«Deux personnes qui sont trop ivres pour encore tenir debout ne devraient tout simplement pas avoir de relations sexuelles», déclare l’avocate Issabel De Fré après le tollé suscité par l’affaire de viol à Louvain.
Dans les comportements sexuels transgressifs, l’alcool est souvent le principal coupable, surtout parmi les étudiants, en particulier dans le monde de la nuit. Dans la très médiatisée affaire de viol à Louvain, l’alcool a également joué un rôle important. L’auteur des faits, un étudiant en médecine, a été reconnu coupable du viol d’une camarade étudiante manifestement trop ivre pour encore pouvoir donner son consentement à un rapport sexuel.
Il n’a cependant pas été condamné. Le parquet a déjà fait savoir qu’il ferait appel de cette décision. L’affaire constitue une nouvelle mise à l’épreuve du nouveau droit pénal sexuel, dans lequel la notion de consentement est centrale.
Le consentement aux actes sexuels est évidemment inexistant en cas de menaces ou de violence. Mais il ne l’est pas non plus, selon le nouveau Code pénal, «lorsque l’acte sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime, résultant notamment de la peur, de l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, d’une maladie ou d’un handicap, altérant la libre volonté».
Selon l’avocate Issabel De Fré, spécialisée dans les affaires de mœurs, le nouveau droit pénal tente de formuler une définition précise de ce qu’implique le consentement. «Mais en réalité, il s’agit simplement d’une énumération des conditions et circonstances dans lesquelles il pourrait ne plus être question de consentement. Ce n’est certainement pas une définition stricte. Pour commencer, la liste des circonstances n’est pas exhaustive. Et le juge doit toujours examiner les faits et circonstances spécifiques, puis apprécier l’affaire dans son ensemble.»
Est-ce que cela signifie que la présence d’alcool n’implique pas automatiquement l’absence de consentement?
Issabel De Fré: Non, l’alcool doit avoir altéré la volonté libre de la victime à un tel point qu’elle était dans l’impossibilité de consentir à l’acte sexuel ou de s’y opposer. Boire un verre, être un peu éméché ou même un peu ivre n’exclut pas nécessairement le consentement. Le juge effectuera toujours une mise en balance sur la base de tous les éléments. Il faut également démontrer que l’auteur était conscient de l’état de la victime et en a abusé.
Un juge ne détermine donc pas seulement si la victime était trop ivre pour consentir volontairement, mais aussi si l’auteur en avait conscience ou aurait dû en avoir conscience. Voilà encore une nuance. Au final, le concept de consentement, malgré l’intention initiale du législateur, est formulé dans la loi de façon tellement large et un peu floue que je le trouve parfois problématique.
«Un juge ne détermine pas seulement si la victime était trop ivre pour consentir volontairement, mais aussi si l’auteur en avait conscience.»
Cela signifie-t-il que les juges peuvent aboutir à des jugements différents dans des affaires similaires d’agression sexuelle?
Absolument. J’ai encore été très étonnée récemment. Il ne s’agissait pas spécifiquement d’alcool, même s’il en était question, mais de victimes vulnérables présentant une déficience mentale. L’une des filles avait 14 ans, l’autre 17 ans, donc majeure sexuellement, mais avec une maturité mentale équivalente à celle d’un enfant de 8 ans. Ces filles ont été emmenées dans un squat où elles ont bu de l’alcool. Certes de manière volontaire, mais quel libre arbitre possède une personne qui, mentalement, est en réalité un enfant? Réalise-t-elle vraiment ce qu’elle fait?
Il y avait deux auteurs. L’homme qui a eu un rapport sexuel avec la victime de 14 ans a été condamné à quatre ans de prison. Celui qui a eu un rapport sexuel avec la victime à peine majeure sexuellement a été acquitté, malgré la présence d’alcool et malgré sa déficience mentale. Le juge a estimé qu’il n’était pas certain à 100% qu’aucun consentement n’avait été donné à aucun moment. Il subsistait donc un doute, et c’est pour cela que cet homme a été acquitté, en vertu du nouveau droit pénal sexuel.
Ce nouveau droit pénal, dans lequel la notion de consentement est beaucoup mieux développée que dans l’ancien code pénal, continuera-t-il aussi à susciter des remous?
Certainement, et je comprends aussi la consternation récente à propos du jugement à Louvain. C’est toujours le cas sur des sujets sensibles, mais les juges ne prennent généralement pas ce genre d’affaires à la légère. Je trouve toutefois que c’est une occasion manquée que le tribunal n’ait pas motivé plus largement pourquoi l’auteur a été reconnu coupable de viol, mais n’a néanmoins pas été condamné. Les conséquences de cela sont imprévisibles. Et pour l’homme condamné, elles sont énormes. Alors que le juge, par son jugement, visait justement le contraire.
«C’est une occasion manquée que le tribunal n’ait pas motivé plus largement pourquoi l’auteur a été reconnu coupable de viol, mais n’a néanmoins pas été condamné.»
Mais dans ce cas, le juge a bien estimé que la victime ne pouvait absolument pas avoir consenti à une relation sexuelle avec l’auteur?
Exactement. Il y a des images montrant l’étudiante tomber plusieurs fois dans la rue et à peine capable de tenir debout.
L’auteur lui-même avait aussi bu, et n’était donc peut-être plus en état d’interpréter correctement les signaux de la victime. Cela ne constitue-t-il pas une circonstance atténuante?
Cet auteur a malgré tout fait le choix de se mettre dans cet état. Bon, dans cette affaire, ils ont apparemment aussi parlé de choses personnelles, il l’a raccompagnée jusqu’au kot de son amie où elle était censée passer la nuit, ils se sont embrassés… Ce n’est donc pas un homme qui attendait une victime facile à violer dans son kot.
Les hommes doivent bien comprendre que le consentement peut être retiré à tout moment. Ce n’est pas parce que vous embrassez quelqu’un avec la langue que vous consentez aussi à une pénétration. Ce n’est pas parce que vous avez une relation sexuelle vaginale avec quelqu’un que vous consentez aussi à une relation anale ou orale. Mais, au fond, cela revient à dire que deux personnes trop ivres pour encore tenir debout ne devraient tout simplement pas avoir de relations sexuelles.
La réalité sexuelle est-elle peut-être un peu plus brouillonne que ce que le nouveau code pénal prévoit?
C’est vrai, mais ce nouveau droit pénal sexuel veut bien sûr aussi provoquer un profond changement de mentalité. Il est désormais clairement établi que le consentement est un accord donné volontairement, qui peut aussi être non verbal, et qu’il ne peut pas être déduit de l’absence de résistance.
Un consentement sous l’emprise de l’alcool peut-il donc être parfois juridiquement considéré comme un consentement?
En substance, cela signifie que l’alcool, ou toute autre substance, doit avoir altéré la volonté libre d’une personne à tel point que celle-ci ne pouvait plus prendre de décision libre. Et cela doit ensuite être démontré au tribunal par le ministère public, car le suspect bénéficie de la présomption d’innocence.