jeudi, décembre 26

Boeing traverse une zone de fortes turbulences. Les incidents sur ses appareils se multiplient. Pourtant, tous ne sont pas directement imputables au constructeur américain. Analyse avec Xavier Tytelman et Wouter Dewulf, experts du domaine aérien.

Une roue qui se décroche au décollage, une porte qui cède en plein vol, une chute d’altitude brutale… Chaque semaine ou presque, Boeing connaît son lot d’incidents. Le constructeur américain traverse une zone de turbulence sans précédent, accentuée par un déferlement médiatique, pas toujours nuancé, à charge de l’entreprise.

Il y a évidemment des choses à reprocher au fabriquant US. On peut citer, notamment, les défauts et les écarts constatés en matière de contrôle qualité. «Des inspecteurs ont découvert la présence poussière de métal dans un réservoir, ou encore des microfissures sur des pièces en titane, qui ont été malgré tout livrées. La porte qui a récemment cédé en plein vol est aussi la conséquence de ces manquements au niveau contrôle qualité», observe Xavier Tytelman, ancien aviateur et consultant aéronautique (Air&Cosmos).

“Il est légitime de pointer Boeing du doigt pour la traçabilité de sa production.”

Xavier Tytelman

Consultant aéronautique (Air&Cosmos)

Ce dernier incident a également mis en lumière un autre problème majeur imputable à Boeing : celui de la traçabilité. «Ils sont incapables de définir qui a installé cette porte, à quel moment et dans quelles conditions. La suivi est donc clairement négligé, relève le spécialiste des airs. Pour ces différentes raisons, il est légitime de pointer Boeing du doigt. Et les compagnies aériennes ne s’en privent pas.»

Après des problèmes de design propres au 737 Max, ce sont donc des manquements quant à la documentation de la production qui font défaut. La FAA (Federal Aviation Administration), agence gouvernementale américaine chargée des contrôles dans l’avion civile, surveille ce problème de près. Dans un récent rapport, elle n’épargne pas Boeing. «Economiquement, ces incidents impactent le constructeur, qui a dégringolé en Bourse, analyse Wouter Dewulf, professeur en économie du transport aérien (UAntwerpen). L’entreprise voulait augmenter sa production annuelle de 450 à 550 appareils, prolonge-t-il, mais la FAA a refusé. Leur profitabilité va diminuer.»

Distinguer les responsabilités

Dans ce melting-pot d’incidents récents, «on reproche aussi à Boeing des choses pour lesquelles elle n’est pas responsable. Comme, en particulier, tout ce qui touche à l’exploitation des avions, distingue Xavier Tytelman. 90% des incidents qui sont relayés dans la presse sont directement dépendants de la compagnie aérienne ou de la maintenance. Et pas du constructeur, assure-t-il. Dans certains cas, la compagnie aérienne a aussi externalisé sa maintenance. Sabena Technics est par exemple une société qui exerce dans ce domaine.»

A cet égard, Boeing a allégrement opéré en outsourcing (sous-traitance). «De plus, la FAA leur a longtemps laissé pas mal de liberté, par confiance réciproque, ajoute Wouter Dewulf. En d’autres termes, l’agence de contrôle a beaucoup délégué à la compagnie elle-même. Ce qui n’est pas anormal : Airbus fonctionne globalement de la même façon avec l’European Union Aviation Safety Agency (EASA).»

“On reproche des choses à Boeing pour lesquelles elle n’est pas responsable. Comme tous les incidents liés à l’exploitation de l’avion.”

Xavier Tytelman

Consultant aéronautique (Air&Cosmos)

Ceci étant, «le problème majeur est cette tendance à mettre tous les incidents dans le même sac, regrette Wouter Dewulf. La roue du 777 qui se détache en plein vol n’a rien à voir avec Boeing. C’est la maintenance de la compagnie (United Airlines) qui a fait une erreur, cible-t-il. Quant au panneau détaché, ce n’est pas fréquent, mais ça arrive. Aussi chez Airbus. Mais actuellement, le spotlight est sur Boeing.»

