Peu avant le premier anniversaire de l’Arizona, Bart De Wever tient son premier trophée européen sur le dossier des avoirs russes. Le Premier ministre pourrait écrire une nouvelle page de sa (petite) histoire européenne, ou bien profiter de l’unanimité belge sur le sujet pour asseoir son gouvernement.
«Qui, dans cette salle, croit vraiment que la Russie va perdre en Ukraine? C’est une fable, une illusion totale», avançait Bart De Wever le 1er décembre dernier dans un évènement des Grandes Conférences Catholiques. Cette phrase, certes sortie de son contexte, avait fait trembler plus d’un chef d’Etat européen et même Volodymyr Zelensky. Le nationaliste avait alors soudainement paru isolé sur la scène continentale. Moins de 20 jours plus tard, le Premier ministre belge a renversé la vapeur sur le dossier des avoirs russes gelés au sein de la banque Euroclear et a fait consentir ses homologues européens à l’unanimité (sauf trois abstentions) pour un prêt commun de 90 milliards à l’Ukraine. Les avoirs russes resteront gelés sur les comptes d’Euroclear, et Bart De Wever obtient l’une de ses plus grandes victoires politiques. Parce que, à l’Europe, tout le monde était contre lui et que, en Belgique, tout le monde était avec lui.
D’abord les petits pays, et puis Meloni… Et puis Macron
Selon le très sérieux média européen Politico, Bart De Wever a «battu la machine européenne». Pour ce faire, il avait d’abord l’appui public, mais plutôt inefficace, des chefs d’Etat de la République tchèque et de la Hongrie et de la Slovaquie.
«Nous avons soutenu Bart depuis des mois dans son travail, tant en kern qu’avec les Affaires étrangères»
Jeudi, en arrivant au Conseil européen, Bart De Wever affichait le même stoïcisme dont il a fait preuve depuis le début des négociations sur les avoirs russes, mi-octobre. Là où les dirigeants européens pensaient avoir le Flamand à l’usure, ils ont découvert l’existence d’un front interne qui reliait le 16 rue de la Loi à Rome. Depuis vendredi dernier, l’Italienne Georgia Meloni a rejoint Bart De Wever sur son opposition à l’utilisation des avoirs russes pour financer l’Ukraine, un soutien précieux. La Bulgarie et Malte ont rejoint le bateau également. Si la Belgique devait voter le «plan A» de l’Europe, ce serait au prix de garanties financières illimitées de la part de l’Europe. «Punt aan de lijn.»
A partir de là, Bart De Wever savait que le plan de l’Europe n’était pas abouti. Car Politico révèle qu’un document juridique censé donner des arguments aux chefs d’Etat pour rassurer le Belge a eu plutôt l’effet inverse. Emmanuel Macron, et puis Luc Frieden (Premier ministre luxembourgeois) sont devenus dubitatifs à leur tour et Bart De Wever a enclenché le plan B, soit le fameux prêt conjoint.

«Un soutien international, ça se construit de longue date, commente Caroline Sägesser, politologue du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). En mars dernier, un mois après son accession au Seize, Bart De Wever rejoignait le groupe de tête européen pour une politique migratoire plus stricte, un collectif initié par Georgia Meloni. Mais sa préparation vient de plus loin encore dans le temps. «Nous suivons le dossier des avoirs russes depuis des années, déjà sous le gouvernement De Croo, affirme le partenaire de De Wever au kern, David Clarinval (MR). Nous avons soutenu Bart depuis des mois dans son travail, tant en kern (via la cellule spéciale créée au 16) qu’avec les Affaires étrangères.» Mardi encore, Georges-Louis Bouchez faisait le tour des ambassadeurs européens pour aider son partenaire nationaliste.
De Croo jouait collectif, De Wever calcule
Fait rare, avant d’avoir l’unanimité européenne, Bart De Wever avait l’unanimité belge. Son tour de force aurait-il de quoi asseoir sa légitimité en tant que Premier ministre de tous les Belges, titre qu’il manie avec des pincettes? «Dégeler ces avoirs russes aurait un acte de guerre, rappelle la cheffe de file PTB Sofie Merckx. L’ensemble des citoyens européens contribueront au prêt à l’Ukraine, et la guerre continuera, mais la solution trouvée est peut-être la meilleure.»
Sarah Schlitz (Ecolo), qui faisait partie du gouvernement De Croo, voit quant à elle une différence stratégique entre l’ancien et actuel Premier ministre. «De Croo jouait pour le collectif, quitte à aller à l’encontre de son intérêt personnel. Bart De Wever calcule toujours par rapport au positionnement de son camp. Dans le contexte international, il est de moins en moins problématique de s’associer à l’extrême droite de Georgia Meloni. Bart De Wever contribue à sa normalisation.» Une remarque sur l’association avec le bloc populiste et d’extrême droite européen qui n’occupe que la gauche francophone, estime Caroline Sägesser, alors que le cordon sanitaire au Parlement européen a sauté fin novembre sur les obligations environnementales des entreprises.
«Généralement, on ne construit pas une popularité sur des questions internationales. Mais cette victoire pourrait donner à Bart De Wever le goût d’autres victoires européennes, alors que ce n’est pas son intérêt initial, poursuit la politologue. Pour ce qui est de son gouvernement, ce n’est en revanche pas ça qui lui donnera du souffle, on a toujours du mal à comprendre le projet de l’Arizona.»




