En 2025, plus de huit médecins belges sur dix ont adhéré à l’accord médico-mutualiste. Le taux de conventionnement est particulièrement élevé en Wallonie, à l’exception du Brabant wallon. Seules certaines catégories de spécialistes optent pour une fixation libre de leurs tarifs, souvent par impératif de rentabilité.
Un véritable bras de fer. Fin 2024, les discussions entourant le nouveau budget pour les soins de santé avaient fait l’objet de vives crispations politiques. Plongés dans l’incertitude quant à leur avenir financier, certains médecins avaient alors envisagé de se déconventionner, c’est-à-dire de résilier leur adhésion à l’accord médico-mutualiste 2024-2025, qui fixe les tarifs et les remboursements des soins médicaux.
La menace ne semble finalement pas avoir été mise à exécution. Au total, 85,30% des médecins belges (généralistes et spécialistes) ont en effet souscrit aux termes de cet accord, qui court jusque fin décembre 2025. La tendance diffère toutefois fortement d’un arrondissement et d’une spécialité à l’autre, selon les chiffres-clés de conventionnement divulgués le 18 mars par l’Inami.
Sans surprise, ce sont surtout les généralistes qui sont les plus enclins à se conventionner. A l’échelle du pays, 91,83% d’entre eux appliquent les tarifs de la convention. Leurs patients doivent alors seulement s’acquitter du ticket modérateur, c’est-à-dire la différence entre le montant remboursé par la mutualité (différent selon son statut, BIM ou non) et les honoraires légaux. Chez les 8,17% de généralistes déconventionnés, le patient doit par contre payer de sa poche les suppléments d’honoraires éventuels.
Un pourcentage surrévalué
Du côté des spécialistes, ils sont 8 sur 10 (80,9%) à souscrire à la convention, pour 19,1% de refus. Cette différence s’explique notamment par les actes posés, qui sont généralement de nature plus techniques chez les spécialistes que chez les généralistes. «Or, ces actes sont parfois codifiés de manière insuffisante dans la nomenclature de l’Inami par rapport au coût réel qu’ils représentent», pointe Luc Herry, président de l’Absym Wallonie. Ces interventions nécessitent en effet l’équipement et les infrastructures adaptées, ainsi qu’une rémunération juste pour le prestataire de soins. «Dans certains cas, le prix de la consultation imposé par la convention est un peu trop juste pour couvrir l’ensemble des frais, donc les spécialistes préfèrent se déconventionner», résume Luc Herry.
A contrario, les généralistes sont globalement plus satisfaits par les termes de la convention, dont la tarification n’est «pas hyper mauvaise». Mais elle n’est pas parfaite pour autant. «Quand on compare l’évolution des honoraires des généralistes par rapport à l’inflation des coûts salariaux et des infrastructures, elle est bien moins rapide», déplore le président de l’Absym, qui craint pour l’attractivité de la fonction, pourtant cruellement en pénurie.
Le médecin rappelle d’ailleurs que les données fournies par l’Inami sont surévaluées. Alors que le conventionnement est automatique (seul un refus explicite signalé avant le 15 décembre engendre un retrait de l’accord pour l’année suivante), les chiffres officiels sont «artificiellement gonflés» par tous les prestataires de soins qui n’exercent pas dans le curatif, estime Luc Herry. «Ils englobent par exemple les médecins-conseils, les médecins qui travaillent à l’Inami voire même les médecins pensionnés, qui ne vont jamais faire la démarche de se déconventionner», note le président de l’Absym.
La Wallonie plus conventionnée
En dépit de leur imprécision, les données de l’Inami livrent toutefois des enseignements intéressants. A commencer par les disparités géographiques observables par arrondissement. Ainsi, le taux de conventionnement total apparaît globalement plus élevé en Wallonie (88,32%) qu’à Bruxelles (84,43%) ou en Flandre (83,74%). A l’exception du Brabant wallon (75,83%), l’ensemble des arrondissements wallons affichent un taux de conventionnement de plus de 80%. A Virton, Tournai, ou encore Dinant, plus de 9 médecins sur 10 appliquent même les tarifs de la convention. Les suppléments d’honoraires sont par contre beaucoup plus fréquents au nord du pays, surtout chez les spécialistes. Dans l’arrondissement d’Alost, par exemple, seul un spécialiste sur deux (54,77%) est conventionné.
Cette différence de tarifs se justifie notamment par la capacité contributive de la patientèle. «Face à une population qui a moins de moyens, se déconventionner est parfois complètement inutile car le patient ne pourra pas payer beaucoup plus cher que les tarifs fixés par la convention», note Luc Herry. Bref, si les suppléments d’honoraires sont plus fréquents à Lasne ou Waterloo qu’à La Louvière, c’est parce que la patientèle est prête à mettre le prix.
D’autant que depuis le 1er janvier, les personnes sous statut BIM (bénéficiaires d’intervention majorée) sont protégées contre les suppléments d’honoraires ambulatoires, c’est-à-dire en dehors de l’hôpital. Les médecins, même déconventionnés, sont ainsi obligés de leur appliquer les tarifs fixés par l’accord médico-mutualiste. «Si j’exerce dans une commune fortement précarisée, avec deux-tiers de la population sous statut BIM, il n’y a ainsi aucun intérêt à me déconventionner», illustre le président de l’Absym Wallonie. Une régulation qui entraîne des effets pervers. «Aujourd’hui, de nombreux spécialistes en formation s’enquièrent de la répartition géographique des statuts BIM, pour s’installer dans les communes où il y en a le moins et ainsi être libres d’appliquer leurs propres tarifs, regrette Luc Herry. C’est un non-sens total, qui va provoquer une pénurie de médecins là où il y en a justement le plus besoin.»
Les dermatologues insatisfaits
Enfin, les données de l’Inami révèlent d’importants écarts de prix selon les spécialités exercées. Ainsi, les oncologues (98,53%), anesthésistes (96,12%), radiologues (92,34%) ou encore pneumologues (93,03%) sont très nombreux à appliquer les tarifs de la convention. A contrario, chez les orthopédistes (54,32%), les gynécologues-obstétriciens (50,64% ou les ophtalmologues (37,29%), le taux de conventionnement dégringole. Une différence qui s’explique notamment par le lieu d’exercice: contrairement aux professionnels qui disposent de leur cabinet privé, les médecins exercant en milieu hospitalier sont tenus d’appliquer les tarifs fixés par l’hôpital, généralement basés sur la convention.
Mais c’est en dermatologie que ce pourcentage est le plus faible. Avec 277 dermatologues conventionnés sur 930 considérés comme actifs, le taux frise à peine les 30%. Un déconventionnement massif justifié par le manque de budget consacré par l’Inami au secteur. «En 2023, l’Inami évaluait à 105.000 euros le coût annuel d’un dermatologue, contre environ 200.000 euros pour un généraliste, s’indigne Béatrice De Donder, qui exerce à Jette. Notre secteur est complètement sous-évalué, or notre infrastucture et notre équipement coûtent extrêmement cher.» Sans financement adéquat, les professionnels n’ont d’autre choix que de répercuter les coûts sur le patient pour «assurer leur viabilité» et «répondre aux normes de qualité» imposées par l’Inami, insiste la docteure.