vendredi, décembre 19

Jeudi soir, dans la foulée du vote du budget 2026 au parlement de Wallonie, l’exécutif régional a officiellement mis en route une réforme institutionnelle annoncée de longue date. L’objectif affiché est de faire disparaître les «provinces politiques» d’ici 2030, après une phase de concertation annoncée avec les conseils provinciaux et les communes.

A la veille des élections provinciales du 13 octobre 2024, le gouvernement wallon MR-Les Engagés jeune de deux mois formulait l’une de ses premières promesses: «Ce sera la dernière élection de ce type.» Chose dite, chose faite. Le Wallon ne votera plus au niveau provincial.

Le ministre wallon des Pouvoirs locaux, François Desquesnes (Les Engagés) a annoncé la fin des provinces comme entité politique: «Elles seront remplacées par des organismes territoriaux supracommunaux». Il ne faut y voir une disparition pure et dure des provinces, qui sont inscrites dans la Constitution, mais bien un changement fondamental dans leurs compétences.

Le gouvernement wallon ne touche pas aux limites territoriales des provinces, qui restent le cadre administratif. Le changement annoncé porte sur les modes de décision et de financement. Les conseils provinciaux élus vont disparaître au profit d’un organe baptisé «assemblée des bourgmestres», chargé de piloter le futur échelon supracommunal.

Selon le ministre wallon, les cinq conseils provinciaux ont jusqu’au 1er mai pour distinguer les missions jugées indispensables à une action supracommunale et celles susceptibles d’être transférées. Une décision politique sur la répartition de ces compétences doit suivre, avec un horizon de mise en œuvre présenté comme progressif, via un ou plusieurs décrets.

Sur le terrain, l’annonce a surpris jusque dans les institutions. Denis Mathen, gouverneur de la province de Namur, dit l’avoir découverte «de manière incidente» et sans information officielle à ce stade. «Ce que j’en comprends ne m’étonne pas, puisque l’orientation figurait déjà, dans les grandes lignes, dans la Déclaration de politique régionale», explique-t-il. Sa fonction, maintenue selon François Desquesnes, ne se confond pas avec les compétences provinciales: «La province ne disparaît pas du jour au lendemain, mais elle serait organisée et gouvernée autrement, avec des organes spécifiquement composés», relève Denis Mathen, qui attend des clarifications sur la manière dont il sera articulé avec cette nouvelle gouvernance.

L’autre débat, déjà sensible, concerne l’emploi et l’administration. Le ministre wallon met en avant une baisse de 200 mandataires, mais pas de suppression de services. Denis Mathen lit la mesure sous l’angle politique: «A mon sens, ce chiffre vise des mandataires élus, donc des conseillers provinciaux. Pour ce qui est d’éventuelles pertes d’emplois, je n’ai aucun élément qui me permette de dire que ce serait le cas. Je constate plutôt une absence de volonté de supprimer des services rendus aux citoyens, avec un exercice annoncé de tri et de ventilation vers un niveau jugé plus adéquat. Que ce soit vers la Région, les communes, ou une autre configuration.»

«Recul de la démocratie»

Pour Cédric Istasse, chercheur au CRISP, le premier impact pour les citoyens se lit dans l’isoloir. A l’horizon 2030, il n’y aura plus de bulletin provincial, plus de conseil provincial élu, plus de majorité provinciale sanctionnée ou reconduite par les urnes. L’exécutif wallon remplace un niveau élu par une instance issue des communes et centrée sur l’exécutif local.

Son point d’alerte porte sur la mécanique démocratique: «Quand on supprime une assemblée élue, on perd un lieu où toutes les tendances politiques sont présentes, y compris celles qui ne sont pas au pouvoir. On remplace ce contre-pouvoir par un organe composé indirectement, avec une logique beaucoup plus exécutive. C’est une perte pour la démocratie. Dans la réforme annoncée, l’assemblée des bourgmestres devient le centre politique de la supracommunalité, alors que les bourgmestres sont d’abord élus sur des enjeux communaux. Quand on vote sur une liste communale, il y a de la proximité, du copinage, des enjeux très locaux. On ne vote pas pour le bien de la province. Bâtir un échelon supracommunal sur les exécutifs communaux revient à confier une compétence provinciale à des élus choisis pour d’autres raisons, sur d’autres critères, dans une mécanique de majorité locale.»

Cédric Istasse pointe aussi l’effet sur la transparence du débat public et sur la représentation des citoyens: «Le Parlement laisse des traces. Projets, amendements, rapports, comptes rendus… Un exécutif laisse beaucoup moins de documents accessibles. Si un niveau provincial devient surtout un organe d’adoption de budgets préparés ailleurs, le risque, c’est une décision publique plus difficile à documenter.»

Ce qui change pour les citoyens

Le premier effet tangible se verra sur un document que beaucoup de ménages reçoivent chaque année. Les additionnels provinciaux doivent disparaître au profit d’un additionnel communal relevé, avec une promesse du ministre wallon François Desquesnes de «neutralité fiscale» pour le total payé. Sur la feuille d’impôt, la ligne «province» s’efface, la ligne «commune» grossit. Le montant final annoncé doit rester identique si l’engagement est tenu, mais la discussion politique change de lieu. Une hausse future, une correction ou un choix budgétaire se négociera au conseil communal, pas au niveau provincial.

Le deuxième changement attendu tient à la tutelle de services qui existent déjà, sans être toujours identifiés comme provinciaux au quotidien. L’enseignement provincial en fait partie, avec des écoles secondaires, souvent techniques et professionnelles, des internats et des centres de formation. Si la compétence est transférée, les élèves ne changent pas de bâtiment du jour au lendemain, mais l’autorité qui décide change. Qui valide l’ouverture d’une option, qui finance une rénovation, qui arbitre une fusion d’implantations, qui répond dans une crise de pénurie de professeurs?

Troisième effet, très concret hors des centres urbains, la gestion de dossiers environnementaux et d’entretien de terrain. Dans plusieurs provinces, les services provinciaux interviennent sur des cours d’eau non navigables, l’entretien des berges, la gestion d’embâcles, des travaux de curage ou de sécurisation. Si ces missions basculent vers la Région ou vers des structures communales, le changement immédiat pour un riverain porte sur le guichet. Où introduire une demande, qui programme une intervention, quel service suit le dossier et sous quels délais? La difficulté pratique tient au fait qu’un cours d’eau traverse souvent plusieurs communes. Quand la coordination n’est plus portée par un service provincial unique, la réforme doit dire qui tranche et comment les communes se coordonnent, faute de quoi les interventions risquent d’être plus fragmentées.

Quatrième impact, moins visible mais très sensible: les subsides et les équipements. Les provinces soutiennent des initiatives culturelles, sportives et touristiques, gèrent des domaines, des infrastructures, des musées ou des centres d’activités. Le transfert de compétence ne supprime pas automatiquement un site, mais il peut modifier la politique tarifaire ou le rythme des investissements, le niveau de subvention et la stabilité des financements. Pour un usager, cela se traduit par entrée qui augmente, un chantier qui est reporté, un appel à projets qui disparaît ou change de critères. Ce sont des décisions budgétaires, donc des arbitrages, qui seront pris ailleurs.

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