Le Parlement bruxellois adopte ce vendredi une ordonnance qui permet un encadrement des loyers de manière non contraignante. La mesure consiste à définir un prix plancher et plafond pour chaque bien immobilier à la location et fournit un outil à la Justice de Paix pour trancher ces dossiers.
Les loyers bruxellois sont-ils trop cher? C’est toujours une question de point de vue, évidemment, alors que 62% des logements bruxellois sont à la location (contre 35% seulement à l’échelle nationale). Alors, ce vendredi, le Parlement bruxellois se penchait sur la dernière étape d’un vaste programme (entamé en 2021 et passé deux fois par le Conseil d’Etat) de lutte contre les loyers abusifs. L’ordonnance, votée par une majorité alternative de gauche (dans l’attente d’un gouvernement minoritaire de droite), vise à désigner un loyer de référence pour chaque bien mis en location – que chacun peut d’ailleurs déjà découvrir sur loyers.brussels. A partir de celui-ci, le propriétaire peut augmenter (ou diminuer) de 20% le loyer, s’il excède ce taux, le locataire peut saisir le Comité Paritaire Locatif (CPL) qui rendra un avis non contraignant. Si les parties prenantes du bail ne sont toujours pas d’accord sur l’avis émis, ils pourront toujours saisir la Justice de Paix.
Forcément, les propriétaires voient d’un très mauvais œil la mise en place de l’ordonnance et reprochent au Parlement bruxellois «un coup politique, où le logement est un terrain de jeu pour la majorité alternative», soupire Patrick Willems, secrétaire général du Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires. Pour lui, c’est avant tout la grille qui fixe le prix de référence qui pose problème, bien qu’établie par une équipe de chercheurs de l’ULB. Le représentant des propriétaires suggère que la grille se calque sur les prix déjà appliqués qui dépassent pour 53% d’entre eux les 20% d’écart fixés par la grille (l’étude l’ULB estime que c’est beaucoup moins que 53%, et en estime plutôt 20%) et attende 2027 pour entrer en vigueur. Ce sera finalement le cas dès ce premier mai 2025.
Dégradation de l’offre
Pour Patrick Willems, cette nouvelle donne va dégrader la qualité de l’offre locative à Bruxelles. «La grille va diminuer l’entretien des appartements car elle ne prend pas en compte les petits entretiens de plafonnage, d’humidité, d’électricité par exemple.» Et de craindre que les petits propriétaires ne soient plus motivés pour entretenir leurs biens si leurs revenus sont limités. «A Berlin, à Stockholm, des mesures similaires ont été prises et il y a des listes d’attente de plus de dix ans pour des logements car l’offre s’est effondrée. Quand une famille a un logement à Stockholm et que ses enfants s’en vont, elle ne quitte plus le bien avec plusieurs chambres dans lequel elle se trouve et, au final, le blocage des loyers favorise le locataire installé, pas celui qui cherche.»
Du côté de la défense des locataires, on concède que l’encadrement des loyers peut parfois modifier le caractère de l’offre locative, mais ce n’est pas l’objet de la mesure en question. «L’idée, c’est de punir les propriétaires qui abusent, argue Anne Bauwelinckx On les autorise toujours à faire plus de 20% du prix de référence. Les seuls qui ont des craintes à se faire sont ceux qui abusent.» Et le secrétaire général du Syndicat des Locataires, José Garcia, d’ajouter que «le marché actuel ne connaît que des des gens solvables. Il est temps que la région bruxelloise régule les loyers. Le problème n’est pas le logement salubre qui coûte 1.000 euros, mais les taudis qui sont loués à ce prix-là.»
Un défi pour la justice
Depuis le mois de juin, la région bruxelloise a préparé le terrain de l’ordonnance votée en ce jour avec la mise en place d’une Commission Paritaire Locative (PCL) regroupant quatre représentants des locataires et quatre représentants des propriétaires, sous la présidence de Julien Moinil (qui est par ailleurs le nouveau procureur du Roi de Bruxelles). Si le syndicat des propriétaires estime que le PCL n’aura pas la capacité de gérer «les dizaines de milliers» de dossiers qui s’ouvriront, Julien Moinil assure qu’il n’y a «aucun problème, on tourne au ralenti depuis juin».
Les juges de paix, quant à eux, redoutent une augmentation de leur charge de travail si les dossiers ne se concluent pas au PCL. «Les questions de logement, c’est le plus gros de notre travail avec 300 dossiers par an et par canton, environ, s’inquiète le juge de paix du canton de Woluwe, Géry de Walque. Et cela porte principalement sur des défauts de paiement de la part de la part la plus fragilisée de la population.» Selon le juge de paix, le loyer est aujourd’hui fixé librement par les parties via un contrat qu’un juge ne peut modifier. «Le texte à venir ne va pas du tout nous faciliter le travail car les contrats noués pourront devenir caduques. On va avoir un afflux incroyable.»
Sur ce point, Julien Moinil rassure. «Il règne une très bonne collégialité au sein du Comité Paritaire Locatif, et je note que les décisions doivent être prises à l’unanimité. Le CPL est un organe indépendant qui n’a pas d’orientation politique.» Preuve que les propriétaires et locataires peuvent s’entendre, et que ce sujet est peut-être plus une question de bon sens qui a pris, ce vendredi au sein d’un parlement bruxellois en crise, un costume politique.