisés à concourir sont contrôlés par le Kremlin. Ils savent très bien qu’ils participent à un exercice pour donner l’illusion que Poutine remporte encore une fois un plébiscite écrasant. Cela montre la perversité du système qui a laissé croire pendant plusieurs semaines que Boris Nadejdine pouvait faire enregistrer sa candidature. Il en a recueilli plus que le seuil obligatoire. Et les autorités ont fait ce qu’elles font depuis vingt ans. Elles ont prétexté que des milliers de signatures n’étaient pas recevables. Et elles n’ont pas enregistré sa candidature. Après 25 ans de pouvoir, Poutine a vieilli, est très méfiant, n’a plus d’écoute et refuse la discussion. Il n’entend plus ses conseillers et chefs militaires. Il veut organiser un vote fabriqué qui écrase tous les autres. Il veut montrer qu’il est le seul et l’unique. Cela ne l’intéresse même plus de maintenir les apparences d’institutions politiques. Il a mis fin au suffrage universel. On est à un stade très avancé de la dictature.

© belga imlage

Vous écrivez que «les institutions ne participent plus au processus de décision sur les questions de sécurité depuis des années, que le chef s’isole et qu’il n’écoute plus que les avis allant dans son sens». Cela signifie-t-il que la menace pour Vladimir Poutine pourrait venir de l’intérieur du système?

Après deux ans de guerre de destruction criminelle en Ukraine, de très nombreux tués et blessés côté russe, après deux ans d’isolement de la Russie et d’enfermement du clan Poutine, il paraît assez peu probable que des membres du noyau dur, qui ont laissé faire le chef et l’ont accompagné dans son entreprise criminelle, puissent s’en sortir. Tout le clan est pris dans l’escalade que Vladimir Poutine a lui-même enclenchée. Depuis de nombreuses années, il fait la guerre aux Géorgiens, aux Ukrainiens, aux Tchétchènes mais aussi à sa propre population. Il exerce des violences politiques et économiques contre des millions de personnes vivant en Fédération de Russie. Vladimir Poutine et son entourage ont décidé d’entrer en confrontation totale avec les pays occidentaux, alors qu’aucun d’eux ne menaçait la sécurité de la Russie et de ses quelque 135 millions d’habitants. Maintenant, ils sont piégés dans cette escalade. Ils jouent le tout pour le tout. Quand l’Ukraine, avec notre soutien, réussira à repousser l’agresseur hors de ses frontières, le clan Poutine ne survivra pas. C’est le but des Ukrainiens: la reddition de l’armée russe. C’est notre but aussi parce qu’on a enfin compris, côté européen, que Vladimir Poutine ne recherche pas la négociation. Il y a eu des négociations entre Kiev et Moscou pendant les trois premiers mois de la guerre. Et les Russes ont quitté la table des pourparlers. Poutine veut la guerre, pas la paix, quitte à mettre son pays au bord de l’abîme. L’Ukraine est notre alliée. Nous savons qu’il faut tout mettre en œuvre pour que les Ukrainiens puissent défaire l’armée russe et que c’est la seule issue sûre et durable pour protéger non seulement la sécurité des Ukrainiens, mais aussi celle de tous les Européens. Espérons que nous saurons soutenir l’effort de guerre ukrainien plus efficacement, avec tous les moyens nécessaires, jusqu’à la libération de l’Ukraine.

(1) La guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin, par Marie Mendras, Calmann-Lévy, 320 p.

© National
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