Le nouveau Premier ministre Keir Starmer a écarté du parti les auteurs de propos antisémites et il a constitué un gouvernement reflet de la diversité sociale de la population.
Au terme de quatorze années de pouvoir conservateur, les travaillistes britanniques dirigent à nouveau le gouvernement. Celui-ci a été constitué 48 heures après la victoire du parti de Keir Starmer aux élections générales du 4 juillet. A l’issue de sept ans de pouvoir macroniste, la gauche française ambitionne de présider aux destinées de l’exécutif après son succès aux législatives des 30 juin et 7 juillet. Sa formation ne sera pas une sinécure.
Il n’y a pas que la durée de la cure d’opposition qui distingue les situations des deux forces politiques. Le succès du Parti travailliste lui assure, seul, une très large majorité (411 députés sur les 650 que compte la Chambre des Communes pour 121 à son plus grand rival, les Tories). Il a donc toute la latitude pour faire passer ses réformes. La gauche française est plurielle, comprenant au sein du Nouveau Front populaire le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts, le Parti communiste, La France insoumise, et ne dispose que d’une majorité relative (182 des 577 élus de l’Assemblée nationale). On ne voit toujours pas comment elle réussira à appliquer son programme.
Mais si ce n’est pas pour cette immédiate sortie de crise, au moins pour la prochaine échéance électorale, la gauche en France aurait sans doute intérêt à s’inspirer du changement imprimé par le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer à sa formation pour espérer occuper à nouveau durablement le pouvoir.
La lutte contre l’antisémitisme
Keir Starmer a été élu chef du Parti travailliste en 2020 après la défaite cinglante de celui-ci aux élections législatives de l’année précédente (32,8% et la perte de 60 sièges) et la démission de son leader de l’époque, Jeremy Corbyn. Après des années de domination de l’aile gauche du parti dont son prédécesseur était la figure de proue, l’ancien avocat a œuvré à un profond recentrage de ses troupes. Au plan idéologique, en revenant à une politique étrangère plus mesurée et plus conforme à la tradition britannique. Au plan interne, en éliminant progressivement les membres «extrémistes», fidèles à Corbyn, de la direction du parti.
Cette opération a eu le double avantage du rééquilibrage, qui a permis d’attirer à nouveau des électeurs centristes, et de la restauration d’une respectabilité, grandement entamée par les penchants antisémites de Jeremy Corbyn et de certains de ses amis. Appliquée à la politique hexagonale, cette démarche requerrait que La France insoumise, la plus radicale des composantes du Nouveau Front populaire, fasse le ménage dans ses rangs et jusqu’à son sommet. Mais l’attitude de Jean-Luc Mélenchon, son leader, et de certains de ses proches, encore éprouvée, lors des élections européennes essentiellement, à travers l’exploitation à des fins communautaristes de la guerre à Gaza, n’incline pas à penser que ce soit possible à court terme, sauf révolution de palais interne. On se souviendra que Jeremy Corbyn avait été invité le 6 juin 2022 à Paris par les députées LFI Mathilde Panot et Danièle Obono dans le cadre de la campagne des élections législatives postprésidentielles. A l’époque, Keir Starmer s’efforçait de surmonter l’accusation d’antisémitisme encore associée à son parti.
Le lien avec les citoyens
Les premiers pas du gouvernement de Keir Starmer ont été marqués par une ligne directrice dominante: la recherche de proximité avec le citoyen, au moins dans les paroles et les apparences. «Pendant longtemps, nous avons ignoré les personnes qui se comportaient en bons citoyens, qui travaillaient dur tous les jours. Je veux dire très clairement à ces personnes qu’elles ne seront plus ignorées», a assuré le Premier ministre britannique le 5 juillet à Londres. Et qui mieux, pour répondre aux attentes des citoyens, que des personnalités qui en ont partagé les difficultés?
Le premier gouvernement Starmer est, dans cette optique, un modèle d’empathie avec les Britanniques les moins bien lotis. Ses membres sont à 88% des produits de l’école publique quand les exécutifs conservateurs ont compilé les personnalités issues des plus hautes écoles privées. Le parcours de plusieurs ministres témoignent des accidents de la vie auxquels peuvent être confrontés tous les Britanniques mais que subissent seulement une partie d’entre eux. Il en va ainsi de la ministre du Logement, Angela Rayner (née dans une banlieue de Manchester, elle a vécu dans un logement social et devait s’occuper de sa mère dépressive), de celle en charge de l’Education, Bridget Phillipson (élevée par une mère célibataire à Washington dans le nord-est désindustrialisé de l’Angleterre), du ministre de la Santé, Wes Streeting (né dans une famille pauvre du sud de Londres), ou de son collègue des Affaires étrangères, David Lammy (éduqué dans un quartier défavorisé de la capitale par une mère célibataire originaire du Guyana, au nord-est de l’Amérique du Sud)… Même la nouvelle chancelière de l’Echiquier, Rachel Reeves, est d’une origine sociale modeste. Elle conjugue cette particularité, pour une ministre des Finances, avec celle d’être la première femme à occuper ce poste au Royaume-Uni.
Transposée à la France, cette évolution du profil des ministres travaillistes engagerait le Parti socialiste à se défaire de l’image de «gauche caviar» dont il n’arrive pas tout à fait à se débarrasser depuis, notamment, les responsabilités ministérielles d’un Dominique Strauss-Kahn, plus habitué aux Porsche Panamera qu’aux transports publiques de Sarcelles, en banlieue parisienne, dont il fut maire. La gauche française a-t-elle vraiment changé?
«Pendant longtemps, nous avons ignoré les personnes […] qui travaillaient dur tous les jours.»