Fatma A., épouse et sœur de djihadiste, témoigne de l’emprise de l’islamisme sur sa famille. Son ex-mari a été condamné à la perpétuité pour sa participation à l’attentat du 7 janvier 2015.
Le 17 septembre 2024, appelée à témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris au procès de son ancien mari Peter Cherif, poursuivi pour association de malfaiteurs à caractère terroriste en lien avec l’attentat contre Charlie Hebdo, Fatma A., au moment d’entrer dans la salle d’audience, fait une crise de panique, se réfugie dans les toilettes du palais de justice, et pense renoncer. Après s’être abandonnée à ses pleurs, elle retourne dans la salle d’attente des témoins, y rejoint son avocate et son nouvel époux qui lui lâche: «C’est maintenant ou jamais Fatma, tu vas le regretter si tu n’y vas pas. Il faut que tu témoignes.» A sa conseil, celui-ci explique aussi: «Depuis seize ans, elle a un point noir dans le cœur, il faut qu’il sorte. Elle ne peut pas le garder.»
«Allez, bouge-toi!», se dit Fatma. «La petite fille terrorisée s’efface devant la femme de 33 ans qui ne veut plus céder à la peur»: elle va dire aux magistrats de la cour ce qu’elle a subi comme violences, viols et séquestration dans une chambre de l’appartement de sa belle-mère dans le 19e arrondissement de Paris lorsqu’elle a été mariée religieusement à Peter Cherif en 2009, avant de le fuir au bout de quatre mois. Fatma A. avait alors 17 ans. Son témoignage va peser dans l’établissement de la personnalité de celui qui est soupçonné d’avoir recruté Chérif Kouachi au nom d’Al-Qaeda dans la péninsule Arabique (AQPA) pour commettre, avec son frère Saïd, l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
«C’est maintenant ou jamais Fatma, tu vas le regretter si tu n’y vas pas. Il faut que tu témoignes.»
Séparatisme islamiste
Mon frère, le djihad, Daech et moi, livre témoignage écrit avec l’autrice et réalisatrice de documentaires Magali Serre, est le récit de ce parcours de jeune fille musulmane soumise puis de résistante à l’islamisme dans un contexte inédit et singulier. Et pour cause, son mari en religion Peter Cherif a été condamné le 3 octobre 2024 à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans, sa culpabilité ayant été reconnue pour trois préventions: avoir été membre d’Al-Qaeda dans la péninsule Arabique, avoir participé à la détention de trois travailleurs humanitaires français au Yémen entre le 28 mai et le 13 novembre 2011, avoir recruté Chérif Kouachi. Et son frère, Boubaker El Hakim, est soupçonné, lui, d’avoir été mêlé à l’organisation des attentats des terrasses et du Bataclan le 13 novembre 2015 à Paris, depuis la Syrie où il était membre de l’unité des opérations extérieures de Daech et son plus haut cadre français. Il a été tué par un drone américain le 26 ou le 27 novembre 2016 à Raqqa, fief à l’époque de l’Etat islamique.
Boubaker El Hakim et Peter Cherif, c’est la rencontre entre une famille bercée par l’idéologie salafo-djihadiste (celle du premier dont la mère, la sœur Yasmina et les frères Redouane et Ali rejoindront la terre du Cham au plus fort de la puissance de Daech), les potes du quartier de la cité de la rue de la Moselle à Paris, et les membres de la filière des Buttes-Chaumont connue pour avoir envoyé des jeunes de France faire le djihad en Irak contre les soldats américains au milieu des années 2000. Le frère de Fatma A. et son mari y ont participé. Tous les deux ont aussi séjourné en Irak. Ensuite, ils ont suivi des trajectoires différentes, le premier au service de l’Etat islamique en Syrie, le second au Yémen comme militant d’Al-Qaeda dans la péninsule Arabique. C’est dans ce pays que d’autres retrouvailles d’anciens de la bande des Buttes-Chaumont s’opèreront, entre Peter Cherif et Chérif Kouachi. Ce dernier s’y est rendu en 2011.
