samedi, décembre 28

Souvent présenté comme «en pleine expansion», le secteur du jeu de société va voir sa première école belge ouvrir l’an prochain à Bruxelles. Board Game Campus promet de faire découvrir à ses élèves la diversité des métiers du milieu. Et, peut-être plus important encore, de les aider à remplir leur carnet d’adresses. De quoi leur donner le sésame pour vivre de leur passion? Percer dans le jeu de société reste très difficile.

«Créez les jeux de demain». La promesse affichée sur le site de Board Game Campus est ambitieuse. Les inscriptions à cette première école belge dédiée à la création et à l’édition de jeux de société débuteront en janvier, avant une rentrée prévue neuf mois plus tard.

À l’initiative du projet, Tanguy Gréban, actuel directeur éditorial de Repos Productions, une maison d’édition belge à succès (Time’s Up !, 7 Wonders), rachetée il y a cinq ans par le mastodonte français Asmodee. «Le milieu est en constante évolution, mais c’est d’autant plus vrai depuis quelques années», fait-il valoir.

Le secteur du jeu de société recouvre une multitude de métiers: auteur, illustrateur, développeur, chef de projet, éditeur, etc. Chacun requiert des compétences bien spécifiques. En 800 heures de cours réparties sur une année, Board Game Campus va tenter de faire toucher à tout. En visant large, l’école ne risque-t-elle pas de ne rester qu’en surface?

«Il est évident que les métiers d’auteur, de développeur et d’éditeur sont totalement différents, répond Tanguy Gréban. C’est comme au football: joueur, entraîneur et directeur sportif n’ont pas le même rôle. Ici, l’objectif est de permettre aux élèves d’obtenir une vision globale de la chaîne du jeu puis de se spécialiser dans ce qu’ils préfèrent.»

Transformer sa passion en métier: pas une sinécure

Ce diplôme permettra-t-il pour autant de se faire une place plus facilement dans le milieu? «Je ne peux pas certifier que tous les diplômés trouveront du boulot dans le jeu de société, concède Tanguy Gréban. Mais le secteur engage de plus en plus et on peut lancer sa propre boîte sans nécessairement déployer de gros moyens.»

Xavier Georges est un auteur namurois à succès. En une quinzaine d’années, il a réussi à faire éditer dix jeux de société. Il n’a toutefois jamais essayé d’en vivre. «Tenter de se professionnaliser comme auteur peut être très frustrant, confie-t-il. On n’a aucune garantie en termes de salaire. On peut simplement compter sur les droits d’auteur, qui restent une source de revenus très incertaine.»

«Les auteurs francophones qui vivent du jeu se comptent sur les doigts d’une main, confirme Boris Krywicki, vidéaste et journaliste spécialisé dans le jeu. Certains font tout ce qu’ils peuvent pour y arriver et, malgré le succès de certains jeux, ils galèrent à dégager un Smic

Il y a trop de jeux sur le marché. Forcément, beaucoup ne rencontrent pas leur public

Boris Krywicki

Vidéaste et journaliste spécialisé dans le jeu

La voie semble d’autant plus aventureuse que le statut de freelance a le vent en poupe. «Certaines grosses structures offrent des postes stables, tandis que d’autres plus petites fonctionnent avec une poignée d’employés tout-terrain. Mais la majorité se basent désormais sur une dynamique plus souple, en engageant des indépendants sur des projets bien spécifiques», détaille Tanguy Gréban.

Gare aussi à l’effet de mode. Si le secteur est foisonnant, il n’a pas pour autant les reins très solides. «Il y a eu un gros engouement pendant le confinement, avec des ventes qui ont décollé, observe Boris Krywicki. Les éditeurs ont pris ça pour acquis et ont signé énormément de jeux. La preuve au salon d’Essen, où l’on compte désormais plus d’un millier de sorties chaque année. Résultat: il y a trop de jeux sur le marché et, forcément, beaucoup ne rencontrent pas leur public.»

