Un rapport secret sur la défaite de 2024 a été présenté au Conseil de fédération d’Ecolo en mars dernier. Il incrimine la coprésidence de Jean-Marc Nollet (surtout) et de Rajae Maouane.
Cinq rapports confidentiels ont été présentés au Conseil de fédération, le parlement interne d’Ecolo, le 22 mars dernier. Chacun portait sur un des cinq chantiers lancés à l’automne par les verts pour leur processus de refondation. Il y en a un sur lequel le parti a communiqué, qui présentait les résultats de «l’enquête populaire», lors de laquelle 18.500 citoyens ont été sondés. C’est le fameux «on a merdé» professé par le nouveau coprésident écologiste, Samuel Cogolati. Les quatre autres ont été si confidentiels qu’il a fallu plus de trois semaines au Vif pour se les procurer.

Chaque page de ces documents est marquée d’un filigrane numérique, pour que leur publication soit impossible sans en dévoiler la source. Un des cinq rapports secrets, le plus intéressant, intitulé «Analyse interne de la défaite d’Ecolo 2019-2024», déplore d’ailleurs ces fuites traumatisantes. «De nombreuses fois, des informations confidentielles se sont retrouvées dans la presse. Cela a nourri un sentiment de méfiance envers les instances du parti et a contribué à saboter les lignes de communication interne et à renforcer une logique de travail en silo et déconnectée des bases», peut-on lire à la page 54. Ce rapport, dit de «chantier interne», est le document central, la base de la refondation écologiste. Il est censé examiner les causes de la défaite de 2024, et proposer des pistes pour cette refondation.
Ses auteurs (l’ex-échevine Anaïs Camus, les anciens députés Jean-Philippe Florent et Hélène Ryckmans, le sociologue et ancien membre Abraham Franssen, l’ex-cheffe de cabinet Aurélie Mahoux, le conseiller à Etopia, le Centre d’animation et de recherche en écologie politique, Jonathan Piron et Loïc Nagant, collaborateur au parti), réunis dans un comité de pilotage, ont récolté près de 1.200 réponses, à partir d’un questionnaire numérique, mais aussi d’entretiens avec une cinquantaine de «personnes clés du parti», et de rencontres dans les sections régionales, de fin novembre à fin mars. Les trois autres rapports secrets, communiqués au Conseil de fédération (un sur la communication, un sur les autres partis verts européens et un sur les rapports d’Ecolo avec la société civile) le complètent. Il compte 64 pages et est spécialement ravageur pour la précédente direction d’Ecolo, parfois paradoxalement d’ailleurs puisque Jean-Marc Nollet, surtout, et Rajae Maouane, mais beaucoup moins, sont simultanément accusés d’avoir imposé leurs vues au parti et de ne pas lui avoir fait suivre une ligne assez claire.
Les «évolutions externes»
Avant d’aborder les erreurs d’une formation qui a trop veillé à satisfaire ses cadres et ses militants plutôt qu’à réfléchir à conserver et convaincre des électeurs, le comité de pilotage s’est penché sur des évolutions externes «subies à contre-courant», comme la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Mais aussi et surtout sur «l’impact des stratégies politiques des autres partis». Il y eut le MR, «structuré et agressif», qui a fait d’Ecolo «sa cible privilégiée», rendant compliqué, «voire impossible de jouer la triangulation entre le PS et le MR au sein des gouvernements». Il y eut Les Engagés, dont la sous-estimation aura été une «erreur stratégique»: «En fin de campagne, quand J-M. Nollet dit que le danger c’est Les Engagés et qu’il faut sortir avec les personnalités les plus centristes, c’est vu comme un gros mot. Les gens à gauche sont sortis contre cela» dira, plus loin, une anonyme «personne clé du parti». Il y eut la «relation toxique» entretenue avec le PS. Et il y eut le PTB qui «nous a souvent entraînés sur son terrain»: «En voulant répondre aux attentes d’une gauche plus contestataire, nous avons perdu en clarté», résume le rapport, qui cite notamment la séquence sur le décret Paysage. Ce dernier, est-il écrit plus loin, «illustre une prise de position éminemment contre-stratégique: à un moment critique, à la veille de la campagne électorale, sans qu’il soit en phase avec les orientations stratégiques définies par le parti et tactiquement en s’associant au PTB». La responsabilité de Jean-Marc Nollet est, sur ce dossier, très lourdement soulignée: «A l’exemple désastreux du décret Paysage, il ne suffit pas de prendre des positions qui font plaisir en interne, s’adressant à des minorités actives au détriment de l’adhésion populaire.»
La «difficile gestion» des participations
Ecolo était au pouvoir partout et s’est fait démonter partout, alors que «plusieurs interlocuteurs soulignent la qualité de la préparation des participations gouvernementales». Les auteurs du rapport secret égrènent des dossiers difficiles. Du nucléaire («les quelques voix discordantes qui, en interne, appelaient à plus de prudence, n’ont pas été entendues») aux inondations («Ecolo semble ne pas avoir mesuré l’ampleur des déceptions et frustrations des habitants»), en passant par le «logogate» qui fit démissionner Sarah Schlitz, les PFAS qui mirent Céline Tellier en danger, la plan de mobilité bruxellois Good Move, et les signes convictionnels à la Stib («L’obstination avec laquelle nous avons bataillé sur ces dossiers, sans aucune stratégie politique d’atterrissage, contre l’opinion publique, nous a certainement coûté très cher sur le plan électoral.») Sans oublier l’exemplatif et emblématique décret Paysage, dans lequel «tous les éléments d’un suicide politique étaient réunis».