Quand Fatma est mariée à l’ami de son frère, les deux hommes n’ont pas encore leur nom associé à ce qui représentera deux des plus sanglants attentats de l’histoire de France. Mais les germes de cette violence sont déjà présents. Mon frère, le djihad, Daech et moi décrit avec subtilité le glissement de la famille de la jeune fille dans l’entre-soi religieux sectaire. Fatma est retirée de l’école de la République à 11 ans, voit ses sorties limitées, subit la servitude d’être fille dans un foyer qui, en l’absence du père parti et avec la complicité de la mère admirative de son fils aîné, vit sous l’emprise de plus en plus radicale de Boubaker. Personne ne résistera à sa loi, hormis Fatma. «La terreur qu’il (NDLR: Boubaker) fait régner est telle que, pour s’en sortir, chaque membre de la famille joue sa partition dans son coin, n’hésitant pas à lui dénoncer les faits des uns et des autres», écrit Fatma A. «Une fois qu’il vous a convaincu et enfermé dans son univers, complète-t-elle, il faut ramer pour lui échapper. Alors, je rame.»
«Je perçois dans ses yeux une tristesse si profonde qu’elle me hante aujourd’hui et pour toujours.»
Islam et islamisme
Elle rame Fatma, mais elle trouve le courage de se soustraire à l’influence oppressante de Peter Cherif d’abord, de son frère, ensuite. Elle n’aura d’autre solution que de quitter sa fratrie et de se détacher de sa mère, épreuve douloureuse s’il en est, pour arriver à s’en sortir, presque seule. Quand, une dizaine d’années plus tard, elle pousse le courage jusqu’à témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris, elle est officiellement mariée, a deux enfants, et est libre. Car elle a compris avant les autres les ravages que l’islamisme djihadiste peut provoquer dans les familles et la société. «Il ne faut pas confondre l’islam avec ces personnes, lance-t-elle à la présidente de la cour le 17 septembre. Ces gens ont de la haine dans leur cœur, ils ne regardent le Coran que pour voir ce qui a un rapport avec la guerre. Où est la sagesse? Ces gens-là ne changent pas, ils aiment le crime.»
A l’issue de l’audience ce jour-là, Fatma A. reçoit les remerciements de deux victimes d’attentats islamistes. Le premier a perdu sa fille dans l’attaque du Bataclan. L’autre est le webmaster de Charlie Hebdo, Simon Fieschi, le premier à la rédaction du journal sur lequel les frères Kouachi ont tiré, et lourdement handicapé depuis. «J’aurais aimé donner à ces hommes qui ont tant souffert des réponses à leurs questions, avance Fatma. Je ne peux que serrer instinctivement Simon Fieschi dans mes bras et lui offrir mes larmes. Quelques minutes plus tard […], je l’observe remonter difficilement les marches du tribunal. Il se retourne soudain et nos regards se croisent une dernière fois. Je perçois dans ses yeux une tristesse si profonde qu’elle me hante aujourd’hui et pour toujours.» Simon Fieschi a été retrouvé sans vie dans une chambre d’un hôtel parisien le 17 octobre 2024. La cause de sa mort est pour l’heure inconnue.
Un dessin de Sanaga (France) paru en 2020, et publié dans Tenir la ligne.
Tracts Gallimard
Sauver un espace de liberté en état de siège
«Les pays où les dessinatrices et dessinateurs de presse s’expriment librement sont de moins en moins nombreux», énonce le caricaturiste français Kak. En tant que président de l’association Cartooning for Peace, il préface un numéro spécial de la collection des Tracts de Gallimard en hommage aux disparus des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en 2015, Tenir la ligne. 40 dessins pour Charlie (2015-2025) .
Entre les dictatures dopées par leur puissance croissante, les démocraties «dont les dirigeants glissent sans complexe vers l’autoritarisme et la censure, comme l’Inde de Modi, la Turquie d’Erdogan, ou encore la Tunisie de Saïed», et les autres «où la presse est encore libre, mais où les lignes rouges destinées aux dessinateurs se multiplient et se resserrent», la vie de dessinateur de presse est de plus en plus précarisée. Maigre consolation, Kak constate que l’Europe reste cette rare zone du monde où «nous avons pour l’instant conservé notre droit à l’irrévérence et la liberté des médias». Autant dire que le combat des dessinateurs réunis dans ce Tract, dont Vadot du Vif, est urgent et essentiel.
(1) Tenir la ligne. 40 dessins pour Charlie (2015-2025), par Cartooning for peace, Tracts Gallimard, 62 p.
Un dessin de Sanaga (France) paru en 2020, et publié dans Tenir la ligne.
Tracts Gallimard