L’indispensable carnet d’adresses

S’il est peut-être en train de se brûler les ailes, le secteur du jeu de société avance indéniablement. Et ce, sans avoir d’école dédiée. En quoi la création d’une structure telle que Board Game Campus peut-elle être nécessaire?

«Lorsqu’elles recrutent, les sociétés reçoivent énormément de CV, explique Tanguy Gréban. Mais il faut distinguer les personnes qui aiment jouer de celles qui ont une véritable culture du milieu et de tous ses enjeux. C’est ce qu’on va essayer d’offrir à nos élèves.»

En outre, Board Game Campus affiche sur son site une liste d’une trentaine de personnalités du monde ludique qui interviendront au cours de l’année. «J’ai essayé de refléter la diversité du milieu. Il y a des noms très connus, comme les auteurs Bruno Cathala et Théo Rivière, mais aussi des éditeurs et des distributeurs. J’ai également fait appel à des profils de niche et à de nouveaux acteurs qui peuvent apporter une autre vision», détaille son fondateur.

Le réseautage est sans doute ce qui m’a le plus manqué

Xavier Georges

Auteur de jeux de société namurois

C’est peut-être là que réside le principal atout de l’école: le réseautage. «C’est sans doute ce qui m’a le plus manqué, moi qui suis un parfait autodidacte, note Xavier Georges. Rencontrer des gens qui ont des projets complémentaires aux vôtres crée une émulation. C’est fondamental dans ce milieu, composé en très grande partie de passionnés d’abord là pour créer du lien social.»

Le casting de Board Game Campus laisse toutefois Boris Krywicki perplexe. «C’est très éclectique, analyse-t-il. Sur le papier, c’est un beau projet, mais il faudra que les planètes s’alignent pour que la recette fonctionne, car une école est censée être très structurée. Ma crainte est que cela s’assimile davantage à des cycles de conférences. Il faut aussi s’assurer que les intervenants puissent faire preuve de pédagogie.»

Tanguy Gréban reste confiant. «On va faire du compagnonnage, avec énormément de pratique. Les élèves ne vont pas ingurgiter des connaissances passivement: ils vont véritablement apprendre aux côtés des professionnels.»

Les stages s’inscrivent dans cette optique puisque les élèves accompagneront des éditeurs sur des festivals. «Pas mal de mes collègues ont débuté en donnant un coup de main sur un stand. C’est là que beaucoup de contacts peuvent se nouer», souligne-t-il.

Certaines maisons d’édition vont jouer le jeu

Précision importante: Board Game Campus est une école privée, dont le diplôme ne sera pas reconnu par la Fédération Wallonie Bruxelles. Non subsidiée, elle demande un minerval à hauteur de 7.500 euros.

Pour y rendre l’accès moins onéreux, certaines maisons d’édition parraineront des élèves et paieront une partie des droits d’inscription. «Une société m’a déjà dit qu’elle comptait financer une élève afin de promouvoir la mixité, qui est un problème de notre secteur, annonce Tanguy Gréban. Personnellement, je pourrai aussi chercher de potentiels soutiens pour certains élèves. Par exemple, si j’ai un candidat québécois, je proposerai à des maisons canadiennes de l’aider.»

Pour sa première année, Board Game Campus accueillera douze à 16 élèves. «Cela ne sert à rien de viser plus haut étant donné que l’on souhaite leur offrir le suivi le plus personnalisé possible», explique son fondateur.

Les candidats devront fournir un dossier et passer un entretien pour prouver leur motivation. «Je m’attends à voir de jeunes passionnés qui sortent de secondaires, mais aussi des quadragénaires bien établis qui peuvent se permettre de tenter de réorienter leur carrière vers leur passion. La majorité des candidats devraient toutefois être des jeunes qui sortent d’études qui leur ont plu mais qui veulent se spécialiser dans le jeu de société. Cela peut être des graphistes tout comme des comptables.»

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