Le Bitcoin flambe, poussé par le retour au pouvoir d’un Donald Trump ultra-partisan des cryptomonnaies. Avec une dérégulation -ou «re-régulation»- massive des marchés financiers en vue. Opportunité à saisir ou alerte rouge?
100.000: c’est la valeur historique que va probablement dépasser le Bitcoin dans les prochaines heures. La cryptomonnaie star ne s’est jamais aussi bien portée, poussée par le retour au pouvoir d’un Donald Trump ultra-partisan à sa remise au centre du jeu. Comment aborder ce retour en force? Tour d’horizon en cinq points.
1. Pourquoi le Bitcoin s’envole-t-il?
L’effet Trump joue très clairement sur l’envolée actuelle du Bitcoin, pour deux raisons.
La première, c’est la politique de dérégulation annoncée par le président républicain. Elle touchera l’ensemble des secteurs financiers, et en particulier les crypto-actifs.
La deuxième trouve sa source dans la baisse supposée des prix de l’énergie aux Etats-Unis. «C’est un projet qui pourrait avoir du sens dans la mesure où l’énergie redevient bon marché aux Etats-Unis, avec l’augmentation des forages, et que la cryptomonnaie est extrêmement consommatrice d’énergie», analyse Bernard Keppenne, Chief Economist chez CBC.
A sa création, le Bitcoin avait été créé pour être décorrélé des marchés. Or, lorsque des corrections ont lieu, le jeton numérique suit en réalité (souvent) la tendance. «Ceci qui prouve qu’il est au contraire très corrélé au marché. Cet aspect est important: on peut l’expliquer par la volonté notoire de Trump de considérer le Bitcoin et les cryptomonnaies comme d’autres actifs», note l’économiste. En parallèle, les plateformes de transaction de ces crypto-actifs, véritables sociétés qui ont ardemment soutenu la candidature de Trump, vont également profiter de ces dérégulations.
Contrairement à ce pour quoi il a été créé, le Bitcoin reste très corrélé au marché.
Claire Balva, co-autrice de Bitcoin et cryptomonnaies faciles et directrice stratégie chez Deblock, rappelle que le Bitcoin «avait déjà multiplié ses cours par deux avant l’élection de Trump». Grâce à trois signaux favorables: l’arrivée des ETF Bitcoin aux Etats-Unis (1), le halving, soit la division par deux de l’émission monétaire sur le Bitcoin, qui crée un choc de l’offre et provoque une augmentation des cours (2), et la baisse des taux des banques centrales, qui participe au déplacement de l’épargne vers des actifs plus risqués, dont le Bitcoin fait partie (3). «Le retour de Trump s’inscrit donc dans un contexte déjà très favorable à la cryptomonnaie», précise Claire Balva.
2. Bitcoin: est-ce le bon moment pour investir?
La question fondamentale -et quelque peu philosophique- reste de déterminer ce que vaut le Bictoin dans l’absolu. «A partir du moment où il n’est basé sur rien, si ce n’est un phénomène de rareté qui pourrait expliquer le mouvement vertueux actuel, il demeure très compliqué d’en déterminer les fondamentaux, met en garde Bernard Keppenne. Pour l’économiste, il faut donc le considérer tel un crypto-actif à part entière, doté d’une énorme volatilité.» Face à un produit risqué par nature, l’investisseur doit systématiquement se demander s’il peut en assumer la perte totale, et si le pari réalisé met en danger ses finances quotidiennes.
«Il faut rester très prudent, insiste le Chief Economist de CBC. L’actif peut servir aussi au blanchiment d’argent. La réalisation potentielle de plus-values peut donc poser des problèmes de justification fiscale.»
D’après Claire Balva, il est inutile de chercher à déterminer «le» bon moment pour investir dans le Bitcoin, car il n’existe pas. «La cryptomonnaie doit davantage être perçue comme une diversification –avec un objectif de sortie à 5 ou 10 ans- et pas comme un moyen de faire de l’argent à court terme.»
3. Assiste-t-on aux prémices d’un nouveau modèle centré sur les cryptomonnaies?
Donald Trump a rappelé vouloir faire des Etats-Unis le nouveau royaume de la cryptomonnaie, bien appuyé par un Elon Musk tout aussi partant. Durant la campagne à la présidentielle américaine, le duo devenu le plus puissant de la planète n’a cessé de vanter les mérites de la monnaie électronique. Au point, pour certains, d’en faire possiblement un élément central des nouveaux marchés.
