samedi, décembre 6

En quelques années, les réseaux sociaux ont transformé le déballage d’un colis en une expérience à 360 degrés. Si bien que l’unboxing occupe désormais une place centrale dans les stratégies marketing des marques, tous secteurs confondus.

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Bonnet de Noël sur la tête, paire de ciseaux à la main, Carla brandit fièrement son colis devant la caméra. De ses ongles parfaitement manucurés, elle pianote sur le paquet pour alimenter le suspense. «Allez les filles, c’est parti»: l’influenceuse déballe enfin son imposant colis vert et rouge, qui se révèle être un calendrier de l’Avent commercialisé par une marque chinoise. Treize minutes durant, elle déficèle minutieusement les 24 mini-présents, en prenant soin d’en détailler le contenu à ses fidèles abonnés.

Pour les non-adeptes des réseaux sociaux, la scène peut paraître surréaliste. Pourtant, ces vidéos d’unboxing (NDLR: littéralement, «déballage») inondent la toile depuis les années 2010. Rien que sur Instagram, le hashtag #unboxingvideo est associé à plus d’1,1 million de publications, alors que le plus sobre #unboxing en cumule près de 9,7 millions. Popularisée sur YouTube, la pratique s’apparente à une vraie opération win-win pour les consommateurs comme pour les marques, en remplissant des objectifs distincts.

Côté clients, l’unboxing répond à un besoin d’informations. En achetant en ligne, sans avoir vu ni essayé le produit, il s’expose toujours à un risque, rappelle Catherine Viot, professeure à l’IAE Bordeaux (Ecole universitaire de management): «Le design correspond-il vraiment à ce que j’avais vu sur le site? La couleur me plaît-elle? Est-ce que ça pourrait m’aller?» La vidéo (a priori réalisée sans trucage) de l’influenceur déballant son paquet en temps réel permet de le rassurer sur la qualité de l’objet. «Dans un parcours client exclusivement virtuel, l’unboxing permet de rematérialiser l’expérience d’achat, complète Sandra Rothenberger, professeure de marketing stratégique à l’université libre de Bruxelles (ULB). Cela devient le seul instant physique et tangible du processus.»

Pouvoir émotionnel

Le consommateur s’identifie à l’influenceur au travers de ses émotions, savamment mises en scènes. «Le spectacteur scrute la moindre mimique ou expression sur le visage qui traduit une certaine excitation, et vit ce moment par procuration, ajoute Sandra Rothenberger. Il le ramène à l’enfance, à Noël, à ce moment unique où il déballait un cadeau sans savoir ce qu’il y avait dedans. Cela déclenche un sentiment positif et crée in fine un lien émotionnel entre la marque et le consommateur.»

Conscients du pouvoir des émotions, les unboxeurs jouent énormément sur cet aspect, en amplifiant leur réaction. Bouche bée, regard émoustillé et cris de surprise font 50% du succès de la vidéo. «Ils capitalisent aussi énormément sur l’anticipation, note Sandra Rothenberger. Ils prennent parfois de longues minutes à déballer le paquet, à défaire chaque nœud ou à enlever les papiers, ce qui crée de la tension, de l’attente et de la curiosité.» Une excitation qui se révèle souvent contagieuse et pousse ensuite à l’achat. «L’unboxing combine à la fois authenticité, dopamine et storytelling, qui sont les trois ingrédients essentiels du marketing moderne», résume la professeure à l’ULB.

Trois casquettes en une

Mais les influenceurs n’ont pas été les premiers à capitaliser sur ce «magic-moment» du déballage. «Cette scénarisation est utilisée de longue date par des concessionnaires de voiture, comme Mini, illustre Catherine Viot. Quand le client reçoit sa voiture, elle est cachée sous une couverture, pour créer la surprise. Cela prolonge en quelque sorte l’expérience d’achat, en le célébrant par une dimension presque cérémoniale

Le succès de l’unboxing est aujourd’hui tel que les marques ont développé toute une stratégie commerciale autour du concept. Vu la viralité de certaines vidéos, le phénomène rivalise avec les campagnes de publicité classiques en télévision ou des affiches aux abribus. Il permet surtout de toucher un public plus jeune, qui s’identifie davantage aux créateurs de contenu qu’aux médias mainstream.

«Dans un parcours client virtuel, l’unboxing permet de rematérialiser l’expérience d’achat.»

Surtout, l’unboxing représente un coût très limité pour les marques, car c’est l’influenceur (souvent non rémunéré, mais à qui le produit a été offert) qui réalise l’ensemble du travail. «Celui qui unboxe combine trois casquettes, souligne Sandra Rothenberger: consommateur, acteur et ambassadeur de la marque.» Sans oublier que l’unboxeur sert aussi parfois de cobaye, permettant de repérer les potentiels défauts d’un emballage ou d’un produit.

Expérience sensorielle

D’où l’importance pour les marques de mettre le paquet sur l’emballage. «Dans l’unboxing, l’expérience sensorielle est primordiale, insiste la professeure en marketing stratégique. Ce qui fait toute la différence aujourd’hui, c’est d’insérer des éléments instagrammables, comme une petite carte au message personnalisé, des nœuds colorés, des tissus spéciaux agréables au toucher, parfois même du parfum aspergé sur un papier de soie et que l’influenceur peut décrire dans sa vidéo…» Bref, tout un événement esthétique est créé autour du produit, censé maximiser l’expérience de déballage du client. Signe de l’importance grandissante de l’expérience sensorielle: l’essor du hashtag #unboxingasmr (NDLR: l’ASMR désigne un ensemble de stimuli auditifs, induisant un bien-être instantané, comme les chuchotements par exemple), associé aujourd’hui à plus de 67.000 publications sur Instagram.

Globalement, l’unboxing a redonné son importance au packaging, qui avait été «un peu négligé aux débuts du commerce en ligne, estime Sandra Rothenberger. Il y a encore dix ou quinze ans, l’emballage servait avant tout à protéger le produit, pour qu’il ne soit pas abîmé au cours du transport. Aujourd’hui, il symbolise la valeur du produit qui se trouve à l’intérieur.» Quels qu’en soient d’ailleurs les coûts écologiques, remarque Catherine Viot.

Loin de renvoyer une image green friendly, les marques qui pratiquent l’unboxing doivent en outre éviter de trop en faire. «Si l’événement et le storytelling qui entourent le produit ne sont pas alignés avec la valeur de celui-ci, le client risque d’être fortement déçu», met en garde Sandra Rothenberg. Et l’attente et l’excitation associées à l’unboxing, de retomber comme un soufflé.

E.L.

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