La Vivaldi n’est pas parvenue à s’accorder pour réguler les dotations destinées aux partis politiques. Le constat d’échec de remise en question qui en découle « ne fait qu’approfondir le gouffre entre les politiques et les citoyens », estime la politologue Caroline Sägesser (CRISP). Au centre des tensions, une position de « juge et partie » qui dérange.
Une absence d’accord qui fait tache. Avec ses 34 recommandations, le panel citoyen We Need To Talk était bien décidé à inspirer les différents partis politiques à requestionner le montant d’argent public qui leur est destiné, et surtout la façon dont il est utilisé. Le projet a fait plouf, puisqu’aucune proposition majeure n’a finalement fait l’objet d’un accord au sein de la Vivaldi.
Les différentes discussions au sein de la Vivaldi, y compris entre les présidents des partis francophones Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) ont toutes débouché sur le même constat d’échec. Même si quelques rares députés, dont Kristof Calvo (Ecolo-Groen), Mathieu Bihet (MR) ou Khalil Aouasti (PS) ont estimé que les discussions devaient se poursuivre sur certains points. Insuffisant, en tout cas, pour dégager une réforme majeure.
Côté francophone, plusieurs partis ont bloqué un accord potentiel : « Le MR, le PS et Les Engagés ne semblent pas vouloir avancer sur cette question », déplore à la RTBF Isabelle Dresse, la porte-parole de We Need To Talk.
« Une très grande déception »
Pour la politologue et historienne Caroline Sägesser (CRISP), le fait que tous les partis soient d’accord pour ne rien changer à la façon dont leurs propres subventions sont utilisées est « une très grande déception. »
Sur le contenu, d’abord, le financement public des partis devait être réformé. Ce point était clairement stipulé dans l’accord de gouvernement. Alors que la fin de la législature approche, la promesse sera donc non tenue, sauf retournement de situation inattendu. « Le montant global –78 millions d’euros annuels– interpelle. Par rapport aux autres pays européens, il est extrêmement généreux, fait remarquer Caroline Sägesser. Mais il fallait surtout édicter des règles quant à l’utilisation de la dotation, prolonge-t-elle. Le gros point noir, donc, réside dans le fait qu’il n’y ait pas d’obligation quant à la façon dont les partis peuvent dépenser cet argent. »
La dotation annuelle de 78 millions d’euros est très généreuse par rapport aux autres pays européens. Mais le gros point noir réside surtout dans le fait qu’il n’y ait pas d’obligation quant à la façon dont les partis peuvent dépenser cet argent.
Caroline Sägesser (CRISP)
Plus particulièrement, le fait qu’aucune limitation concernant les publicités sur les réseaux sociaux n’ait été imposée déçoit bon nombre d’observateurs. « Tout comme le fait qu’on n’ait pas prohibé des investissements à caractère immobilier », ajoute la spécialiste, qui vise ici implicitement les supposés agissements de la N-VA en la matière.
Dotation pour les partis politiques: faire vivre la démocratie Vs se constituer un trésor de guerre
A la base, cette dotation aux partis politiques « est octroyée pour faire vivre la démocratie », rappelle Caroline Sägesser. Elle doit donc, en théorie, servir à payer du personnel, mettre en place un centre de recherches, ou encore louer des locaux. « Mais elle n’est pas destinée à se constituer un trésor de guerre, insiste la politologue. L’impératif était donc de réformer ce système qui, à la base, était positif. Le fait que les partis soient financés par de l’argent public et non des dons privés est une bonne chose, rappelle-t-elle. Mais l’affectation de l’argent, et éventuellement le montant global, devaient être revus. »
La dotation est destinée à faire vivre la démocratie, pas à se constituer un trésor de guerre.
Caroline Sägesser (CRISP)
Selon la politologue, il serait aussi bon pour la démocratie que la part fixe de la dotation soit plus importante par rapport à la part variable. « De cette manière, on réduirait l’écart entre ce que reçoit DéFI et la Vlaams Belang, par exemple. » En définitive, si tous ces aspects ont été évoqués, aucun d’entre eux n’ont été réellement traités. « Tous les astres semblaient réunis pour faire aboutir une réforme qui n’aura finalement pas lieu », regrette Caroline Sägesser.
Partis politiques: « Fais ce que je dis, pas ce que je fais »
Le deuxième volet qui préoccupe la membre du CRISP réside dans le fait que l’ensemble des partis politique ont complètement ignoré les recommandations formulées par ce panel citoyen. « C’est grave, estime-t-elle. A tous les niveaux de pouvoir, le politique est plutôt d’accord d’investir dans des dispositifs de démocratie participative. Mais lorsqu’un dispositif citoyen fonctionne bien et amène des propositions constructives pour les partis eux-mêmes, le politique n’en fait rien. C’est désastreux et cela ne fait qu’approfondir le gouffre entre les politiques et les citoyens. »
Par ailleurs, si des limites sont fixées pour les dépenses dans le cadre de la campagne électorale (à partir de quatre mois avant les élections), il n’y en n’a aucune pour le reste du temps, soit la grande majorité de la législature.
Juge et partie
Le fait que les politiques soient à la fois juges et parties pour déterminer leur propre dotation est grandement problématique, épingle Caroline Sägesser. « Idéalement, une commission extra-parlementaire devrait se charger à la fois des décisions, mais aussi du contrôle qui en découle. En d’autres termes, il faudrait un organe indépendant pour vérifier les comptes des partis. Le parlement restant souverain, la condition serait donc que les partis s’accordent aussi sur cette potentielle commission. » C’est le serpent qui se mord la queue.
Par ailleurs, ce non-accord intervient à la fin d’une législature qui a vu naître plusieurs scandales financiers : les dépenses du parlement wallon, les pensions des députés retraités au fédéral, ou encore le Qatargate. « L’opinion selon laquelle la classe politique est un entre-soi où l’on s’en met plein les poches est encore renforcée. Ne pas considérer une réduction raisonnable de l’argent qui est alloué aux partis politiques envoie un très mauvais signal », avance la politologue.
Un accord « aurait grandi le politique ». Au contraire, « ne pas trouver de consensus est d’un très mauvais effet. Le message final donné est ‘ce n’est pas grave si on ne fait rien’. Ne pas prendre conscience qu’il était tout de même intéressant de dégager un accord, même moins ambitieux et rejeter la responsabilité sur ses collègues, c’est un spectacle désastreux », fustige-t-elle enfin.