Le Venezuela, frappé par une hyperinflation immaîtrisable, est actuellement le seul pays qui ait tenté de remplacer le dollar par le Bitcoin. L’expérience s’est soldée par un cuisant échec. «Croire que la cryptomonnaie pourra remplacer le dollar demain n’est certainement pas dans l’intérêt des Etats-Unis, le tout dans le cadre d’une aggravation de la dette américaine, tempère Bernard Keppenne. Un dollar mis sous pression, qui perdrait sa valeur référence, pourrait mener à de graves conséquences pour l’ensemble du système financier. Dans ce cadre-là, le risque de donner les pleins pouvoirs aux cryptomonnaies est énorme», juge l’économiste.
4. Que peut faire Trump?
Concrètement, quel pouvoir détient Trump pour promouvoir la cryptomonnaie? «Il peut et veut déréguler au maximum le marché», tranche le spécialiste. Comment? Notamment en se débarrassant de Gary Gensler, patron de la SEC (Securities and Exchange Commission), l’organe de contrôle des marchés financiers américains. Ce dernier a toujours placé des barrières contre une libéralisation trop forte des cryptomonnaies. «Tous ces éléments mis bout à bout laissent penser qu’on est certainement à l’aube d’un changement très radical aux Etats-Unis, avec tous les excès qu’il peut entraîner.»
Pour Claire Balva, Donald Trump ne veut pas spécialement déréguler le marché, il veut surtout le réguler autrement. «La SEC, notoirement anti-crypto, était en conflit avec d’autres agences sur le statut éthique des cryptomonnaies. Ce que souhaite Trump, c’est créer un cadre spécifique aux cryptos, et ne plus les classifier dans les normes existantes», observe-t-elle. Ainsi, la philosophie du président républicain serait de ne plus considérer les cryptos comme des titres financiers similaires aux actions, mais aussi d’apposer d’autres actes symboliques, comme la création d’une réserve stratégique en Bitcoin.
Ce que souhaite Trump, c’est créer un cadre spécifique aux cryptos, et ne plus les classifier dans les normes existantes.
Outre le Bitcoin, les autres cryptomonnaies, moins connues, auront elles aussi envie de prétendre à davantage de liberté. De là à devenir un moyen de paiement généralisé aux Etats-Unis? Peut-être, mais de façon encore très marginale. Le dollar reste en bonne santé et profite d’un soutien massif de nombreuses applications financières. «Le mouvement actuel tend plutôt à légitimer la cryptomonnaie comme actif ou réserve de valeur à un niveau international, observe Claire Balva. Un certain nombre d’Etats s’y intéressent, notamment les Brics, qui regardent ce type de technologies avec intérêt pour devenir indépendantes du dollar.» Dans certains pays à l’inflation très importante, la cryptomonnaie peut ainsi faire partie des solutions de secours pour préserver une partie de son patrimoine.
5. Le Dogecoin, un feu de paille?
Le Dogecoin, cette cryptomonnaie au nom et au visuel de chien, d’abord conçue comme une blague, commence également à prendre de la valeur. Elle explose même, suite à la nomination d’Elon Musk par Donald Trump au Department of Government Efficiency, parfait acronyme de… Doge. «Toutes ces cryptomonnaies fleurissantes s’inscrivent dans cette dérégulation généralisée. Globalement, on peut donc s’attendre à une explosion de ce type de mouvements volatiles sur l’ensemble des crypto-actifs », déduit Bernard Keppenne.
L’ADN du Dogecoin n’est pas d’être sérieux, rappelle Claire Balva. «Dans la crypto, on observe singulièrement ce mélange entre finance et jeu. Même si les monnaies numériques sont accessibles et ludiques, elles restent des décisions d’investissement à prendre au sérieux. En général, il est donc déconseillé d’investir dans quelque chose qu’on ne comprend pas. Selon cette logique, le Bitcoin reste la porte d’entrée la moins risquée dans la cryptomonnaie, car il en est le levier principal.» Le Dogecoin, réplique loufoque du Bitcoin, est donc réservé aux plus aventureux. A tenir en laisse…