Shein, Temu ou AliExpress ne séduisent pas seulement les ménages aux revenus modestes, leur accessibilité et leurs prix dérisoires répondent essentiellement à une quête de reconnaissance et de réussite sociale.
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Vingt-trois millions d’utilisateurs actifs, rien qu’en France. Shein s’y est hissé, en 2025, à la cinquième place des plus gros vendeurs de textile, selon le baromètre de l’Institut français de la mode (ISM) –son concurrent Temu se positionne, lui, à la 24e place. Sur le podium figurent Vinted (1er) suivi par Amazon et Kiabi.
Qui sont ces millions d’acheteurs en ligne? Essentiellement des consommateurs issus de la classe moyenne. Selon des chiffres publiés par Le Monde, les moins de 25 ans ne représentent plus que 17% des ventes en volume, contre plus d’un tiers en 2021. Les 35-49 ans sont désormais ceux qui achètent le plus (45% des quantités commandées).
Pourquoi ce mode de consommation séduit-il autant? La simplicité d’achat, combinée à des prix dérisoires, «donne l’illusion d’accéder à des objets comparables à ceux vendus beaucoup plus cher ailleurs», analyse Alexandra Balikdjian, psychologue à l’ULB. Et cette impression remplit, chez une partie du public, un besoin de reconnaissance et d’appartenance. «Posséder, c’est exister, poursuit-elle. Cette profusion d’articles à bas prix peut renforcer le sentiment d’être quelqu’un.» Dans une société où richesse et possessions sont valorisées, «on finit par considérer la capacité à (sur)consommer comme un signe de réussite, au même titre que le travail, ajoute Orlane Moynat, docteure en sociologie. Ces normes façonnent notre position perçue dans l’ordre social.» Accumuler des objets devient un moyen d’essayer de satisfaire un idéal de soi, d’exprimer une individualité tout en se sentant appartenir à un groupe.
Ce désir de possession n’est pas l’apanage des milieux modestes, souligne Simon Vuille, doctorant en sociologie de la consommation: «Cette accumulation se retrouve dans toute la société, même si elle ne prend pas toujours la même forme. Elle s’inscrit dans une normalisation de la consommation de masse et à une propension à estimer que le bonheur s’achève au travers d’elle.»
«Les achats irrépressibles servent souvent à atténuer un affect négatif, à combler un manque.»
Dans cette quête du bonheur, les imitations jouent un rôle particulier. Loin d’être de simples copies naïves et bon marché, elles servent «à se raconter, commente Alexandra Balikdjian. A dire qu’on a eu la possibilité d’acheter un sac très convoité et à donner l’illusion de ressemblance avec d’autres.» Selon Simon Vuille, l’achat de «dupes» peut même devenir un acte de contestation symbolique, «une forme de subversion destinée à l’industrie du luxe et aux personnes aisées: « Vous achetez ces produits à ce prix-là alors que j’achète la même chose à un prix abordable ».»
Les besoins essentiels (se loger, se nourrir, se vêtir) sont limités; les désirs, eux, sont infinis. Les satisfaire apporte un apaisement fugace, rapidement remplacé par une nouvelle envie. «On n’atteint jamais le niveau de bonheur auquel on aspire, insiste Orlane Moynat. On est poussé à toujours plus: mieux que ce que l’on possède déjà, mieux que ce que détient le voisin. On avance parce qu’on a davantage qu’avant.»
En ne cherchant plus à réfréner ses envies, en voulant acquérir et posséder, l’acheteur peut être poussé à l’oniomanie (addiction aux achats). «Ces achats irrépressibles servent souvent à atténuer un affect négatif, note la psychologue. Un événement particulier pousse alors à accumuler des objets pour combler un manque.» Mais, comme le précise Alexandra Balikdjian, ces émotions douloureuses réapparaissent aussitôt, «comme si elles n’avaient jamais été apaisées». Créant une spirale négative: «Certains patients ne sortent même plus leurs achats du coffre de la voiture.» Chez certains, le risque d’endettement peut même devenir réel.