Boeing reste très safe

Le storytelling médiatique contre Boeing «est abusif», insiste Xavier Tytelman. En réalité, «il n’y a plus de défaut de conception» sur les avions américains, tel que celui constaté sur le système MCAS en 2018. Pour rappel, ce dispositif propre au Boeing 737 Max, destiné à éviter le décrochage en pilotage manuel, avait provoqué le crash du vol Lion Air et celui du vol 302 d’Ethiopian Airlines. Une défaillance qui avait forcé Boeing à clouer tous ses 737 Max au sol. «Depuis lors, Boeing a entièrement résolu ce problème».

Environ 1.500 Boeing 737 Max volent chaque jour, chiffre le professeur de l’UAntwerpen Wouter Dewulf. «Et aucun accident majeur n’est survenu. Le problème clé réside dans les procédures de qualité, de traçabilité. Malgré cela, Boeing reste un constructeur très safe».

“Le storytelling contre Boeing est abusif.”

Xavier Tytelman

Consultant aéronautique (Air&Cosmos)

Car des incidents similaires se produisent avec Airbus. Ils ont tendance à passer sous le radar médiatique. Il y a quelques jours, un A330 de la compagnie Iberia a subi une panne moteur en plein vol. «Il faut comprendre que certains écarts ne représentent pas un drame pour la sécurité à bord, rassure Xavier Tytelman. Un avion est par exemple conçu pour pouvoir voler avec un seul moteur. Si un circuit hydraulique est défaillant parmi les trois dont dispose l’avion, ce n’est pas grave non plus, énumère-t-il. Il existe d’ailleurs une liste des pannes acceptables en vol, la MEL (Minimum Equipment List). Ainsi, il est par exemple possible de décoller avec un radar météo, une pompe à carburant, ou une lumière sur l’aile en panne, si les circonstances les permettent. Ces pannes acceptables, on en constate des dizaines par jour dans le monde. 10 millions de personnes sont transportées chaque jour par les airs», rappelle-t-il.

Selon le spécialiste aéronautique, «on vole aujourd’hui dans des conditions qui sont infiniment meilleures qu’il y a 20 ans. L’année dernière, deux crashs mortels sont survenus… sur 30 millions de vols. Il est plus fiable de voler avec une des 40 pires compagnies de monde, que de rouler six kilomètres en voiture en Europe», compare Xavier Tytelman.

Prendre l’avion reste le moyen de transport le plus sûr du monde, atteste Wouter Dewulf. Et la multiplication des petits incidents chez Boeing ne devrait pas trop influer sur le comportement des voyageurs. «La majorité des personnes ne savent même dans quel type d’avion elles montent.»

Ryanair préfère toutefois anticiper un potentiel rejet du voyageur contre Boeing. Ainsi, -petit tour de passe-passe-, la compagnie irlandaise ne nomme plus le « Max » tel quel. «Il est désormais référencé comme le 737 8-200, soit le type de l’avion. Il n’y a rien de faux dans cette appellation, car le terme ‘Max’ est marketing, tout comme ‘Dreamliner’ pour le 787», remarque Wouter Dewulf.

Quelles conséquences commerciales pour Boeing ?

Pour son image, Airbus se frotte les mains. Mais Boeing est loin de redouter la faillite. En témoigne leurs carnets de commande, complets jusque 2030, au moins. «Les livraisons sont décalées, et un peu ralenties par rapport à l’objectif espéré, mais pas annulées », souligne Wouter Dewulf. Boeing «est loin d’être mort, assure Xavier Tytelman. Commercialement, ce ne sont pas ces petits incidents qui feront basculer les acheteurs d’un fabriquant à l’autre. Car les écarts de qualité seront réglés au moment des livraisons, quatre ou cinq ans après la commande.»

Avant, Boeing était une compagnie d’ingénieurs, maintenant, elle est davantage une compagnie de managers.

Wouter Dewulf

Professeur d’économie des transports (UAntwerpen)

L’année dernière, Boeing n’a d’ailleurs jamais engrangé autant de commandes. Ils sont devancés par Airbus, mais pas pour des questions de sécurité. «L’offre commerciale diffère et est plus complète chez Airbus. Boeing reste en revanche leader pour les avions destinés au long-courrier», précise l’expert aéronautique.

«L’esprit chez Boeing a changé, remarque cependant Wouter Dewulf. Le management est davantage tourné vers le profit, la Bourse, que vers la technologie. Avant, Boeing était une compagnie d’ingénieurs, maintenant, elle est davantage une compagnie de managers».

Partager.
Exit mobile version