L’extrême droite se féminise. Une évolution qui cache une volonté de mettre en avant des femmes blanches cisgenres pour attiser la haine contre l’islam, les migrants, les personnes transgenres et les féministes de gauche.
L’incident s’est produit le 2 décembre. Alors qu’elle quittait une conférence organisée au MCC Brussels, un think tank nationaliste hongrois financé par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, Alice Cordier a été enfarinée par un militant antifasciste. L’activiste, influenceuse et chroniqueuse identitaire française est la présidente du collectif français Nemesis. Elle se revendique également féministe et fait partie de ces jeunes femmes très présentes sur les réseaux sociaux, chargées d’incarner une extrême droite plus jeune, plus moderne et en phase avec son époque. Mais quelles idées défendent-elles exactement?
Dans une analyse sur le fonctionnement de ces collectifs qui se revendiquent féministes, Claudia Jareno Gila, maîtresse de conférences en civilisation de l’Espagne contemporaine (Paris Université) et Gwenaëlle Bauvois, chercheuse en sociologie (University of Helsinki), expliquent en quoi la visibilité croissante des groupes tels que Nemesis, les Antigones ou les Caryatides conduit à une normalisation de prises de position autrefois marginales dans un contexte de montée de discours sécuritaires.
«Traditionnellement associés à des électeurs masculins issus des classes populaires, depuis quelques années, les partis d’extrême droite ont progressivement attiré un électorat plus féminin, tout en modifiant leur image auprès du public pour paraître plus modérés et plus légitimes». Pour les deux chercheuses, ces «nouvelles femmes de droite» utilisent la «cause des femmes» pour défendre une vision nationaliste et traditionnelle de la société. «Elles se positionnent en contraste avec les féministes de gauche souvent perçues comme « radicales » voire « hystériques ». Pour ces militantes d’extrême droite, ces figures incarnent un féminisme qui ne se préoccupe pas des « vrais » problèmes des femmes, tant il est imprégné de l’idéologie woke –transidentitaire, multiculturaliste et islamo-gauchiste (…). Leur combat est simple: défendre les droits des femmes blanches cisgenres, tout en essentialisant les hommes « extra-européens », perçus comme dangereux par nature».
Un fémonationalisme sur lequel s’est aussi penché François Debras (ULiège). Ce tournant, développe le politologue, s’est opéré à la fin des années 1990, début des années 2000, période durant laquelle l’extrême droite a adapté son vocabulaire et incorporé certains termes afin d’attirer un public plus large et plus féminin. «Il ne sera par exemple plus question de « races » mais de « cultures ou religions assimilables ou non-assimilables ».»
Cibler, plus que défendre
Une ambition qui passe aussi par la nécessité de se positionner sur certains sujets de société aussi sensibles que polarisants: la laïcité, la défense de l’Etat d’Israël, l’écologie, les droits des homosexuels et l’égalité hommes-femmes. «Autant de thèmes qui ne sont pas abordés dans des composantes « valorielles » mais utilitaires. Ils sont injectés dans un discours sécuritaire et nationaliste. Dans le cas de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, par exemple, il n’est pas question de solidarité ni d’entrer dans une nouvelle lutte, mais de désigner un bouc-émissaire, en l’occurrence l’étranger, l’immigré ou le musulman qui, selon l’idéologie d’extrême droite, ne respecterait pas cette égalité». Il est d’ailleurs intéressant de constater, souligne François Debras, que Marine Le Pen oppose un «féminisme institutionnel», dans lequel elle se reconnait, à un «féministe sauvage, de la rue», qu’incarneraient les collectifs militants féministes de gauche.
Le même procédé est utilisé pour traiter de la question de l’homosexualité. Un «homonationalisme» qui consiste à «intégrer dans les droits des homosexuels des valeurs nationalistes et un sécuritarisme permettant de cibler les personnes de confessions musulmanes qui (toujours selon l’idéologie d’extrême droite) ne respecteraient pas les droits des homosexuels». Un discours à géométrie variable qui ne s’applique pas aux personnes LGBTQIA+ et aux questions liées à l’identité de genre.
Les «sales connes», merci Brigitte?
La vidéo de quelques secondes, publiée sur le site de l’hebdomadaire Public, n’en finit pas d’alimenter les discussions sur les réseaux sociaux et de susciter les réactions outrées des collectifs féministes, d’actrices françaises engagées mais également de personnalités politiques françaises socialistes, écologistes et de la France Insoumise.
Dans cet enregistrement datant du 7 décembre, Brigitte Macron qualifiait de «sales connes» des militantes féministes du collectif #NousToutes qui avaient interrompu un spectacle de l’humoriste Ary Abittan, aux Folies Bergère, à Paris. L’humoriste a fait l’objet d’une enquête pour viol qui a abouti à un non-lieu. Une décision, confirmée lors de son procès en appel en janvier, qui n’est pas synonyme d’innocence mais d’absence de preuves suffisantes. Des propos qui surprennent par leur virulence, surtout lorsqu’ils sont prononcés par une femme d’un tel statut. Dans l’entourage de la Première Dame, celle-ci n’aurait pourtant que formulé «une critique de la méthode radicale employée» par le collectif #NousToutes.
En insultant les militantes féministes, Brigitte Macron rend-elle service à l’extrême droite? Participe-t-elle à la banalisation de son discours? «Je dirais que la banalisation est plus flagrante quand une personnalité comme Bruno Retailleau (le ministre français de l’Intérieur) valorise le combat de Nemesis, lui offrant une visibilité politique et médiatique», analyse François Debras.
Une banalisation qui ne toucherait pas que les partis politiques. Il existerait, selon le politologue, plusieurs chambres d’écho, parmi certaines institutions, les collectifs et les influenceurs d’extrêmes droite mais aussi certains médias. «Le nationalisme qui y est véhiculé est davantage défensif qu’agressif. Le message est qu’il faut protéger les identités et les traditions, se défendre contre les agresseurs en jouant la carte de la victimisation. Ces agresseurs désignés sont à la fois extérieurs (les immigrés, etc.) et intérieurs (le wokisme, la gauche féministe, les universitaires ou encore les journalistes). On est dans le fantasme d’une société homogène qui partage une même identité, culture ou tradition. L’objectif de ces chambres d’écho est aussi de forcer les autres formations politiques à se positionner sur les sujets polarisants et à les inciter les autres partis à utiliser le même langage que l’extrême droite.»




