samedi, janvier 18

Renforcement des pouvoirs du président, politique extérieure au service de la sécurité des Etats-Unis, lutte contre le multilatéralisme: le deuxième mandat de Trump suscite des inquiétudes.

Le président argentin Javier Milei, son homologue salvadorien Nayib Bukele, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, le chef du parti français Reconquête Eric Zemmour et sa compagne, l’eurodéputée Sarah Knafo ou le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken… C’est une brochette de personnalités d’extrême droite ou de droite populiste du monde entier qui a été invitée à l’investiture du «nouveau» président des Etats-Unis, Donald Trump, le 20 janvier à Washington.

Ce n’est pas le seul signe des intentions du chef de la première puissance mondiale à l’aube de ce mandat. La composition de son gouvernement et du cercle de ses conseillers, ses menaces verbales sur la souveraineté du Canada, du Groenland ou du Panama, en lien avec le dossier du canal maritime, et le soutien de son conseiller emblématique Elon Musk aux partis d’extrême droite en Europe ont donné une coloration tirant fortement sur le brun au programme du locataire de la Maison-Blanche pendant les quatre prochaines années. D’autant que Donald Trump n’a jamais été aussi puissant pour en faire appliquer les principales lignes.

Directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des Etats-Unis à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, Romuald Sciora (1) analyse les enjeux de cette présidence pour les Etats-Unis et pour le monde.

La plupart des membres républicains de la Chambre des représentants doivent leur élection à Donald Trump: une promesse d’allégeance. © BELGA

Une légitimité sans égal

En quoi le Trump de 2025 a-t-il changé par rapport au Trump de 2017?

Romuald Sciora: Le Trump de 2025 n’a plus rien à voir avec celui de 2017. En 2017, Donald Trump était un homme plus ou moins issu des milieux progressistes. Il avait toujours été proche du Parti démocrate, pro-droits LGBT, pro-divorce, pro-avortement, etc. Par deux fois, il avait pensé à se présenter à la présidentielle pour les démocrates. Il n’avait pas été au bout de ses idées. En 2015, lorsque, sérieusement, il a décidé de franchir le Rubicon, il a une fois encore opté au départ pour se présenter chez les démocrates. Mais il s’est rendu compte que son électorat potentiel était du côté républicain. Alors, il a choisi ce parti. Tout cela pour dire que le Trump de 2017 n’avait rien d’un idéologue, n’avait pas de colonne vertébrale politique, et que, lorsqu’il a accédé au pouvoir, il était très mal entouré, essentiellement par des membres de sa famille, par des personnes très peu préparées à l’exercice du pouvoir comme son secrétaire d’Etat Rex Tillerson, et par quelques conseillers d’extrême droite, comme Steve Bannon, qui n’avait pas non plus une colonne vertébrale politique très solide. Bref, une présidence brouillonne. Les choses ont radicalement changé vers la fin de son premier mandat, et surtout, pendant les quatre années de celui de Joe Biden. Durant cette période, Donald Trump est devenu l’opposant numéro un du président sortant et l’incarnation de ce qu’il représente pour une majorité d’Américains: un homme politique de la droite radicale associé à des mouvements religieux ultra. Quand je parle de droite radicale, il est difficile de comparer avec des politiciens que nous pouvons avoir en Europe. Par rapport à Donald Trump, Eric Zemmour, en France, est un républicain classique du Grand Old Party aux Etats-Unis. Il n’a rien à voir avec ce qu’est aujourd’hui Donald Trump. Le président élu représente vraiment une droite ultra comme nous n’en avons jamais vu encore au pouvoir dans une démocratie occidentale. En parallèle, il a su s’entourer. Il a un programme très précis pour l’avenir des Etats-Unis, le fameux «Projet 2025» de la Heritage Foundation, qui a pour objectif de restructurer l’Etat fédéral qu’il juge, à raison, en déliquescence. Je partage le point de vue mais pas les propositions de remède. Il a également un projet de contre-révolution culturelle, antiwoke, déjà amorcée en Floride, en Louisiane, et dans plusieurs Etats du sud, essentiellement sous l’impulsion de Susie Wiles, sa cheffe de cabinet à la Maison-Blanche qui fut la principale collaboratrice du gouverneur de Floride, Ron DeSantis. Aujourd’hui, il est entouré de personnes d’un haut niveau intellectuel, très compétentes dans leur domaine, comme le vice-président J.D. Vance, un intellectuel pur et dur, ou Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’Etat, etc. Il a aussi un agenda très précis pour les relations internationales.