«S’il y avait une stratégie, nos propres troupes ne la suivaient pas.»
Finalement, la loyauté des verts, «plus vivaldistes que les autres» leur a coûté. «Attaché à mettre en œuvre les feuilles de route des accords de gouvernement, Ecolo s’est comporté en « bon élève » des majorités tout en étant la « tête à claques de ses partenaires« , parfois énervés par notre jusqu’au-boutisme et n’hésitant pas à attaquer de l’extérieur lorsqu’ils voyaient un bénéfice politique», observent les auteurs. Et c’est la conséquence de décisions stratégiques venues de la coprésidence, qui organisa notamment la gestion du parti par des G9 hebdomadaires avec les ministres et les chefs de groupe de chaque niveau de pouvoir. «ll ressort des interviews le sentiment d’un parti qui n’a vécu que pour ses participations au détriment de sa vie politique interne», lit-on à la page 27. «Dès lors que la direction d’Ecolo s’est fortement identifiée à l’action au sein des exécutifs –Jean-Marc Nollet apparaissant comme le « vice-Premier ministre » de tous les gouvernements– au détriment de la fonction d’animation et de proposition d’Ecolo, la sanction électorale, aussi injuste soit-elle, était inévitable», conclut ce chapitre.
Les suivants seront encore plus rudes envers la précédente direction écologiste.
La «véritable direction du parti»
La stratégie mise en place par Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane à leur élection en 2019 a péché doublement, selon les auteurs. D’une part, parce qu’elle n’était pas bonne en elle-même, par exemple «le positionnement sur l’accélération de la transition en 2023 alors que les préoccupations des électeurs portaient sur le pouvoir d’achat». D’autre part, parce qu’elle n’était de toute manière pas suivie. «S’il y avait une stratégie, nos propres troupes ne la suivaient pas.» Un élément, qui ressort également des rapports sur la communication et sur la société civile, a trait à «l’éparpillement des thématiques» hors de la centralité écologiste sur l’environnement, et contre lequel, paradoxalement, Jean-Marc Nollet a beaucoup lutté: «Le fait que des figures importantes du parti communiquent et soient identifiées sur des sujets de points (droits LGBTQIA+, migration, écriture inclusive…) ont amené l’électorat à identifier Ecolo en priorité sur ces thématiques et non plus sur celles qui touchent leurs préoccupations ou sur celles qu’Ecolo s’était choisies.»
Mais c’est surtout la manière de fonctionner de la coprésidence que critique le rapport secret. Le secrétariat fédéral, qui compte les deux coprésidents et le secrétaire politique Mohssin El Ghabri, qui a démissionné en novembre 2023, y est accusé, sous la tutelle puissante de Jean-Marc Nollet, d’avoir accaparé tout le pouvoir. «Ceci n’est pas un secrétariat fédéral, c’est un hyperprésident», lit-on même dans un titre. Les lointaines décennies anarchisantes des directions collégiales écologistes sont révolues. Et «la période écoulée a en effet marqué une étape supplémentaire avec un « secrétariat fédéral de façade » et l’avènement d’un hyperprésident». Même si une précaution liminaire exonère ceux qui, en 2019, élurent les deux élus. «Il faut rappeler qu’au moment de son élection comme coprésident d’Ecolo, Jean-Marc est largement apparu comme la meilleure des options. Qui d’autre avait la volonté, l’expérience, la compétence et l’endurance pour assumer cette responsabilité au moment où Ecolo était déjà engagé dans des négociations postélectorales?», pose le rapport, avant de constater l’effacement de Rajae Maouane, repliée «sur la communication du parti sur les réseaux sociaux» et à Bruxelles «sans pour autant y être la seule leader». La véritable direction était tenue par Jean-Marc Nollet et Mohssin El Ghabri qui, «en binôme et à huis clos élaboraient la stratégie, les positions d’Ecolo et le pilotage des participations».
Compte tenu des tendances accaparatrices de cette «hyperprésidence», les autres organes du parti ont mal ou peu fonctionné. Même les G9 «ne se sont pas toujours avérés être les instances d’arbitrage attendues, mais plutôt des instances d’information ou de validation de décisions prises ailleurs, par la direction politique du parti ou les ministres». Le bureau politique ne fut qu’un «lieu d’entérinement de décisions prises ailleurs», et le Conseil de fédération, parlement interne composé de militants mais pas d’élus, a été marginalisé.
Le bureau politique ne fut qu’un «lieu d’entérinement de décisions prises ailleurs».
Que faire?
En quelques pages, les germes d’un nouveau récit écologiste sont plantés. Il faut aux verts «une stratégie unique et un récit politique clair», qui les sorte de leur posture de leur «tentation expertocratique» de donneurs de leçons, et qui les décoince des trop nombreuses niches dans lesquelles ils se sont parfois enfermés. «Notre base électorale, plutôt centre-gauche, s’est réfugiée vers d’autres partis, notamment Les Engagés, ne se reconnaissant pas dans un discours peut-être trop extrême ou décalé par rapport aux enjeux du quotidien. Certains vont même jusqu’à regretter que nos militants, et surtout les plus… engagés, ne réalisent pas qu’ils sont en décalage avec notre électorat potentiel.» Les recommandations les moins convenues du rapport tiennent particulièrement à cela: Ecolo doit se recentrer sur l’environnement, «notre porte d’entrée» pour arriver sur tous les autres sujets, pour redevenir central.
C’est drôle, si l’on veut, et c’est paradoxal à coup sûr: c’est à peu près exactement ce que la note stratégique, présentée par Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, en 2019, proposait.