Prise d’assaut par les Russes, la petite ville d’Avdiivka est symptomatique de tous les maux de l’Ukraine. Le manque criant de munitions s’y fait sentir, alors que les hommes de Poutine bénéficient en parallèle d’un apport massif de la Corée du Nord. Si cette « famine d’obus » n’est pas résolue, « on pourrait assister à une effondrement d’une partie du front ukrainien dans quelques semaines », prévient l’expert militaire Tom Simoens (ERM).
Advienne que pourra. Le petite ville d’Avdiivka semble être condamnée à une capture russe. Proche de Donetsk (est), la localité souffre d’un manque criant d’obus et devient petit à petit le symbole du déclin de l’Ukraine sur le terrain. Si son importance stratégique reste mesurée, la prise d’Avdiivka pourrait forcer les Ukrainiens à se replier et s’aligner sur une partie du front. Sept questions au lieutenant-colonel Tom Simoens, expert militaire et historien à l’École Royale Militaire (ERM).
Tom Simoens, les assauts russes des derniers jours sur Avdiivka mettent à mal l’Ukraine. L’attaque est si puissante qu’elle a été qualifiée de « situation irréelle ». Comment l’analysez-vous ?
En réalité, ce qui se passe à Avdiivka fait partie d’une campagne russe qui a commencé début octobre, avec des grandes attaques mécanisées : chars, véhicules blindés,… Plus de 600 véhicules russes ont été éliminés ou immobilisés dans les alentours. Les Russes évitent la ville-même. A l’instar de Bakhmout, ils essaient de l’encercler par le nord et par le sud. Et ils y arrivent relativement bien. A l’heure actuelle, l’encerclement n’est pas total, mais presque. Ce qui rend le ravitaillement des soldats ukrainiens dans la ville extrêmement pénible.
A quel point l’effort russe sur Avdiivka est-il important ?
Ces derniers jours, on a en effet vu une accélération côté russe, durant laquelle ils ont réussi à pénétrer dans la ville par le nord. Tout se déroule en « phases ». Car tout dépend de la rotation des unités qui attaquent : certaines sont épuisées après un certain moment sur le front, puis remplacées par d’autres. Actuellement, les Russes occupent entre 15 et 20% du centre-ville.
Cette ville est devenue un symbole, mais c’est également un point très fortifié. Avdiivka est entre les mains des Ukrainiens depuis 2014 et s’est toujours trouvée sur la ligne de front : c’est pour cela qu’elle a été très renforcée. Il s’agit d’une petit ville (+- 30.000 habitants, quasi tous évacués), mais si les Russes s’en emparent, ce sera une victoire qui leur aura coûté très cher, à l’instar de Bakhmout. Car sur le long terme, cela ne leur servira pas à grand-chose.
Les Ukrainiens ont-ils été pris de court ?
Face à l’intensification de la campagne russe, le manque de munitions côté ukrainiens se fait fortement ressentir. La situation ukrainienne n’était déjà pas très favorable avant l’assaut russe. Car cela fait quatre mois qu’ils poussent au même endroit. Et à partir du moment où les tirs d’artillerie ne sont plus capables de soutenir les Ukrainiens, tout est compromis. Cette situation de rupture de munitions est souvent appelée « shell hunger », que l’on pourrait traduire par la faim ou la « famine des obus ». Cet aspect est devenu très préoccupant du côté ukrainien et joue un rôle majeur dans la probable perte d’Avdiivka. De plus en plus de pièces d’artillerie présentes sur le terrain n’ont tout simplement plus d’obus à tirer. Ils sont parfois condamnés à tirer des obus « fumigènes », car c’est la seule chose qui leur reste.
Cette situation de rupture de munitions, appelée « shell hunger », est devenue très préoccupante du côté ukrainien et joue un rôle majeur dans la probable perte d’Avdiivka.
Tom Simoens (ERM)
La perte de la ville semble être inévitable, car la seule possibilité dont dispose les Ukrainiens, c’est la défense. Parallèlement, les Russes sont prêts à accepter des pertes gigantesques pour cette ville. Les élections présidentielles en Russie jouent aussi un rôle : il faut quelque part une petite victoire pour Poutine.
Pour l’Ukraine, Avdiivka a-t-elle une importance stratégique supérieure à Bakhmout, par exemple ?
La situation autour d’Avdiivka me fait penser à la capture d’un petit village comme Passendale, présenté comme une grande victoire lors de la 1re guerre mondiale. Aujourd’hui, si vous passez dans ce village, vous vous demandez pourquoi il était si important, tant il est petit. A long terme, la prise de Passendale n’a rien apporté, et cela pourrait être identique pour Avdiivka et les Russes.
Si le manque de munitions et le manque d’hommes ne sont pas résolus côté ukrainien, on pourrait assister à un effondrement d’une partie du front dans quelques semaines/mois.
Tom Simoens (ERM)
Avdiivka serait donc avant tout une victoire symbolique, car les Ukrainiens ont l’air de vouloir la défendre jusqu’au dernier homme. Si leur défense est mise en échec, les Russes peuvent le vendre comme un exploit. Cependant, céder du terrain en infligeant des nombreuses pertes chez l’adversaire est tout à fait normal dans le milieu militaire. Ce n’est donc pas une grande catastrophe pour l’Ukraine. Le grand problème structurel, c’est le manque de munitions et le manque d’hommes. Si ces deux paramètres ne sont pas résolus, on pourrait assister à un effondrement d’une partie du front dans quelques semaines/mois.
Cela pourrait donc être décisif…
Tout dépend de la position russe par après. Les Russes ont pris Bakhmout depuis des mois, mais ils ne sont pas beaucoup plus loin. Donc, s’il n’y a pas de suite continue qui leur permet de pousser plus en profondeur, il est dur d’affirmer en quoi Avdiivka serait plus stratégique. Les Russes sont en train de créer un saillant dans les lignes ukrainiennes, ce qui va peut-être obliger les troupes de Zelensky de se replier afin de s’aligner. A l’est, d’autres situations sont similaires : à Koupiansk, à Kreminna,…
L’Ukraine a-t-elle sous-estimé les ressources russes ?
La guerre en Ukraine est devenue une bataille stratégique à long terme, d’usure, de résilience, de production. Quand les Ukrainiens ont été forcés de stopper leur offensive du printemps et de l’été, les Russes ont repris l’initiative presque directement. Ce qui est étrange. Car les Ukrainiens ont vendu leurs actions comme une guerre d’attrition, mais en réalité, l’armée russe n’est pas aussi usée que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Elle avait encore beaucoup de réserves. Ils ont d’ailleurs attaqué avec ces réserves-là.
La Corée du Nord approvisionne massivement la Russie, avec au moins 1 million d’obus. Cet apport est énorme. C’est grâce aux obus nord-coréens que les Russes ont maintenant une supériorité numérique de 10/1 au niveau des munitions.
Tom Simoens (ERM)
Donc, non seulement la contre-offensive ukrainienne n’a pas réussi à reconquérir beaucoup de terrain, mais en plus, ils n’ont pas réussi à saigner à blanc l’armée russe comme ils le prétendaient. Ce sont deux échecs conséquents.
Comment expliquer ce regain de forces côté russe ?
Et alors que les Ukrainiens manquent de munitions, dans l’autre camp, la Corée du Nord approvisionne massivement la Russie, avec au moins 1 million d’obus. Cet apport est énorme. C’est grâce aux obus nord-coréens que les Russes ont maintenant une supériorité numérique de 10/1 au niveau des munitions.