Dans les magasins de bricolage, certains produits alimentaires ont pris une place de choix. Jusqu’à dépasser les articles traditionnellement vendus par ces enseignes: les boissons vendues par Coca-Cola représentent la meilleure vente de Brico, Hubo, Oh’Green et consorts.
Les portes automatiques s’ouvrent. Dans l’entrée, l’œil des clients de Hubo Bricolage est attiré par une dizaine de palettes de sodas. Sur l’une d’elles, une pancarte épingle une offre «imbattable», imprimée en gros caractères rouges sur fond jaune. Le lot de 24 cannettes de Coca-Cola Regular est affiché à 16,99 euros «jusqu’à épuisement du stock». Des sodas à prix cassé dans un magasin de bricolage? L’enseigne n’est pas la seule à s’adonner à cette pratique. Sur le site Internet des jardineries Oh’Green, le lot de 24 cannettes de Coca-Cola Zero, cette fois, est vendu à 14,99 euros. Moins cher que chez Colruyt ou Delhaize! «J’ai remarqué que le prix des packs de Coca-Cola était plus bas que dans les supermarchés, mais je ne les achète pas, car l’assortiment est limité», commente Vincent. Véronique, de son côté, «n’arrive pas à résister» face aux bonbons présents chez Brico. «Il m’arrive de craquer pour une barre chocolatée, pour avoir un boost d’énergie dans ma journée, glisse Cécile, une autre cliente ponctuelle. On peut parler d’achat impulsif, mais ce n’est jamais que deux euros…»
«C’est une stratégie bien réfléchie, commente Gordy Pleyers, professeur de marketing à la Louvain School of Management (UCLouvain). Ces enseignes veulent provoquer un achat imprévu, déclenché par une envie immédiate chez les consommateurs, liée aux émotions et au plaisir.» Softs, friandises, barres chocolatées et chips sont les plus sollicités. «Ces produits sont faciles à consommer, peu coûteux et permettent d’augmenter le panier moyen sans gros efforts marketing ou logistiques, détaille Sandra Rothenberger, professeur de marketing à la Solvay Brussels School of Economics and Management et au Solvay Impact Institute (ULB). Ils présentent des marges relativement intéressantes et une rotation rapide. Ils permettent en outre d’attirer une clientèle plus large, en fidélisant certains profils qui apprécient de tout trouver sur place.»
L’objectif? «Augmenter le panier moyen sans gros efforts marketing ou logistique.»
Améliorer l’expérience
«On appelle cela le phénomène du « basket builder« , précise Amaury Marescaux, expert Foodservice et CEO de Gondola Foodservice. Les articles de bricolage ou de jardin amènent des clients, susceptibles de réaliser des achats supplémentaires qui gonflent le ticket de caisse par la suite.» «D’autant que les magasins font souvent des marges plus élevées sur les bonbons que sur les produits de bricolage, complète Gordy Pleyers. Ces enseignes ont opté pour la même stratégie que les supermarchés, ajoute-t-il: placer les petits plaisirs sucrés à proximité des caisses. «Les positionner dans une zone d’attente permet d’attirer l’attention des consommateurs en dernière minute.»
En plus d’augmenter leurs marges, la tactique permet à Hubo, Brico et consorts d’améliorer l’expérience vécue en magasin. «Ils la rendent plus émotionnelle, moins austère comparée à l’aspect purement utilitaire qu’implique généralement un magasin de bricolage», poursuit Gordy Pleyers. «Ils prolongent aussi le temps passé par les clients en magasin», enchaîne Sandra Rothenberger. «Et c’est un gain de temps pour les professionnels du bâtiment, qui ne doivent pas passer dans une autre boutique pour acheter leur pack de sodas», glisse Amaury Marescaux. D’après le cofondateur de Gondola Foodservice, les boissons du groupe Coca-Cola sont les produits les plus vendus, devant tous les articles de bricolage et de jardin, toutes enseignes confondues…
Entre deux clients, une caissière du Hubo visité confirme le succès de la stratégie: «Je dirais qu’une personne sur cinq achète des bonbons à la caisse.» Même son de cloche au rayon cuisine chez Oh’Green: «Il y a de la demande pour les produits alimentaires.» Qu’en est-il chez Brico? «Je suis étonnée de voir à quel point le Red Bull et les jus Capri Sun partent comme des petits pains», précise une vendeuse.
De 0,5% à 5% du chiffre d’affaires
En Belgique, les produits alimentaires présents dans les magasins de bricolage pèsent entre 100 et 150 millions d’euros, avance Amaury Marescaux, pour qui «cela reste significatif». Sandra Rothenberger estime que l’activité représenterait moins de 5% du chiffre d’affaires global de ces enseignes. Le gérant d’un magasin Brico estime plutôt que ce poste de recettes «ne se chiffre pas à plus de 0,5% de notre chiffre d’affaires annuel».
Mais comment les enseignes de bricolage et jardinerie parviennent-elles à proposer des produits alimentaires avec un tel rabais? Brico, Hubo et Oh’Green n’ont pas répondu à nos questions. «Opportunistes, ces enseignes parviennent à les obtenir moins chers via des sources alternatives, selon une source bien informée. Elles ont moins besoin de gros volumes que les supermarchés, et peuvent garantir la disponibilité des produits en rayon.» «Les enseignes de bricolage peuvent négocier de grands volumes ou acheter en déstockage, parfois proche de la date limite de consommation», avance Sandra Rothenberger. D’après la professeure en marketing, l’avantage pour les grandes marques comme Coca-Cola réside dans le fait d’écouler leurs surproductions, ou d’ajuster leurs stratégies de prix selon le type de point de vente.
Reste à savoir si, avec la présence de ces produits alimentaires dans les rayons, les magasins de bricolage chassent sur les terres des supermarchés et des épiceries. «Cette pratique n’entame pas le chiffre d’affaires des magasins alimentaires, estime Gordy Pleyers. Les supermarchés et les épiceries restent la destination principale des consommateurs pour faire leurs courses. » Une source anonyme, active dans le secteur du bricolage depuis 20 ans remet l’église au milieu du village: «Au printemps, les grandes surfaces alimentaires misent bien, elles, sur les produits de bricolage/jardinage pour développer leur chiffre d’affaires…»
Nathan Scheirlinckx