vendredi, décembre 5

La ministre Verlinden soumettra, mercredi prochain, un texte permettant d’élargir les raisons permettant la déchéance de nationalité pour personnes reconnues coupables de diverses infractions. La mesure, voulue par l’extrême droite depuis les années 1990, fait l’objet d’un consensus par tous les partis de la majorité.

L’Arizona est à la bourre! Le gouvernement fédéral espère faire passer un train XXL de réformes d’ici le 1er janvier 2025 et, parmi celles-ci, un texte de loi sur la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour crime organisé, d’homicide ou de faits de mœurs. Les textes internationaux interdisent qu’une déchéance de nationalité transforme un citoyen en apatride, le texte qui sera présenté en commission mercredi prochain par la ministre Verlinden ne concerne donc que les binationaux. Tant les avocats spécialisés que la Ligue des droits humains s’en émeuvent.

Aujourd’hui, la déchéance de nationalité ne peut être prononcée que pour des personnes condamnées pour faits de terrorisme. Le texte préparé par le cabinet Verlinden vise à élargir cette sentence «pour des faits de criminalité organisée dans laquelle la personne a joué un rôle décisif ou dirigeant ou pour homicide ou délit de mœurs, pour autant que la peine prononcée soit supérieure à cinq ans d’emprisonnement». De surcroît, en cas de condamnation pour terrorisme, le juge devra désormais se pencher automatiquement sur une probable déchéance de nationalité, ajoute le texte, qui évoque «la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, dans l’intérêt de notre sécurité nationale». Et si le juge décide de ne pas prononcer la déchéance, il devra le faire par un jugement spécialement motivé.

«Une méthode à laquelle ont recours Donald Trump et le Rassemblement National»

«Ce qui est particulier, avec ce texte de loi, c’est qu’il concerne des profils tout à fait différents, note Arnaud Rizzo, avocat au barreau de Bruxelles et président de la commission Justice de la Ligue des droits humains. Entre des auteurs de violences sexuelles, des membres d’organisations criminelles et des personnes ayant commis un homicide, ce sont des matières différentes. Judiciairement, on passe clairement un cap.» Selon lui, ce texte ne vise pas concrètement des auteurs de crime à qui il serait judicieux d’appliquer une peine maximale, mais plus aux binationaux. «Il s’agit d’un mouvement extrêmement dur, qui vise « l’étranger », et qui fait un lien entre ceux-ci et la sécurité publique. C’est une méthode à laquelle ont recours Donald Trump, ou le Rassemblement national, en France. A quoi ça sert, judiciairement? Quel est le message envoyé aux binationaux? Qu’ils ne seront jamais traités comme des Belges. Jamais la faillite et la responsabilité de l’Etat belge ne sont questionnées au travers de ce texte.»

Statbel n’offre pas de chiffres concernant la proportion de binationaux en Belgique, mais recensait, au premier janvier 2025, 2.619.289 Belges d’origine étrangère, dont 50% n’ont pas la nationalité belge comme première nationalité.

Le constat d’Arnaud Rizzo est particulièrement dur sur le fondement idéologique de la mesure. Sur sa forme, le Conseil d’Etat n’est pas spécialement plus doux. «Il a clairement indiqué que le projet de loi sur les questions de nationalité posait des questions de conformité à la Constitution puisqu’il manque de justification, note l’avocate Céline Verbrouck, spécialisée dans le droit des étrangers au cabinet Altea. La motivation des mesures proposées n’est pas assez étoffée. En clair, les dispositions sont problématiques sous l’angle des principes d’égalité et de non-discrimination.» L’experte note par ailleurs que la mesure, «mal pensée», obstruera un peu plus la justice «et créera des contentieux coûteux et chronophages».

«En 2015, on se demandait un peu où on allait en rouvrant le débat sur la déchéance de nationalité. Nous avons la réponse.»

Si les avocats du secteur, mais surtout le Conseil d’Etat, considèrent une certaine inutilité au texte, quel était l’objectif de l’Arizona en le soumettant à la Chambre, pour la deuxième fois cette année? Le cabinet Verlinden reste évasif. «Ce sont les accords conclus lors des négociations gouvernementales et qui ont été intégrés dans l’accord de gouvernement. Il va de soi que l’objectif est d’appliquer l’accord de gouvernement avec la plus grande rigueur.» Afin de libérer des places dans les prisons belges qui, pour rappel, sont surpeuplées? «Alourdir les peines ne permet pas pour autant de faciliter les expulsions, réfute Céline Verbrouck. Certains pays refusent de reconnaître la nationalité de leur ressortissant pour éviter de leur délivrer des laisser-passer. Ainsi, on ne vide en tout cas pas les prisons, ni le pays, d’étrangers délinquants. On ne répond pas non plus au besoin légitime de sécurité de la population par le fait de priver un binational de sa nationalité belge.»

Une mesure souhaitée par le Belang depuis des décennies

Se pose aussi la question plus politique de la mise en œuvre d’un tel texte. La N-VA avait fait une proposition de loi similaire en 2020, alors qu’elle siégeait dans l’opposition. Le MR a déjà affiché publiquement son soutien au texte. Le CD&V n’ira évidemment pas contre un texte de sa propre ministre. Contactée, la députée des Engagés Aurore Tourneur confirme qu’elle sera fidèle à l’accord de gouvernement. «Nous avons obtenu que la déchéance reste soumise à l’appréciation d’un juge, notamment pour les cas de terrorisme. Nous avons aussi veillé à ce qu’elle ne soit possible que pour des faits qui le justifient.» Sollicité également, le député Vooruit de la commission justice, Alain Yzermans, n’a pas répondu.

En Belgique, la déchéance de nationalité est l’héritage d’une longue histoire qui a pris un virage à l’époque des attentats. En juillet 2015, la loi est adaptée pour faciliter les déchéances de nationalité pour des cas de terrorisme. «A cette époque, on se demandait où on allait en rouvrant ce débat, se souvient Arnaud Rizzo. Nous avons la réponse.» Dans les années 1990, le Vlaams Blok (ancêtre du Vlaams Belang) rédigeait un programme en 70 points, frappé du sceau anti-immigrationniste et sécuritaire. La déchéance de nationalité pour ces cas de figure en faisait partie. Les visites domiciliaires, concernées par un texte qui sera soumis dans les prochains jours à la Chambre, aussi.

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