jeudi, octobre 31

L’intensité des inondations qui ont frappé la région de Valence découle de la conjonction de plusieurs phénomènes, dont certains sont directement liés au réchauffement climatique.

Où s’arrêtera le bilan humain des inondations survenues depuis mardi en communauté valencienne? Au moins 158 décès ont été confirmés, mais beaucoup de personnes restent portées disparues. Le bilan matériel effraie également: des rues dévastées, des axes routiers et ferroviaires coupés, des dizaines de milliers de personnes sans électricité, etc. Le record de précipitations a été enregistré à Chiva, à l’ouest de Valence, avec près de 460 l/m² d’eau, soit l’équivalent d’environ un an de pluie en une seule journée. Une dévastation liée au réchauffement climatique, mais aussi à des facteurs locaux.

1. Une goutte froide redoutable

A l’origine du phénomène météorologique: une déformation d’un courant très rapide dénommé jet stream, qui sépare les masses d’air polaire et tropicale. «Lorsque ce jet stream oscille fortement, il laisse s’échapper des poches froides vers le sud», explique Xavier Fettweis, climatologue à l’ULiège. Ces zones dépressionnaires, entourées par une masse d’air plus chaude, sont aussi connues sous le nom de «gouttes froides». «C’est ce qui s’est produit en 2021 en Belgique et en Allemagne, ou cette année en Europe de l’Est lors de la tempête Boris».

«Avec le dérèglement climatique, les régions polaires se réchauffent plus vite que le reste du monde, et la différence de température avec les zones tropicales diminue», note Jean-Pascal van Ypersele, climatologue à l’UCLouvain et fondateur de la plateforme wallonne pour le GIEC. Ce dernier estime donc «probable» que le réchauffement climatique affaiblisse le jet stream et laisse plus facilement passer ses gouttes froides.

«Nos données montrent déjà que les gouttes froides sont de plus en plus récurrentes en région méditerranéenne», relève Cathy Clerbaux, professeure en sciences du climat et de l’environnement à l’ULB. Cette fois-ci, la goutte froide s’est placée au sud de la péninsule ibérique, et y est restée bloquée. Des perturbations violentes et pérennes se sont donc formées à sa périphérie, là où les courants froids rencontrent ceux chauds. Pile là où se situe Valence.

2. La Méditerranée beaucoup trop chaude

L’intensité des précipitations était d’autant plus forte du fait des records de chaleur en mer Méditerranée cette année. Le 15 août dernier, sa surface avait atteint une moyenne de 28,9°C, et cette région du monde «s’est déjà réchauffée d’environ deux degrés comparé à l’époque pré-industrielle», précise Cathy Clerbaux. Puisqu’à chaque degré supplémentaire, 7% de vapeur d’eau est produite en plus, la Méditerranée est devenue un véritable chaudron. Un cocktail explosif en cas de rencontre avec une goutte froide.

3. Des orages «en V» propices aux inondations

A Valence, l’air humide de la mer a été aspiré vers la péninsule ibérique et a rencontré sur son chemin les montagnes de l’arrière-pays valencien, hautes d’environ 1.000 mètres. Une altitude suffisante pour bloquer les orages naissants en un espace réduit, qui prennent la forme d’un V. La base de ce V, où commence ce phénomène de blocage, est le point où les pluies sont les plus intenses.

«C’est le même phénomène à l’œuvre dans le sud de la France, lors des épisodes cévenols qui butent contre les montagnes», illustre Xavier Fettweis. «En Belgique, les Ardennes peuvent également provoquer cet effet, même si c’est moins net qu’en Espagne», enchaîne Jean-Pascal van Ypersele.

4. Des sols imperméables

Valence était d’autant plus vulnérable que l’Espagne sort à peine d’une longue période de sécheresse. «Les précipitations sont donc tombées sur des sols extrêmement secs, qui favorisent le ruissellement, explique Xavier Fettweis. Il s’agit d’une situation semblable à celle des événements pluvieux dans le Sahara.» En septembre dernier, le sud du Maroc avait subi des inondations pour cette même raison. «Il est probable que cela ait contribué aux dégâts constatés à Valence, même si cela n’est pas le premier facteur», estime pour sa part Jean-Pascal van Ypersele.

5. Une végétation fragilisée

La sécheresse a également fragilisé les arbres de la région, où les pins d’Alep sont de très loin majoritaires. Une espèce vulnérable aux attaques d’insectes. Selon les estimations des autorités locales, 370.000 pins d’Alep ont été comptabilisés comme morts dans la communauté valencienne. Début d’année, ce chiffre s’élevait à 61.000.

«De fait, des arbres dépérissants intercepteront moins d’eau, et peuvent encore moins faire face à de telles précipitations», relève Mathieu Jonard, professeur à l’UCLouvain et spécialiste des écosystèmes forestiers. En découle aussi un risque accru d’érosion, et donc d’inondations. Quelques jours avant les inondations, le gouvernement valencien réclamait à Madrid une «déclaration d’urgence climatique» afin de débloquer des aides et faire face à ce problème.

6. La bétonisation galopante de Valence

En Espagne comme ailleurs, la bétonisation d’espaces anciennement naturels aggrave le risque d’inondations. A Valence, elle est galopante. Une large partie des bâtiments datent de la moitié du XXe siècle, et cette croissance immobilière continue. «En regardant des photos satellites de Valence il y a 30 ans et maintenant, il est clair que la ville s’est largement agrandie, et cela ne fait qu’amplifier l’imperméabilisation des sols», regrette Xavier Fettweis.

7. Le système d’alerte trop tardif face aux inondations

Dès le matin du mardi 29 octobre, l’Agence météorologique espagnole (Aemet) avait activé son alerte rouge à Valence, face à l’ampleur des précipitations attendues. Ce n’est toutefois que vers 20-21h que les habitants ont reçu sur leurs téléphones un message de la Communauté valencienne les prévenant du risque. Trop tard, la pluie s’abattant déjà sur le territoire.

Les critiques se concentrent depuis sur le Parti populaire (PP, droite) qui gouverne la région et a décidé de supprimer l’Unité valencienne d’urgence (UVE) créée par les socialistes avant lui. Une mesure adoptée à l’époque où le PP était en coalition avec le parti d’extrême droite Vox. Les autorités régionales se défendent toutefois d’avoir été inactives, en insistant sur le respect du protocole pour s’assurer que les avertissements aient l’effet escompté.

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