«D’ici à 2029, les Etats-Unis ressembleront plus à la Hongrie de Viktor Orbán qu’à l’Amérique de Kennedy.»

Donald Trump fait-il désormais partie de l’extrême droite, selon les critères européens?

Oui, je dirais même crypto-fasciste. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. Donald Trump est un homme d’extrême droite, entouré par des personnalités encore plus radicales que lui, notamment J.D. Vance. Il faut aussi avoir conscience qu’il bénéficie d’une légitimité comme aucun président dans l’histoire des Etats-Unis n’en a bénéficié, à part sans doute George Washington lors de ses deux mandats. Jamais un président n’a réussi un tel come-back. Ce n’est pas la première fois qu’un président est réélu après une interruption de quatre ans, mais jamais avec un tel dynamisme. Il maîtrise tous les leviers de pouvoir. Ce n’est pas non plus la première fois qu’un président a les deux chambres du Congrès, mais c’est la première fois qu’un président a un parti majoritaire autant à sa botte. Aujourd’hui, les républicains élus à la Chambre des représentants et au Sénat l’ont été à 80% grâce à Trump et lui sont totalement inféodés. Un Congrès à sa botte, une Cour suprême à sa botte, une légitimité due à un come-back extraordinaire, et, pour une majorité des Américains, l’aura d’un homme qui a survécu à «une fraude électorale massive» lors de l’élection de 2020 et, de manière héroïque, à deux tentatives d’assassinat…: on en est là. Jamais un président n’a eu une telle légitimité dans l’histoire des Etats-Unis.

Le Premier ministre du Groeland, Múte Bourup Egede, et la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, unis pour s’opposer aux visées de Donald Trump. © BELGA

Une concentration des pouvoirs

L’objectif du programme de Donald Trump, à travers le «Projet 2025», est-il de renforcer les pouvoirs du président aux dépens du Congrès et de la Cour suprême?

Oui. Le «Projet 2025», concocté par la Heritage Foundation avec de proches collaborateurs de Donald Trump, a pour objectif de restructurer l’Etat fédéral et de recentrer les pouvoirs autour de la Maison-Blanche. Dans les premières mesures qu’il prendra, Donald Trump envisage de se passer de l’approbation du Sénat pour la nomination de certains membres de son cabinet alors que, logiquement, il ne devrait pas rencontrer de problèmes. D’autres mesures moins symboliques seront prises. Certaines prérogatives du Congrès disparaîtront au profit de la Maison-Blanche. Une grande partie du pouvoir judiciaire entre les mains du Procureur général, qui traditionnellement est assez indépendant de la Maison-Blanche, se retrouvera entre celles du président. Trump a aussi un grand projet de restructuration des gardes nationales. Chaque Etat a une garde nationale qui dépend du gouverneur et qui peut être réunie avec celle des autres Etats dans une garde nationale américaine sous le commandement du président en cas de force majeure. Lui veut placer l’ensemble des gardes nationales directement et uniquement sous le commandement de la présidence afin de pouvoir la déployer de façon préventive. Tout cela a pour objectif de recentrer les pouvoirs à la Maison-Blanche. Je ne fais pas partie des alarmistes qui disent que les Etats-Unis se retrouveront sous une dictature d’ici à quatre ans. Imposer une dictature dans ce pays prendrait plus de temps. En revanche, je suis convaincu que d’ici à 2029, les Etats-Unis ressembleront plus à la Hongrie de Viktor Orbán qu’à l’Amérique de Kennedy ou d’Obama.

«Pour la première fois de l’histoire de l’Otan, un Etat membre menace d’annexer une partie du territoire d’un autre.»

Vous envisagez l’avènement d’une démocratie illibérale?

Oui. On pourrait se retrouver avec un régime semi-autoritaire avec toutes les ambiguïtés que présente un pouvoir à la Orbán. C’est une démocratie, il y a une liberté d’expression, mais… La différence entre les Etats-Unis et la Hongrie est qu’il n’y a pas de «protection européenne». Viktor Orbán est prisonnier de l’UE. Il ne peut pas non plus aller trop loin dans ses projets.

Romuald Sciora, chercheur associé à l’Iris. © DR

Attaques contre le multilatéralisme

Faut-il prendre au sérieux les déclarations agressives de Donald Trump sur le Groenland, le Canada, le canal de Panama?

Oui. Il faut les prendre très au sérieux. Rien n’est laissé au hasard. Les républicains ont une stratégie internationale qui est de déstabiliser et de mettre à bas ce qui demeure du système multilatéral mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Evidemment, il y a du bluff. Je ne pense pas que les Etats-Unis envahiront le Groenland sous Trump, même si on n’est jamais à l’abri d’une surprise. Pour autant, on n’a pas pris en Europe la mesure de la gravité de ses propos. Pour la première fois de l’histoire de l’Otan, un Etat membre, le plus puissant et un de ses fondateurs, menace un autre Etat membre d’annexer une partie de son territoire. On est passé dans une autre dimension. Imaginons que les Etats-Unis envahissent le Groenland, logiquement, les autres membres de l’Alliance, en vertu de l’article 5 de la charte de l’Otan, devraient porter assistance au Danemark et attaquer les Etats-Unis. Cela ne se passera pas. Néanmoins, Trump a mis à bas l’esprit même de l’Alliance atlantique. Il vient de porter un coup fatal, une fois de plus, au système multilatéral. Une autre chose n’a pas été assez mise en évidence. On est dans un basculement total de la rhétorique états-unienne. Jusqu’à présent, chaque fois qu’un président américain avait à justifier une intervention militaire extérieure, l’argument avancé était toujours de libérer des peuples et de propager la démocratie. Donald Trump ne s’embarrasse même plus de ce genre de rhétorique. Il y va cash: «Nous avons besoin du Groenland pour nos besoins économiques vitaux.» C’est la première fois depuis les années 1920 que l’on entend des dirigeants occidentaux parler d’espace vital et de besoins vitaux pour leurs relations. On est passé dans un tout autre univers.

«Il faut voir les choses telles qu’elles sont: l’Ukraine a perdu la guerre.»

La paix en Ukraine, à quel prix?

La paix en Ukraine façon Donald Trump pourra-t-elle survenir sans concessions importantes des Ukrainiens?

Ma mère est Ukrainienne. J’ai de la famille qui ne vit pas très loin du front. C’est un sujet qui me touche profondément. Mais il faut voir les choses telles qu’elles sont: l’Ukraine a perdu la guerre. Volodymyr Zelensky l’avait très bien compris lorsqu’en mars 2022, il souhaitait traiter avec Vladimir Poutine. C’est Boris Johnson et Joe Biden qui l’ont poussé à poursuivre cette guerre. Elle aurait dû cesser à l’automne 2022 lorsque l’Ukraine a marqué des points, ce qui était inespéré, et était en position de force pour aller à la table des négociations. Aujourd’hui, l’Ukraine est en train de perdre la guerre. La seule chose qui permettrait de retourner la situation serait l’envoi de troupes occidentales au sol. Evidemment, cela n’arrivera pas. Ce serait d’ailleurs de la folie. Tout règlement de la guerre en Ukraine se fera sur le dos de l’Ukraine. Selon la plupart des experts un minimum lucides, on devrait assister très rapidement à des pourparlers. Je ne serais pas étonné que tout soit réglé d’ici à l’été, en tout cas d’ici à l’automne. Pour plusieurs raisons. Primo, Donald Trump en a fait sa grande promesse de politique étrangère à ses électeurs pendant la campagne; il voudra tenir parole, avec en ligne de mire les élections de mi-mandat de 2026. Deuzio, le président américain élu sait très bien que s’il met un terme à la guerre rapidement, il sera considéré comme l’homme qui a sauvé le monde d’une guerre thermonucléaire, et la défaite sera mise sur le dos de l’administration Biden, ce qui est vrai, d’ailleurs. En revanche, si le conflit devait traîner jusqu’à la fin de l’année, la défaite pourrait être portée à sa responsabilité. Trump va tout faire pour que le conflit soit réglé très rapidement. La grande question est de savoir si on va assister à un traité de paix, ou plutôt à un conflit gelé, sur le modèle des Corées. Je tablerais davantage sur la deuxième hypothèse. Dans tous les cas, la Crimée et le Donbass resteront russes. Donc, une défaite pour l’Ukraine, mais pas une grande victoire non plus pour Poutine.

(1) Il publie L’Amérique éclatée. Plongée au cœur d’une nation en déliquescence, Armand Colin, 200 p.

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